Hôpital public : le rapport Couty, et après ?

361 – Conformément aux priorités du gouvernement socialiste, Marisol Touraine a ouvert le chantier du Pacte de confiance pour l’hôpital en affirmant qu’il s’agissait de tourner la page de la loi HPST. La mission dirigée par Edouard Couty a remis son rapport il y a quelques semaines. Les propositions qui y sont faites ont été accueillies plutôt favorablement par la communauté hospitalière. On n’en dira pas autant du rapport de Dominique Laurent sur l’activité privée à l’hôpital qui hérisse les médecins libéraux. La ministre de la Santé annonce de la concertation à tout va. Mais les hospitaliers estiment que cette concertation doit impliquer tous les acteurs, ne pas s’éterniser et déboucher rapidement sur des mesures concrètes de réforme.

Pour n’être pas très volumineux (72 pages), le rapport de la mission dirigée par Edouard Couty n’en est pas moins dense. En effet, 46 propositions visent à reconstruire le service public hospitalier, à rénover la gouvernance hospitalière et la tarification, à refondre le cadre du dialogue social à l’hôpital et à améliorer les relations entre les établissements et les tutelles, en particulier avec les agences régionales de santé (ARS). 

Reconstruire le service public hospitalier

Le Service Public Hospitalier (SPH) est confié à l’hôpital public et aux ESPIC mais « tout ou partie de ce SPH peut être attribué dans certaines conditions aux établissements rivés commerciaux ». Ce SPH doit s’inscrire dans un territoire et l’approche de l’organisation du système autour du parcours de soins ou parcours de vie. « L’objectif est de faire coopérer réellement et efficacement toutes les structures et tous les professionnels concernés, notamment les professionnels libéraux. Pour cela, il importe de définir le territoire et de clarifier le positionnement des différents acteurs en disposant d’outils adaptés tels que projet de territoire et contrat de territoire. » Edouard Couty préconise « des expérimentations notamment en vue de confier au médecin traitant la coordination du parcours du patient ». Bien sûr, un tel projet nécessite d’« investir prioritairement dans les systèmes d’information permettant aux établissements de communiquer entre eux et avec tous les professionnels de santé ».

Rénover la gouvernance

Pour « rétablir une gouvernance équilibrée », le rapport Couty propose que cette gouvernance repose sur trois piliers :

Le conseil d’établissement – remplaçant l’actuel conseil de surveillance – serait un conseil délibérant et chargé de surveiller l’exécutif. Son champ de compétence serait élargi à la politique d’amélioration continue de la qualité, de la sécurité des soins et de la gestion des risques, aux conditions d’accueil et de prise en charge des usagers, au règlement intérieur ainsi qu’à la stratégie financière de moyen et long terme. Son président serait élu dans les collèges représentant les élus, les personnalités qualifiées et les usagers. Il devrait être doté des moyens de s’assurer de la bonne mise en œuvre de ses décisions, disposer d’un audit interne et pouvoir faire appel à des audits externes.

Le conseil de direction remplacerait l’actuel directoire en en gardant les compétences. Le nombre de ses membres ne devrait pas être fixé de manière réglementaire, mais dépendre du contexte local et de la taille de l’établissement. Le conseil de direction serait composé du directeur de l’hôpital, du président de la CME, du doyen de la faculté de médecine dans les CHU et du directeur des soins. Libre à ce « noyau dur » de désigner les autres membres du conseil.

Instances consultatives issues des professionnels et des usagers. Edouard Couty préconise de revoir les domaines de compétence des instances consultatives. Concernant la CME, il propose d’élargir ses compétences à l’accueil des étudiants et des internes, à l’intégration des professionnels médicaux nouvellement recrutés, à la modernisation des ressources humaines, au développement du dialogue social et en matière d’information sur la stratégie financière et les investissements. Il est également propos de « faire évoluer la composition de la CME » pour y intégrer une représentation des étudiants en médecine, pharmacie et odontologie. Quel que soit le collège concerné, tous les membres de la CME devraient être élus par leurs pairs.

Ajuster le mode de financement

Un financement mixte. Dans ce chapitre, le rapport veut corriger les effets pervers de la T2A, qui est jugée inflationniste, qui incite à la concurrence plus qu’à la coopération, conduit à segmenter l’activité et ne permet pas de prendre correctement en charge les polypathologies et les maladies chroniques. Edouard Couty propose donc un financement mixte comportant trois volets : la T2A pour les activités MCO de court séjour, un mode de financement pour les maladies au long cours adapté au parcours de soins et une part en dotation pour les missions d’intérêt général et de service public (MIG). Concernant la part T2A, il est suggéré d’introduire « plus de transparence dans l’élaboration et la maintenance des tarifs, de bien déterminer le périmètre et la nature des charges fin ancées par ces tarifs et de prendre en compte l’activité de tous les professionnels, notamment les infirmiers ». Le rapport Couty recommande de passer de la NGAP à une CCAM « pour financer de manière juste le temps médical. Les expérimentations doivent être favorisées pour le financement par épisode de soins ou le financement du parcours de soins.

