Des complémentaires de premier plan

345 – Les complémentaires ne veulent plus jouer les utilités. Leur volonté de jouer un rôle dans la gestion du risque se manifeste dans les initiatives qu’elles prennent de plus en plus et qui s’apparentent peu ou prou à des filières de soins. Cela concerne essentiellement les domaines quasiment abandonnés par l’Assurance Maladie – dentaire, optique, audioprothèse – mais les ambitions des complémentaires ne s’arrêtent pas là. Pas celles de la Mutualité, en tout cas, qui ne renonce pas  à ses réseaux de soins, et semble plus déterminée que jamais à sortir du rôle de simple payeur complémentaire. En témoigne son refus d’accepter, en l’état, un secteur optionnel qu’elle estime inapte à améliorer durablement l’accès aux soins.

 On les appelle assurances complémentaires, parce qu’elles remboursent ce que ne rembourse pas l’Assurance Maladie. Or, au fil du temps, ce « complément » a sérieusement augmenté ; l’Assurance Maladie ne remboursant plus à l’heure actuelle que 55 % des soins de ville, la place des organismes d’Assurance Maladie Complémentaire (AMC) est de plus en plus centrale. A telle enseigne d’ailleurs, que les complémentaires estiment avoir acquis le droit de revendiquer un autre rôle que celui de simple payeur auprès des quelque 93 % des Français qu’elles assurent. De plus en plus nombreux sont les organismes complémentaires qui entreprennent de développer une politique de « gestion du risque ».

les complémentaires : ne plus être de simples payeurs

Si la Mutualité a annoncé à grand bruit il y a quelques années son « parcours de soins mutualiste », elle s’est faite plus discrète sur l’évaluation de ses résultats. Pour autant, elle persiste dans cette voie avec Priorité Santé Mutualiste qui fonctionne depuis deux ans sous la forme d’une plate-forme téléphonique délivrant des conseils de prévention et toutes informations utiles aux usagers pour s’orienter dans le système de soins. Nombre d’assureurs privés se sont aussi engagés dans cette voie, certains allant au-delà en proposant à leurs affiliés le recours à des réseaux partenaires, essentiellement en optique et dentaire, pour leur faire bénéficier d’un rapport qualité/prix optimal. Parmi les sociétés spécialisées dans la gestion du risque santé qui se sont développées ces dernières années, Santéclair est la plus importante, qui travaille pour plus d’une dizaine de compagnies d’assurance, mutuelles, courtiers ou institutions de prévoyance, dont quatre actionnaires (Allianz, MAAF-MMA, IPECA et MGP). En une dizaine d’années, cette société a développé des réseaux partenaires dans lesquels les professionnels se sont engagés contractuellement sur de bonnes pratiques professionnelles, des tarifs modérés, des services exclusifs et le tiers payant en faveur des assurés. Ces réseaux concernent pour l’instant le dentaire, l’optique, la pharmacie et l’audioprothèse. Mais il n’est pas exclu que Santéclair développe un jour des réseaux partenaires dans des spécialités où les dépassements d’honoraires sont importants, comme l’ophtalmologie ou la radiologie, par exemple.

Ce sont des réseaux similaires que la Mutualité souhaite développer, en passant contrat avec des professionnels de santé ou des établissements de santé, réseaux auprès desquels ses adhérents trouveraient des soins de qualité et bénéficieraient de prestations financières avantageuses. C’est ce que devait l’autoriser à faire le fameux article 22 de la loi Fourcade. Mais d’abord amendé dans un sens restrictif, l’article a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel cet été. La Mutualité a pris acte de la décision du Conseil constitutionnel, mais ne renonce pas pour autant à ses projets de réseaux.

Le bras de fer entre la Mutualité et le Gouvernement

Quant aux institutions de prévoyance, elles se sont engagées elles aussi sur la voie de l’optimisation de l’organisation des soins. Malakoff Mederic, par exemple, a développé un réseau optique avec Harmonie Mutuelle et répond aux interrogations de leurs assurés en matière de qualité et de tarif hospitalier avec son site « ComparHospit ». Mais le groupe a également le projet de contractualiser avec des opérateurs de soins pour certaines pathologies, autour d’un protocole optimisé garantissant un certain prix pour une prise en charge optimale.

D’une certaine façon, le psychodrame actuel autour du secteur optionnel trouve sa source dans cette volonté des organismes d’AMC de ne plus être cantonnés dans leur rôle de simple payeur. S’ils payent plus, ils veulent avoir leur mot à dire sur le contenu de ce qu’ils payent. C’est en tout cas clairement la position de la Mutualité qui refuse de négocier le secteur optionnel sur ses bases actuelles, et souhaite réfléchir à des « aménagements » voire des « alternatives ». « Aujourd’hui, le secteur optionnel ressemble davantage à une simple “solvabilisation” de rattrapage pour les professionnels de santé, sans mettre fin à l’anarchie tarifaire, qu’à un véritable outil de maîtrise des dépassements, notamment les plus élevés », estime son président, Etienne Caniard, dans l’entretien qu’il nous a accordé (voir page 16). Il est clair que la Mutualité dans son intransigeance se distingue de ses partenaires de l’UNOCAM. Laquelle a apposé par deux fois sa signature sur des documents concernant le secteur optionnel, une première fois au bas du protocole d’accord d’octobre 2009, une seconde fois en juillet dernier, lors de la signature de la convention médicale qui reprend les termes de ce protocole. Les médecins libéraux crient à la trahison et demandent au Gouvernement de prendre ses responsabilités sur ce dossier. Ainsi, les spécialistes confédérés, l’UMESPE-CSMF « demande au Gouvernement de légiférer pour permettre aux assurances complémentaires qui le désirent de solvabiliser le secteur optionnel ».

