CAPI à revoir

338 – Le Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles a fêté son premier anniversaire cet été et plus de 5 000 généralistes ont perçu leur  première rémunération à la performance. Alors que le CAPI devrait être intégré dans la convention et que l’Assurance Maladie souhaite l’étendre à d’autres spécialités, un bilan critique s’impose.

Lancé en mai 2009 par l’Assurance Maladie, le Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles (CAPI) a soufflé sa première bougie cet été. Un anniversaire que le directeur de l’UNCAM, Frédéric Van Roekeghem a célébré avec le sourire et une certaine fierté. Non sans raison. En effet, mis en œuvre dans l’hostilité générale des syndicats médicaux et de l’Ordre, et malgré les réticences de Roselyne Bachelot, le CAPI a séduit un nombre de médecins généralistes qui a dépassé les espérances de ses promoteurs : alors que l’Assurance Maladie tablait sur 5 000 candidats à la fin 2009, ils étaient presque 15 000 médecins à avoir signé ce contrat en un an, 14 800 exactement.

3 101 euros de prime en moyenne

En juillet dernier, un gros tiers (5 352) des « capistes » avait atteint la date du premier anniversaire. Les deux tiers (66 %) d’entre eux avaient réalisé des objectifs leur permettant de percevoir une « prime au résultat » qui s’est élevé en moyenne à 3 101 euros. Le taux moyen de réalisation des objectifs était de 45 %. Dans le détail, un quart d’entre eux a perçu 1 539 euros, un quart 2 414 euros, un quart a touché 3 281 euros, tandis que le quart de généralistes ayant le taux de réalisation des objectifs le plus élevé (54 %) a reçu 5 168 euros. « L’évolution des indicateurs est globalement positive », note la CNAMTS. Avec des nuances notables cependant. Dans le suivi des pathologies chroniques, « les médecins signataires du CAPI ont réalisé des progrès importants sur cet axe, avec l’ensemble des indicateurs à la hausse », souligne la CNAMTS :  dans la clientèle des praticiens « capistes », 12 000 diabétiques supplémentaires ont bénéficié des trois ou quatre dosages d’hémoglobine glyquée recommandés dans l’année, 5 000 de plus d’un examen du fond d’œil, et 7 000 patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire supplémentaires ont bénéficié d’un traitement par statines. En ce qui concerne les objectifs de prévention, les résultats sont moins probants : le taux de dépistage du cancer du sein par mammographie reste inchangé chez les signataires du CAPI, celui de la vaccination antigrippale évolue peu par rapport aux autres médecins (+ 0,7 % contre + 0,3 %), tandis que les risques de iatrogénie médicamenteuse pour les personnes âgées ont régressé sur la période de façon plus significative chez les signataires du CAPI que chez les autres praticiens. A propos de l’optimisation des prescriptions, la CNAMTS juge les résultats des signataires du CAPI « satisfaisants », notamment en ce qui concerne la hiérarchisation des traitements ciblés (aspirine versus AAP, et IEC versus sartans), « conformément aux recommandations de la HAS ».

Recrutés parmi les « bons élèves »

Sans être spectaculaires, les premiers résultats du CAPI montrent incontestablement une évolution des signataires vers les objectifs assignés plus sensible que chez leurs confrères non signataires. Il faut cependant mettre un bémol à ce constat : on sait, et l’ Assurance Maladie ne s’en est d’ailleurs pas caché, que les « pionniers » du CAPI ont été systématiquement recrutés parmi les généralistes « bons élèves » convaincus d’avance du bien-fondé de la démarche et dont le profil d’activité augurait d’une évolution favorable. « Si ces résultats s’inscrivent dans une tendance positive, il reste des marges de progrès collectives pour mieux respecter les référentiels de bonnes pratiques et optimiser des prescriptions médicamenteuses », conclut l’Assurance Maladie, qui compte bien étendre le CAPI au plus grand nombre. Pour cela, elle « souhaite étudier avec ses partenaires conventionnels notamment, les améliorations possibles de ce contrat. Il s’agit d’envisager sa place dans la convention médicale ou encore de l’expérimenter pour d’autres professionnels de santé ».