Améliorer les relations avec les tutelles 

Un « manque réciproque de confiance » : c’est le constat fait par la mission Couty. Pour y remédier, le rapport émet un certain nombre de propositions pour « recentrer l’Etat central sur son rôle de stratège ». Il s’agit de « prévenir et d’éviter les injonctions contradictoires » et de cadrer l’action des ARS à partir d’objectifs généraux et de méthodes d’action « afin de leur laisser marge de manœuvre et capacités d’initiatives ». Edouard Couty considère également qu’il faut « mieux définir au plan méthodologique l’élaboration des contrats entre les ARS et les établissements ».

13 engagements ministériels

Dès la remise de ce rapport, la ministre des Affaires sociales et de la Santé a pris 13 engagements à partir des propositions de la mission Couty. Marisol Touraine confirme la réintroduction de la notion de service public hospitalier dans la loi qui précisera « ses acteurs, des missions, des droits et obligations ». Le service public territorial permettra de « reconnaître une responsabilité collective de service public à l’ensemble des acteurs de santé d’un territoire ». La ministre a également confirmé le renforcement des prérogatives des CME – qui devrait se concrétiser par un décret avant l’été prochain – et avancé l’idée d’un « contrat de gouvernance » entre le directeur d’établissement et le président de la CME. Au chapitre du financement de l’hôpital, elle s’engage à poser les premiers jalons d’une tarification de parcours. Le comité de réforme de la tarification devra lui remettre avant le 30 juin prochain un rapport d’orientation assorti de mesures immédiates qui seraient introduites dans le prochain PLFSS.

Cependant, la concrétisation dans les textes du Pacte de confiance pour l’hôpital, qu’il faut bien appeler une nouvelle réforme hospitalière, n’est pas pour demain. Marisol Touraine a en effet annoncé l’ouverture d’une vaste concertation, dont les conclusions sont attendues pour cette année, voire 2014 pour les changements les plus complexes. Ce calendrier ne va pas sans inquiéter la communauté hospitalière : plutôt favorable aux propositions de la mission Couty, elle qui estime qu’il ne faudrait pas s’attarder trop longtemps dans les discussions et qu’il est grand temps de passer aux actes.

 

Les différents statuts d’établissements

810 centres hospitaliers (CH) y compris les ex-hôpitaux locaux. Cette catégorie intermédiaire d’établissements assure la majeure partie des prises en charge de court séjour en Médecine, Chirurgie et Obstétrique (MCO) ainsi que la prise en charge et les soins pour les personnes âgées. 

33 Centres Hospitaliers Régionaux (CHR) assurent les soins les plus spécialisés à la population de la région ainsi que les soins courants à la population la plus proche.

Les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU). Ce sont des CHR ayant passé une convention avec une unité de formation et de recherche médicale au sein d’une ou de plusieurs universités.

90 Centres Hospitaliers Spécialisés (CHS) en psychiatrie.

Les Établissements de Santé Privés d’Intérêt Collectif (ESPIC) regroupent les 19 centres de lutte contre le cancer ainsi que 688 autres établissements privés à but non lucratif. Les ESPIC représentent 14 % des lits et places du secteur hospitalier.

1  047 établissements de santé privés à but lucratif. Ces établissements, dénommés le plus souvent « cliniques », représentent environ un quart des lits et places du secteur hospitalier.

 

Patrick Jourdain « Il faut passer de l’idée à l’action »

Cardiologue responsable du département de cardiologie ambulatoire au Centre hospitalier de Pontoise (95), le Dr Patrick Jourdain estime que le rapport de la mission conduite par Edouard Couty est porteur de grands espoirs. Mais tout dépendra de ce qui sortira de la concertation qui va s’engager maintenant.

 

Comment réagissez-vous au rapport de la mission Couty ? 

Patrick Jourdain : D’une manière générale, je trouve le rapport Couty très constructif. Il va dans le sens d’un rééquilibrage en faveur de la prise en charge des patients et il affirme la prévention comme une mission du service public. La gouvernance est elle aussi rééquilibrée, donnant plus de place aux usagers, redonnant un rôle plus important à la CME. Marisol Touraine a repris treize mesures, parmi lesquelles le service public territorial de santé, qui me semble un gros progrès : on en peut en effet faire tout partout. Le parcours de soins est essentiel, car le grand défi que nous avons à relever est celui de la maladie chronique. La politique d’investissement à l’échelle régionale – un peu comparable à ce qui se fait en Allemagne – est pertinente. Mais avant d’enclencher la réforme, on va passer par la phase de concertation, ce qui peut être problématique. D’une part, il faut éviter de rester dans la discussion sans passer à l’action, car dans la crise actuelle, on voit bien que les malades ont de plus en plus de mal à se soigner. D’autre part,  ce qui sortira de cette concertation dépendra beaucoup de qui sera autour de la table. La démarche proposée par le rapport Couty est bonne, mais pour l’instant, on n’est encore que dans l’idée. Le rééquilibrage sera effectif si l’on dépasse l’effet d’annonce. Les Schémas Régionaux d’Investissement en Santé (SRIS) seront pertinents si la représentativité des acteurs est bonne et reflète la réalité de l’offre de soins : les CHU, les CH, les CHG ont des recrutements et des activités différents. Dans la phase de concertation qui va s’ouvrir, il faut que tous les effecteurs de soins soient représentés à l’échelle de ce qu’ils représentent.

