Démarrage pas certain

359-360 – Instauré en 2009, le Développement Professionnel Continu devait être opérationnel en 2010, Marisol Touraine l’avait annoncé pour le courant 2013 et il ne démarrera sans doute vraiment qu’au début de l’année prochaine. Tout est pourtant en place pour son fonctionnement, mais son financement n’est pas à la hauteur de ses ambitions et des espérances des médecins. Le Cardiologue fait le point sur le DPC

C’est devenue une habitude : depuis les ordonnances Juppé de 1996 qui a instauré l’obligation de formation continue pour les médecins, les diverses réforme concernant la FMC d’abord, la FMC et l’EPP ensuite ont tant tardé à se mettre en place qu’elles ne l’ont jamais été tout à fait. Institué par l’article 59 de la loi HPST de juillet 2009, le Développement Professionnel Continu (DPC), qui allie formation et évaluation, devait initialement être opérationnel début 2010 ! C’était sans compter avec a mise en musique de la loi par les textes d’application : il est bien connu que c’est toujours dans les détails que se loge le Diable… 

Inutile de revenir sur le long cheminement du DPC qui, après plus de trois ans, n’est toujours pas opérationnel ! Pourtant, aujourd’hui, tous les textes sont parus et les instances – Organisme de Gestion du DPC (OGDPC), Commission Scientifique Indépendantes (CSI) – sont installées.

Enfin, la CSI ne l’est pas depuis si longtemps que cela. Sa première composition au début de 2012 ayant suscité l’opposition du Collège de médecine générale et de plusieurs syndicats, un nouveau décret pris au début de cette année l’a révisée : aux 22 représentants initiaux des conseils nationaux de spécialités d’exercice (dont cinq pour la médecine générale), ont succédé deux sections de 17 membres chacune, l’une rassemblant des représentants du Collège de médecine générale, l’autres rassemblant des représentants des Conseils Nationaux de Spécialités (CNP) des autres spécialités. La présidence du CSI sera tournante et assurée chaque année alternativement par le président de l’une des deux sections. Francis Dujarric, président de la section spécialiste, occupe la fonction cette année, avant de laisser la place l’année prochaine à Serge Gilberg, président de la section généraliste.

Méthodes et modalités selon la HAS

Dans le dispositif du DPC, c’est à la Haute Autorité de Santé que revient de tenir « le discours de la méthode » ou plutôt des méthodes auxquelles les organismes de DPC doivent  se conformer pour élaborer leurs programmes. A la fin de l’année dernière, la HAS a donc publié la liste de ces méthodes et modalités, qui précise « les exigences méthodologiques portant sur les programmes, les supports utilisés, les intervenants et la traçabilité de l’engagement des professionnels ». Les méthodes sont regroupées en six grandes approches : « à dominante pédagogique ou cognitive », « à dominante d’analyse des pratiques », « intégrée à l’exercice professionnel », « dispositifs spécifiques » (accréditation des médecins exerçant une activité à risque, notamment), « enseignement et recherche », et « simulation ». Pour chacune de ces six grandes approches, la HAS précise les types d’actions qu’elle recouvre (formation présentielle, formations à distances, groupes d’analyse des pratiques, bilan de compétences, ETP, revue bibliographique et analyse d’articles…). A chaque type d’action correspond une « fiche technique méthode » qui donne la définition de cette action, sa description détaillée et précise les éléments de « traçabilité ».

Le document consultable sur le site de la HAS (www.has-sante.fr) détaille également les conditions de « traçabilité de l’engagement des professionnels ». Ainsi les médecins devront décrire leur implication  dans un programme de DPC en renseignant, chaque année, un bilan individuel d’activité, et conserver certains documents justificatifs comme les attestations de présence, par exemple.

Du côté ministériel, la Direction de l’offre de soins a publié les six orientations nationales (voir encadré ci-contre) que devront suivre les organismes de DPC (ODPC) dans l’élaboration des programmes qu’ils proposeront aux professionnels de santé. Les cardiologues quant à eux ont constitué leur OGDPC-Cardio. « L’assemblée générale constitutive a eu lieu le 15 février dernier, explique son président, Patrick Assyag. Il s’agit d’une association loi de 1901 qui aura pour objectif de mettre en place des programmes pour les cardiologues hospitaliers et libéraux. » Le vice-président est un hospitalier, le Pr Michel Desnos, le secrétaire général également, le Pr Ariel Cohen, tandis que la trésorière, Elisabeth Pouchelon, est une libérale, comme le président.