Et dans le bras de fer qui se joue entre la Mutualité et le Gouvernement, la tension est récemment montée d’un cran avec la proposition d’amendement au PLFSS de deux députés UMP, Sébastien Huyghe (Nord) et Valérie Rosso-Debord (Meurthe-et-Moselle) qui instaurerait un « impôt sur la fortune » pour les mutuelles santé ayant constitué des réserves financières importantes. « Nous voulons taxer sur le mode de l’ISF les mutuelles qui ont constitué des réserves trop importantes et augmentent leurs tarifs », expliquent les deux députés. Car l’accusation couramment faite aux mutuelles est de garder par devers elles un pactole qu’elles savent faire fructifier, pas forcément au profit de leurs adhérents. Ce dont la Mutualité se défend vigoureusement, bien entendu. Le président de la Mutuelle Générale de l’Education Nationale, Thierry Beaudet, explique ainsi que la MGEN dispose de 1,4 milliard de fonds propres libres, ce qui représente environ 491 euros par personne protégée, « même pas le coût d’une prothèse dentaire ou d’un équipement d’optique ».

Il n’est pas sûr que le problème du secteur optionnel – et par-delà, celui de la place des assurances complémentaires dans un paysage de la protection sociale recomposé – trouve rapidement une résolution.  En ces temps qui précèdent l’élection présidentielle du printemps prochain, il est manifeste que les uns ont hâte de boucler le dossier, tandis que d’autres jouent la montre, attendant, les uns l’alternance, les autres le confort d’un nouveau quinquennat devant eux.

 

Les forces en présence

En 2007, selon la Direction des recherches, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES),
93 % de la population résidant en France sont couverts par un des 893 organismes qui se partagent le marché de la complémentaire santé :

59 % de la population couverte était assurée par une mutuelle,

24 % par une société d’assurance, 

17 % par une institution de prévoyance (IP).

 

FNMF (Fédération Nationale de la Mutualité Française)

Présidée par Etienne Caniard, la Mutualité Française fédère près de 700 mutuelles santé en France, soit leur la quasi-totalité. Antérieure à la création de la Sécurité Sociale au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, la doyenne des organisations représentatives de l’Assurance Maladie Complémentaire (AMC) occupe une place prépondérante dans le paysage de la protection sociale : 6 Français sur 10 sont protégés par une mutuelle de la Mutualité Française, ce qui représente près de 38 millions de personnes pour 18 millions d’adhérents. Refusant d’être un simple payeur, prenant le relais sans broncher de l’Assurance Maladie toutes les fois que celle-ci se déleste d’une part de remboursement, la Mutualité revendique un rôle dans la gestion, et entend prendre part activement à la restructuration de l’offre de soins. Dans cette optique, elle a décidé de ne pas rembourser les fameuses « vignettes oranges », et initié la campagne en faveur du recours aux médicaments génériques. La Mutualité souhaite aller plus loin et développer des réseaux de soins en passant contrat avec des professionnels de santé ou des établissements de soins.

FFSA (Fédération Française de Sociétés d’Assurance)

Numéro deux du secteur des complémentaires, la FFSA regroupe les assureurs privés pour qui la santé est restée longtemps une activité très secondaire. Cela a bien changé ces dernières années, comme en témoigne l’abondance de publicité que les assurances privées font dans les médias, et comme en témoigne leur croissance dans ce domaine. Bien que pesant son poids d’influence politique, la FFSA n’a toujours pas à ce jour obtenu de siéger au Conseil de l’UNCAM, où la Mutualité garde le monopole de la représentation des complémentaires. Les relations sont d’ailleurs plutôt tendues entre ces deux formations qui se retrouvent cependant au sein de l’Union Nationale des Organismes Complémentaires d’Assurance Maladie (UNOCAM), où elles parviennent parfois à avoir des positions communes, à propos de l’augmentation de la taxe sur les contrats responsables, par exemple. Le Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurance (GEMA) fait également de pont entre ces deux univers. Le GEMA regroupe une cinquantaine de mutuelles d’assurance à la démarche plus entrepreneuriale que mutualiste : GMF, MACIF, MAAF, MAIF, MATMUT… 

CTIP (Centre Technique Des Institutions de Prévoyance)

Le CTIP regroupe les Instituts de Prévoyance (IP) qui ont comme caractéristiques de gérer paritairement (MEDEF et syndicats de salariés) la prévoyance des entreprises (invalidité, décès, notamment), secteur encombré qui a incité les IP à se développer dans la complémentaire santé. Rodés aux négociations avec les entreprises, ces organismes ont acquis en quinze ans une part de marché au détriment de la mutualité et des assureurs privés. Parallèlement, ils se sont déployés dans le domaine de la dépendance, très proche du secteur de la santé, se créant ainsi un nouveau cœur de métier dans lequel certains d’entre eux font montre d’un grand dynamisme.

