Covid/déprogrammation : quelles conséquences médico-légales pour les cardiologues ?

Le confinement a entraîné le décalage d’un pontage qui a été fatal pour une patiente. Une plainte a été déposée, reprochant à l’équipe de ne pas avoir assez tenu compte de l’état cardiaque. L’obligation de moyen nous impose de trouver des alternatives pour assurer la sécurité du patient. Le covid a eu d’autres implications légales. 

Dr Cédric gaultier.
Cardiologue conseil MACSF, cardiologue interventionnel à l’institut cardiovasculaire La Roseraie et l’hôpital Cochin

Le cas clinique

Il s’agit d’une patiente de 70 ans, suivie pour BPCO et troubles du rythme auriculaire par un cardiologue libéral et un centre hospitalier.

Devant l’apparition d’une dyspnée progressive il est demandé à notre confrère cardiologue libéral  une  échographie, laquelle retrouve un rétrécissement aortique modéré (Gdt Moyen : 18 mmHg / SaO 1,25 cm2 / Bon VG).

Le Nt Pro BNP est à 900. 

Notre confrère va demander au centre hospitalier une coronarographie fin septembre 2020, qui sera réalisée à la mi-octobre, retrouvant des lésions tri tronculaires relevant d’une indication de pontages (Staff). 

Il est donné un rendez-vous le 15 octobre avec le chirurgien, qui programme l’intervention le 8 novembre.

Le 2e confinement « Covid » est déclaré le 30 octobre conduisant au report de l’intervention de 15 jours.

La patiente va présenter une majoration de sa dyspnée. La famille va appeler le centre hospitalier et notre confrère pour tenter de faire avancer la date d’intervention sans succès.

Le 7 novembre elle va faire un arrêt cardiaque à domicile, avec massage cardiaque par son voisin puis pris en charge par le SAMU.

Malgré une réanimation intensive, l’hypothermie, il évoluera vers une défaillance multiviscérale aboutissant à son décès.

La plainte

La famille déposera une réclamation auprès de la CCI (Commission de Conciliation et d Indemnisation) reprochant l’absence d’exploration coronaire plus précoce (cardiologue traitant), une programmation « lente » du pontage, la déprogrammation, mais surtout l’absence de prise en compte de l’évolutivité clinique de la patiente. 

L’expertise est revenue sur les différents griefs : 

Il n’y avait pas d’indication formelle à une coronarographie plus précoce, chez cette patiente sans angor. Il y avait de nombreuses explications à sa dyspnée : BPCO, ACFA, RAC, doute covid.

Pour la programmation du pontage : il y a eu une relative inertie hospitalière pour les rendez-vous de coronarographie, de Staff, du chirurgien et la date opératoire, mais la patiente n’était pas instable.

Concernant la déprogrammation, elle est avant tout une volonté « réglementaire et organisationnelle » qui s’impose aux soignants. Il fallait parfois faire un « Choix de Sophie » entre les patients.

C’est surtout sur l’absence de prise en compte de l’évolutivité de la patiente qui sera critiquée.

L’hôpital, qui n’a pas proposé une consultation devant les différents appels de la famille, qui aurait permis de réévaluer la situation clinique.  

Le reproche sera fait également à notre confrère libéral, qui s’est montré trop fataliste face aux « lenteurs » hospitalières. Il aurait dû proposer de revoir sa patiente, avec un ECG, biologie…. Constatant une dégradation clinique, il aurait pu contacter directement ses interlocuteurs habituels de l’hôpital ce qui aurait peut-être permis un accélération de l’hospitalisation ou faire discuter une nouvelle stratégie thérapeutique.

En effet, dans ce contexte particulier, on peut s’interroger s’il faut appliquer les recommandations habituelles ? 

Faut il maintenir une indication de pontage, même s’il s’agit d’une recommandation de classe I, quand le risque de contamination Covid à l’hôpital est très important ? 

N’est-il pas préférable de traiter la ou les lésions « coupables » ou les plus menaçantes par angioplastie et de renvoyer le patient rapidement chez lui et de le revoir à la fin de la vague épidémique pour proposer de compléter sa revascularisation.

Les patients les plus à risque sur le plan cardiologique sont également les plus à risque de formes graves de Covid. 

Bonnes pratiques médico-légales

On profite de ce dossier particulier pour rappeler qu’il est souhaitable d’introduire la notion de collégialité dans les décisions de déprogrammation et être attentif aux réactions du patient suite à l’annonce de la déprogrammation de son acte.

Il faut fournir toutes les informations nécessaires au patient et sa conduite à tenir en cas d’évolution de ses symptômes. 

Il faut partager l’information, notamment avec l’équipe médicale et le médecin traitant. Enfin, il est impératif de tracer toutes les actions entreprises.

Autres implications du Covid pour les cardiologues

Il faut se garder de vouloir poursuivre une activité médicale en connaissance de son statut « cas-contact », ou infection avérée. Un praticien a été condamné pour avoir continuer son activité, alors même qu’il avait pleinement connaissance de son statut de « contaminé ». 

On se doit d’une manière générale de toujours peser le rapport bénéfice/ risque lorsqu’on décide d’une hospitalisation de patient. 

Une infection Covid contractée lors d’une hospitalisation sera considéré comme une infection nosocomiale, d’autant plus que la majorité des patients ont une PCR à leur admission.

Si un acte impose une hospitalisation, il faut faire le maximum pour opter pour de l’ambulatoire si les conditions de sécurité sont acquises, sinon de veiller à un séjour le plus court possible, tout en garantissant l’application des gestes barrières au sein de l’équipe soignante.

Nos patients étant à risques aggravés, il faut recommander la vaccination, voire même la prescrire. 

Concernant les effets indésirables des vaccins, il faut bien sûr respecter les âges préconisés et contre-indications éventuelles.

Take home messages

En période sanitaire exceptionnelle (Covid ou autres…), le médecin doit être en mesure d’adapter sa pratique.

  • Il s’interrogera sur la pertinence des algorythmes et indications de prise en charge habituels, en intégrant les recommandations 
  • Il devra peut-être envisager d’autres alternatives thérapeutiques 
  • On cherchera à réduire ou limiter la durée des hospitalisations (risque nosocomial)
  • Il est important de tracer les décisions prises en intégrant les contraintes administratives ou réglementaires, justifiant les choix retenus, en privilégiant la collégialité
  • On gardera à l’esprit que les conséquences médico-légales surviennent tardivement, dans une période où il sera probablement oublié le contexte épidémique exceptionnel. (Les plaintes sont souvent déposées 1-3 ans après les faits…).
  • On optimisera le suivi des patients (consignes de rappels, reconvocation…)

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