Un financement problématique

Bref, tout est en place, et pourtant, le DPC ne rentrera certainement pas en vigueur avant l’été comme l’avait indiqué Marisol Touraine en septembre dernier. Qu’est-ce qui fait obstacle ? Le financement, bien sûr, qui n’est pas celui qu’attendaient les médecins. C’est en décembre dernier que l’annonce de la dotation globale du DPC des médecins a fait l’effet d’un coup de tonnerre : ce sera 83 millions d’euros pour 2013 au lieu des quelque 160 millions d’euros espérés. Sans doute trop naïvement, les médecins pensaient qu’aux 75 millions d’euros de la Formation Professionnelle Conventionnelle (FPC) s’ajouterait la moitié de la taxe de 160 millions exigée de l’industrie pharmaceutique pour financer la formation continue des praticiens libéraux et hospitaliers. Et bien, non ! Le financement du DPC des médecins sera intégralement assuré par l’industrie du médicament, ce qui ne manque pas d’étonner : a-t-on assez dénoncer l’influence de ladite industrie sur les prescripteurs via la formation… Les syndicats médicaux ont bien sûr crié au scandale et dénoncé ce « hold up » des fonds conventionnels. Mais pour l’heure, sans résultat : l’enveloppe globale consacrée au DPC des médecins cette année s’élève à 83,2 millions d’euros. Toujours en décembre dernier, l’OGDPC avait annoncé que le forfait par médecin pour cette année serait de 2 990 euros, ce qui ne laissait envisager que deux jours de formation annuelle par médecin. Cependant, une récente réunion de la section paritaire médecins de l’OGDPC a revu les modalités des forfaits : si le forfait maximal de prise en charge par programme reste inchangé à 2 990 euros, l’enveloppe de DPC dédiée par médecin a été fixée à 3 700 euros. « Le médecin aura ainsi la possibilité de s’inscrire à autant de programmes de DPC qu’il le souhaite dans la mesure où l’enveloppe le lui permet », estime le directeur général de l’OGDPC, Monique Weber. « Cela permettra d’augmenter le volume de formation annuel, surtout avec la possibilité qui est donnée de panacher des formations présentielles et non présentielles », indique Patrick Assyag.

Dans ces conditions, l’objectif de former près de 27 800 médecins cette année serait atteignable, ce qui correspondrait à une augmentation des effectifs formés de 45 % par rapport à 2011 selon  l’OGDPC, qui souligne la nécessité d’une montée en charge du système, l’objectif de 100 % de médecins formés ne pouvant être atteint dès la première année. Sans doute, surtout avec un budget aussi restreint ! Si l’on songe que 120 000 médecins libéraux sont concernés par l’obligation de DPC, il faudra bien alourdir l’enveloppe.

 

Six orientations nationales pour 2013

Arrêtées par le directeur général de l’offre de soins, Jean Debeaupuis, pour la ministre des Affaires sociales et de la santé, les six orientations nationales pour le DPC ont été publiées au Journal Officiel au début du mois. Pour chacune d’entre elles l’arrêté précise quels devront être les programmes de DPC proposés aux professionnels.

 

1 – CONTRIBUER À L’AMÉLIORATION DE LA PRISE EN CHARGE DES PATIENTS

Pour cette orientation, les programmes concerneront notamment « l’optimisation des stratégies diagnostiques et thérapeutiques dans les pathologies aiguës et chroniques », la « promotion du parcours de santé et de soins », la « promotion des actions de prévention et de dépistage ».

 2 – CONTRIBUER À L’AMÉLIORATION DE LA RELATION ENTRE PROFESSIONNELS DE SANTÉ ET PATIENTS

Favoriser le bon usage et l’observance des traitements, améliorer la prise en charge de la douleur et développer l’éducation thérapeutique du patient sont parmi les objectifs fixés pour les programmes afférant à cette orientation.

3 –  CONTRIBUER À L’IMPLICATION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ DANS LA QUALITÉ ET LA SÉCURITÉ DES SOINS AINSI QUE DANS LA GESTION DES RISQUES

Les programmes viseront à « améliorer la connaissance des enjeux de sécurité sanitaire et des procédures de déclarations d’événements indésirables » ou encore à « développer la culture de gestion des risques au sein des équipes (pluri)professionnelles, notamment à travers la démarche qualité et les procédures de certification ».

4 –  CONTRIBUER À L’AMÉLIORATION DES RELATIONS ENTRE PROFESSIONNELS DE SANTÉ ET AU TRAVAIL EN ÉQUIPES PLURIPROFESSIONNELLES

Pour cette orientations, les programmes de DPC concerneront « l’élaboration de référentiels et de coopération professionnelles », la « coordination de la prise en charge », les « coopération interprofessionnelles », la formation des maîtres de stage et tuteurs des étudiants, mais aussi le « développement des systèmes d’information et le dossier médical (DMP et dossier pharmaceutique) », la télémédecine, la « gestion économique et la maîtrise médicalisée des dépenses de santé ».

5 – CONTRIBUER À L’AMÉLIORATION DE LA SANTÉ ENVIRONNEMENTALE

Deux objectifs seulement pour les programmes de cette orientation : la « connaissance  par les professionnels de santé de données existantes sur les liens entre pathologies et facteurs environnementaux » et « les actions que peuvent mettre en place les professionnels de santé » inscrites dans le plan national de santé environnement 2009-2013 et le plan national de santé au travail 2010-2014.

6 –  CONTRIBUER À LA FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE 

Les programmes se rapportant à cette orientation concernent l’univers du travail (économie et gestion de l’entreprise, bilan de compétences, validation des acquis ?…)

 

Le DPC en pratique

Le Développement Professionnel Continu comprend l’acquisition et l’approfondissement de connaissances et de compétences dans le cadre d’une formation médicale continue associée à une phase évaluative correspondant à une analyse des pratiques professionnelles. 