 

Entretien Etienne Caniard

« Nous ne renonçons pas aux réseaux de soins »

Le président de la Mutualité Française estime qu’en l’état, le secteur optionnel ne règlera pas durablement le problème des passements d’honoraires et, donc, celui de l’accès aux soins.

Quelles seront les conséquences de l’augmentation de la taxe sur les contrats solidaires et responsables pour les organismes de complémentaire santé ?

Etienne Caniard : Des difficultés importantes pour accéder aux soins pour un nombre plus important encore de nos concitoyens, nous en sommes convaincus. Le Gouvernement sait que cette taxe renchérira les cotisations. Les mutuelles sont des organismes à but non lucratif, des sociétés de personnes. Elles n’ont pas de capital, ne versent pas de dividende à des actionnaires et elles ne peuvent être déficitaires comme la Sécurité Sociale. Toute charge nouvelle pèse sur les cotisations. 38 millions de Français ont une mutuelle. Indirectement, il s’agit d’un nouvel impôt qui ne veut pas dire son nom. Socialement, c’est profondément injuste, car nous le savons, si les cotisations augmentent, les adhérents vont choisir des garanties moins protectrices, voire renoncer à leur mutuelle. Or, la mutuelle est indispensable, notamment pour accéder aux soins courants. Elle en finance presque la moitié ! Les personnes qui n’auront plus de mutuelle risquent de recourir davantage aux urgences hospitalières qui sont très coûteuses pour la collectivité. C’est incohérent ! C’est pourquoi nous venons de lancer sur le site internet de la Mutualité Française et de ses mutuelles adhérentes une pétition pour appeler nos concitoyens à exprimer leur mécontentement et à demander au Gouvernement de renoncer à cette taxe.

L’UNOCAM a récemment décidé de reprendre les négociations sur le secteur optionnel. Quelles conditions mettez-vous à la reprise de ces négociations ?

E. C. : La Mutualité Française condamne vivement, et depuis plusieurs années, l’explosion croissante du nombre et du volume des dépassements d’honoraires, car ils remettent en cause l’accès aux soins pour nombre de nos concitoyens. Leur banalisation a entraîné progressivement la modification de la nature même de notre système de protection sociale. Et nous vivons aujourd’hui dans la fiction d’un taux de remboursement du régime obligatoire qui ne correspond plus du tout à la réalité des tarifs. Il est urgent de mettre fin à cette situation, car c’est inacceptable pour les patients ! La création d’un secteur optionnel ne doit avoir qu’un seul objectif, améliorer l’accès aux soins. Aujourd’hui, le secteur optionnel ressemble davantage à une simple « solvabilisation » de rattrapage pour les professionnels de santé sans mettre fin à l’anarchie tarifaire, qu’à un véritable outil de maîtrise des dépassements, notamment les plus élevés.

Selon vous, ce secteur optionnel – dans les modalités actuelles inscrites dans la convention médicale récemment signée – est-il la réponse appropriée au problème des dépassements d’honoraires et des inégalités d’accès aux soins engendrées par le secteur 2 ?

E. C. : Le secteur optionnel a été conçu à partir de moyennes qui cachent de fortes disparités, qu’elles soient géographiques ou à l’intérieur même des professions. Pour les 4 000 chirurgiens libéraux en secteur 2 par exemple, si les dépassements d’honoraires sont en moyenne de 56 %, ils ne sont que de 10 % pour les 400 pratiquant les tarifs les plus bas, alors qu’à l’autre extrême, la même proportion facture en moyenne 240 % de dépassement à leurs patients. Comment imaginer que les seconds vont réduire leurs dépassements en choisissant le secteur optionnel ? C’est pourtant sur ces excès qu’il faut agir si l’on veut améliorer l’accès aux soins.
Tant que l’on raisonnera à partir de moyennes, on créera un effet d’aubaine pour les praticiens facturant de faibles dépassements sans réguler les excès. Cela n’est pas satisfaisant.

D’abord amendé dans un sens restrictif à l’Assemblée, l’article de la loi Fourcade sur les réseaux de soins mutualistes a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel cet été. Quel est l’avenir de ces réseaux et de la possibilité de mieux rembourser les assurés faisant appel à eux ?

E. C. : Nous avons pris acte de la décision du Conseil constitutionnel. Et nous ne renoncerons pas aux réseaux de soins qui permettent aux adhérents de bénéficier de soins de qualité avec un reste à charge limité. Professionnels de santé et financeurs doivent retrouver une totale liberté de contractualiser. C’est une des conditions de l’amélioration du système de soins. Il est paradoxal de demander aux mutuelles de participer à la régulation des dépenses de santé et de ne pas leur donner les moyens juridiques de le faire.

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