Lorsque le ministre Douste-Blazy annonça en 2003 que deux ans plus tard tous les Français auraient un dossier médical électronique – qui s’est d’abord appelé dossier médical partagé avant de devenir le dossier médical personnel – les gens les plus avisés savaient qu’il s’agissait là d’un pari irréalisable en si peu de temps. Les plus sceptiques pensaient même qu’il était irréalisable tout court compte tenu des obstacles à surmonter et des investissements financiers nécessaires, et faisaient remarquer qu’un tel dossier diffusé dans une population entière n’existait dans aucun pays.
Presque dix années plus tard, le DMP n’est toujours pas généralisé, mais les travaux préparatoires à son développement ont en revanche englouti déjà pas mal d’argent. C’est en substance ce que constate aujourd’hui la Cour des comptes. Dans un rapport établi à la demande de la demande de la commission des fi nances de l’Assemblée nationale, les magistrats de la rue Cambon additionnent le montant global des ressources directement et spécifiquement mobilisées pour le DMP de 2005 à 2011, le coût direct de dispositifs convergents, tels le dossier communicant en cancérologie ou le dossier pharmaceutique, et les dépenses engagées pour les dossiers patients informatisés à l’hôpital, pour un total qui se chiffre à un demi-milliard d’euros, assumé pour l’essentiel par l’Assurance Maladie.
Le rapport souligne à cet égard la difficulté de tracer l’ensemble des dépenses effectivement engagées et poursuit par des critiques visant plus l’Etat que les deux opérateurs qui ont successivement porté le projet, le GIP-DMP d’abord, puis l’ASIP Santé depuis 2009. D’ailleurs, le pragmatisme insuffl é à cette dernière par son directeur Jean-Yves Robin a quelque peu accéléré la diffusion du DMP. La Cour des comptes constate d’ailleurs « de bons résultats ou un démarrage du déploiement crédibles en 2012 dans certaines régions ».
Ni stratégie, ni réflexion _ « Au-delà de l’insuffi sance grave de suivi financier qui a accompagné le développement du DMP », elle dénonce l’absence de parution au Journal Offi ciel du décret qui devait fi xer le champ d’application du DMP, son contenu et son mode de montée en charge. En l’absence de ce cadre législatif, la Cour des comptes constate que le DMP s’est développé « sans aucune stratégie préétablie », ni aucune réflexion quant au choix de cibler certaines catégories de patients, comme les malades chroniques, par exemple. Il est « urgent que l’Etat défi nisse enfi n, dans une concertation plus étroite avec tous les acteurs, une stratégie d’ensemble pour intégrer le DMP dans une vision globale de l’organisation du dispositif de soins et des systèmes d’information en santé, de manière à assurer la cohérence et la convergence de dispositifs à certains égards foisonnants et à éviter une dérive des coûts à venir ».
Parmi les conséquences fâcheuses du développement anarchique du DMP, la Cour des comptes pointe l’absence de mise en place à une échéance déterminée d’une politique de sécurité ainsi que celle de l’Identifiant National de Santé (INS), dont le décret n’est toujours pas paru. Sans parler de l’adoption, à quelques mois d’intervalle, de deux « normes d’interopérabilité » distinctes pour le même objet, l’une par l’ASIP Santé, l’autre par la CNAMTS…
La Cour des comptes considère donc « urgent et indispensable un ferme redressement dans le pilotage stratégique et la maîtrise des coûts du DMP comme de l’ensemble des dossiers médicaux informatisés qui ont vocation à converger vers lui », et formule treize recommandations pour ce faire. Elle préconise notamment la conclusion d’un contrat pluriannuel entre l’Etat et l’ASIP Santé sur le déploiement du dispositif. ■
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