 

Pour être validant, un programme de DPC doit répondre aux règles suivantes :
– être conforme à une orientation nationale et/ou régionale de DPC ;
– être réalisé par un organisme DPC librement choisi par le professionnel de santé, enregistré auprès de l’organisme de gestion de DPC et validé par la Commission Scientifique Indépendante (CSI) ;
– associer deux actions, l’une cognitive de formation médicale, l’autre évaluative d’analyse des pratiques professionnelles ;
– être mis en œuvre selon une méthode et des modalités validées par la HAS après avis de la CSI ;
– satisfaire dans ce cadre, aux conditions qui permettent d’apprécier l’indépendance et la qualité du programme, d’une part, et la participation effective du professionnel de santé, d’autre part.

Les actions de formation comprennent les formations diplomantes, les réunions professionnelles et les formations à distance.

Les actions d’analyse des pratiques professionnelles peuvent prendre des formes variées, basées sur la comparaison à un référentiel tel l’audit clinique, sur la résolution des problèmes telle que l’on peut le montrer dans les revues de morbi-mortalité ou les groupes d’analyse de pratiques, sur la protocolisation des prises en charge (revue de concertation pluridisciplinaire), enfin sur le suivi d’indicateurs.

L’Union nationale de Formation et d’évaluation en médecine CardioVasculaire (UFCV), agréée pour la FPC par l’ancien CNFMC, et pour l’évaluation des pratiques professionnelles par la HAS, permet aux cardiologues de valider le DPC.

Le programme de 2013 offre aux cardiologues plusieurs possibilités :
– suivre une formation présentielle avec un audit de pratique avant et après la formation, suivie d’une conférence téléphonique de restitution des résultats ;
– valider un programme DPC en assistant à un programme non présentiel (audit suivi d’une formation non présentielle, d’un deuxième audit et d’une conférence téléphonique de restitution des résultats) ;
– réaliser son DPC en participant à un groupe d’analyse des pratiques entre pairs (GAP).

 

Arnaud Lazarus
« Des centaines d’organismes à évaluer d’ici l’été »

Membre titulaire de la Commission scientifique indépendante où il représente les cardiologues, Arnaud Lazarus estime qu’un certain retard dans le calendrier prévisionnel du DPC est inéluctable, mais il ne voit pas d’obstacle majeur à sa réalisation même si la question de son financement reste à résoudre.

La mise en œuvre du DPC vous semble-t-elle envisageable dans les délais prévus ?

Arnaud Lazarus : Tous les problèmes ne sont encore pas résolus à ce jour. Il y a eu des avancées suivies de reculs dans la constitution du dispositif, en particulier, la composition de la Commission scientifique indépendante a été modifiée, ce qui a entraîné un certain retard dans son travail. Dans les mois qui viennent, la CSI va devoir évaluer des centaines d’organismes, qui ont reçu des autorisations transitoires jusqu’à l’été. Pour les seuls médecins, ce sont quelque 500 organismes qui sont à évaluer. Cela représente un travail titanesque pour des gens qui travaillent en dehors de la CSI ! Il me semble difficile dans ces conditions de tenir le calendrier prévisionnel.

Le problème du financement du DPC n’est pas encore réglé ?

A. L. : C’est une autre grande inconnue. Beaucoup de questions persistent encore. La CSI est maintenant constitué à parité de deux sous-collèges spécialiste et généraliste. Les spécialistes sont davantage habitués à des congrès et symposiums financés par l’industrie pharmaceutique, tandis que les généralistes, qui ont fonctionné jusque là essentiellement avec la FPC, sont hostiles au financement de l’industrie dans la formation. Mais il faut un financement pour le DPC, et s’il vient de l’industrie sans que celle-ci exerce la moindre influence sur la formation – ce qui était le cas jusqu’à présent – ce peut être une excellente chose.
Je crois qu’il ne faut pas être dogmatique et s’enfermer dans le « zéro financement de l’industrie », mais être pragmatique : l’Etat est exsangue et ni de son côté, ni du côté des médecins, on ne trouvera l’argent nécessaire pour financer le DPC de tous les médecins. Les points de vue ne convergent pas encore tout à fait, mais il faudra s’entendre, et même si cela prend du temps, nous trouveront une solution.
Sans doute la mise en œuvre du DPC prendre-t-elle un peu de retard, mais en tout cas, je n’imagine absolument pas une remise en cause radicale du système, qui serait catastrophique pour les médecins.

Justement, quel est leur état d’esprit, selon vous, vis-à-vis du DPC ?

A. L. : Il ne faut pas se cacher qu’actuellement, un certain attentisme prévaut chez eux pour s’impliquer dans le DPC : ils ont été si souvent échaudés ces dernières années.
Mais depuis le temps que cette nouvelle obligation leur a été signifiée, les médecins l’ont acceptée et attendent qu’un vrai système se mette en place et fonctionne, qui ne soit pas remis en cause.

 

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