Les discussions risquent d’être longues car les opposants aux CAPI qui ne sont pas pour autant hostiles à la rémunération à la performance – ne manquent pas d’arguments recevables. Les indicateurs retenus ont été choisis unilatéralement par l’Assurance Maladie selon des critères plus comptables que scientifiques. Contrairement aux pays comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis qui se sont lancés dans le « P4P » (Paying For Performance) en s’adressant à des groupes de médecins, la France a opté pour le contrat individuel, qui n’est pas forcément le meilleur garant de réussite. Les domaines cliniques d’intervention du CAPI sont très limités, et l’aspect « organisation du cabinet » (dossier médical, contact et information du patient, formation, qualité, sécurité, etc.) n’est pas considéré. Quant à la satisfaction du patient, prise en compte dans la démarche britannique (voir article plus loin), c’est peu de dire que le CAPI l’ignore : bien des patients français ignorent sans doute que leur médecin traitant a signé ce contrat !

Les futurs négociateurs du paiement à la performance version française reliront avec profit le rapport de l’IGAS de juin 2008 sur « Rémunérer les médecins selon leurs performances : les enseignements des expériences étrangères », rédigé par Pierre-Louis Bras et le Dr Gilles Duhamel (voir plus loin).

 

Les cardiologues partenaires du projet COMPAQH

Pas concernés par le CAPI, les cardiologues se préoccupent pourtant de l’amélioration de la qualité des soins. Ainsi, le Conseil National Professionnel de Cardiologie participe activement à un projet de recherche soutenu par le Ministère de la santé et par la HAS, et mené par la COordination pour la Mesure de la Performance et l’Amélioration de la Qualité Hospitalière (COMPAQH), groupe de recherche au sein de l’INSERM. « Il s’agit de participer à la généralisation des indicateurs de qualité, explique le Dr Etienne Minvielle, responsable scientifique de COMPAQH à l’INSEERM. Avec les cardiologues, nous travaillons, à partir d’un jeu de sept indicateurs de qualité pour le suivi de l’infarctus après sa phase aiguë, à l’élaboration d’un seul indice dit indice composite, comprenant quatre de ces sept indices. Avec deux objectifs : pouvoir donner une information plus simple et plus compréhensible au public, et faciliter le paiement à la performance, plus aisé à partir d’un indicateur que de plusieurs. » La méthode retenue pour mesurer la qualité est celle dite du « all or none » (tout ou rien) : l’indicateur composite regroupe les 4 indicateurs du traitement BASI. « Il faut être “moyen-bon” partout pour dire que l’on est bon. Cela signifie que la coordination, la continuité des soins est assurée, ce qui est la marque de la qualité de la prise en charge », explique Etienne Minvielle, qui souligne « le partenariat très constructif et le caractère innovateurs des cardiologues » dans ce projet.

 

Des enseignements pour la France…

Au regard des préconisations du rapport de l’IGAS concernant la rémunération à la performance, le CAPI apparaît plus comme un dispositif de « récompense » pour les médecins prescrivant dans les clous, que comme une véritable démarche d’amélioration de la qualité des soins.

Lorsque le rapport de l’IGAS paraît, il y a déjà du paiement à la performance via l’inscription du CAPI dans la LFSS 2008. « En introduisant dès à présent des premiers éléments de paiement à la performance, on peut espérer demain évoluer vers la construction d’un système complet », écrivent ses auteurs dans son chapitre sur « Les enseignements pour la France ». Pour souligner immédiatement qu’« un système bâti rapidement sera nécessairement frustre et limité dans son ambition », comportant nombre de défauts : « construction des indicateurs sans travail préalable, systématique et concerté, d’appréciation de la qualité des pratiques domaine par domaine », absence d’un système d’information pour le recueil et le traitement des données, obligeant à une « concentration sur un nombre limité d’indicateurs » au risque de voir les médecins privilégiés ces indicateurs au détriment d’autres domaines de leur pratique, et une organisation actuelle des cabinets peu favorable au développement du paiement à la performance. « Dans ce contexte, concluent les auteurs du rapport, le dispositif risque de se limiter à un mécanisme de “récompense” attirant l’attention des médecins sur des aspects de leur pratique que les pouvoirs publics souhaitent voir améliorer. » Si ce n’est pas là la description du CAPI, Dieu que ça lui ressemble !

Emporter l’adhésion massive des médecins

A contrario, le rapport de l’IGAS donne la marche à suivre pour se donner le maximum de chance de réussir, ce qui signifie en premier lieu d’emporter l’adhésion massive des médecins. La condition première est que la nécessité d’améliorer la qualité des soins de ville fasse consensus. Il faut aussi « obtenir l’accord des syndicats de médecins pour consacrer à ce mode de rémunération les marges de manœuvres financières aujourd’hui consacrées aux hausses de tarifs ». En outre, le développement du travail en équipe est pour les auteurs du rapport une condition sine qua non du développement d’une rémunération à la performance qui ne soit pas le simple dispositif de « récompense » déjà cité.

Pas de système de paiement à la performance sérieux sans « un exercice de bilan sur la qualité des pratiques en médecine de ville pour déterminer les zones de force et de faiblesse et l’impact de ces forces et faiblesses sur les résultats en termes de santé », bilan qui suppose « de réunir des cliniciens, des experts de santé publique, des praticiens de terrain, des représentants des malades ». Mais bilan qui suppose aussi, tout comme le bon fonctionnement d’un système de « P4P », un recueil de données saisies au cabinet en pratique courante. « Il est donc raisonnable de penser qu’avant même de rémunérer les performances, il faudra rémunérer les médecins pour qu’ils acceptent de s’équiper de logiciels normalisés de gestion de dossiers patients et de saisir les données nécessaires au fonctionnement du système », concluent les auteurs du rapport, pour qui le DMP devrait apporter une solution.

 

Le P4P à l’anglaise

Instauré en 2004, le paiement à la performance dit Quality and Outcomes Framework (QOF) au Royaume-Uni s’appuie sur des indicateurs concernant la qualité clinique mais aussi la satisfaction des patients et l’organisation du cabinet. Selon les résultats obtenus pour chaque indicateur, le cabinet reçoit un certain nombre de points – 1 000 au maximum – qui détermine le montant de la rémunération. A titre indicatif, un cabinet de médecine générale anglais compte en moyenne 21 personnes, dont 5 médecins, 5 paramédicaux (essentiellement à mi-temps), 11 personnes sans compétences cliniques, secrétaires médicales et gestionnaires, et prend en charge 1 000 patients.

Les indicateurs de qualité clinique qui concernent 19 pathologies ont la part la plus importante dans le dispositif (655 points sur 1 000 maximum), suivis par les indicateurs organisation du cabinet (181 points) et ceux permettant d’évaluer la satisfaction des patients (108). Le dépistage du cancer du col de l’utérus, le suivi du développement des enfants, le suivi et les soins anténataux, la contraception orale font l’objet de 8 indicateurs « additionnels » pour lesquels il est possible d’obtenir jusqu’à 36 points. Il sont distingués du fait que tous les cabinets n’ont pas une activité de gynéco-obsétrique.

Le niveau initial de performance ayant été sous-estimé, le dispositif est apparu peu exigeant. Résultat : les trois premières années, les cabinets médicaux anglais ont obtenu en moyenne plus de 90 % des points maximum, et l’investissement prévu par le gouvernement a été largement dépassé ! Le tout pour des résultats modestes en termes d’amélioration des pratiques. Depuis, les exigences se sont accrues : en 2006, les généralistes anglais ont dû réaliser de meilleures performances pour obtenir les mêmes sommes qu’auparavant au titre du P4P. Et des éléments d’efficience, absents les premières années du système, devaient faire leur apparition.

 

Le CAPI au crible de Prescrire

 Soumettant le CAPI à la méthode qu’elle applique aux médicaments, la revue Prescrire lui a consacré un volumineux dossier sur deux numéros. Passant au crible les 16 objectifs du Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles, la revue donne pour chacun un résumé de son avis. Par exemple pour l’objectif cible à 3 ans : 65 % de patients diabétiques de type 2 ayant eu 3 ou 4 dosages d’HbA1c dans l’année, Prescrire conclut : « Un objectif très cohérent pour la prise en charge de la plupart des adultes diabétiques de type 2 ». Mais pour l’objectif à 3 ans : 50 %  des patients hypertendus traités ayant une pression artérielle supérieure ou égale à 140/90 mmHg, la revue tranche sévèrement « un objectif imprécis, qui ne distingue pas les objectifs du traitement selon la situation clinique des patients, et ne tient pas compte de l’évaluation clinique des antihypertenseurs ». 

Plus généralement, Prescrire estime que « l’Assureur Maladie obligatoire fait son travail quand il cherche à savoir si les assurés reçoivent des soins adéquats, quand il interpelle les professionnels de santé et les autres acteurs de santé sur les disparités qu’il constate dans les soins dispensés, quand il cherche à optimiser l’utilisation des ressources collectives ». Mais « juge et partie, il n’est plus dans son rôle quand il s’engage seul dans la fixation d’indicateurs d’un programme d’amélioration des pratiques de soins, plus basés sur la maîtrise des dépenses que sur l’efficience et la qualité des soins, et sur des contrôles individuels ».

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