Le rapport Couty propose une diversification de la tarification avec, en particulier, un mode de financement des maladies chroniques adapté au parcours de soins du patient. Qu’en pensez-vous ?

P. J. : Ce type de financement est essentiel. Dans mon activité, par exemple, les patients chroniques ont besoin d’éducation thérapeutique. Mais cet acte n’est pas rémunéré par la T2A et chaque fois que j’en prescris, je fais perdre de l’argent à ma direction ! Je sais que beaucoup de mes confrères doivent se battre pour maintenir ce type d’activité. La prévention, l’ETP coûtent de l’argent. Mais dans l’objectif d’efficience, il faudrait sortir de la vision purement comptable et se poser les bonnes questions : combien de patients, guéris, combien de patients allant mieux. C’est la reconnaissance de cette efficience-là qui importe.

Ne trouvez-vous pas que le rapport Couty reste relativement discret sur le décloisonnement ville/hôpital, dont Marisol Touraine fait pourtant une priorité ?

P. J. : Ce décloisonnement, on en parle depuis des décennies, mais il était difficile dans un tel rapport d’aller plus loin que les généralités à ce sujet. Je crois qu’en la matière, tout vient d’une réelle volonté des acteurs de terrain de travailler ensemble, de connaître et de comprendre ce que font les autres.
Si l’on a une vraie gestion territoriale, avec une réelle représentation des acteurs locaux, on parviendra à des solutions. Je pense qu’il faut partir d’une pathologie donnée et travailler à l’échelon d’un territoire de santé, cela ne peut fonctionner que comme ça.

Tout va donc dépendre de la concertation future ?

P. J. : Le rapport Couty et les mesures retenues par Marisol Touraine apportent un grand espoir. Il y a là un beau diamant à ne pas ébrécher !
Les gens attendront de voir ce qui va sortir de la concertation : la discussion ne doit pas d’éterniser, elle doit impliquer toutes les parties, qui devront se reconnaître dans les choix qui seront arrêtés. Si chacun ne se sent pas dans le bateau, cela ne marchera pas.

 

Activité privée à l’hôpital

Le rapport qui scandalise les libéraux

Les adaptations de l’avenant 8 suggérées par le rapport de Dominique Laurent sur l’activité privée à l’hôpital provoquent la colère des médecins libéraux. Ils n’acceptent pas le traitement de faveur fait aux hospitaliers justifié par des expertises et compétences jugées supérieures.

En décembre dernier, un amendement parlementaire encadrant assez strictement l’activité libérale à l’hôpital public avait été retiré à la demande de Marisol Touraine, la ministre s’étant avisée qu’il n’était pas opportun de légiférer avant que ne lui fut remis le rapport qu’elle avait commandé à la conseillère d’Etat Dominique Laurent sur le sujet (voir Le Cardiologue n° 357). L’amendement rejeté proposait l’encaissement par l’hôpital des revenus de l’activité libérale avec reversement ultérieur au praticien, l’obligation pour les médecins de fournir leur planning d’activité libérale et une majoration de la redevance due au titre de l’activité privée quand elle dépasserait un certain seuil. Les neuf recommandations du rapport de la mission Laurent sont assez en-deçà de l’amendement parlementaire et ne risquent pas de modifier significativement les pratiques en cours à l’hôpital public. 

Pour l’essentiel, le rapport Laurent préconise d’ « appliquer l’avenant n° 8 de manière adéquate à l’activité libérale dans les établissements publics de santé en contrôlant les dépassements excessifs d’honoraires, tout en tenant compte de ses spécificités ». Et pour l’essentiel, ces spécificités se résument dans le rapport à des « expertises et compétences » propres aux hospitaliers. Le texte mérite d’être cité in extenso : « La mission a estimé que le fait d’exercer comme PU-PH ou praticien hospitalier dans un EPS à temps plein conférait à cette activité les caractéristiques d’une activité de recours et que les critères d’expertise et de compétence devaient dans ces cas être présumés. Le contenu intellectuel spécifique des actes des praticiens hospitaliers doit être ainsi mieux pris en compte car les pathologies plus graves qu’ils traitent, les actes techniques plus longs et plus difficiles qu’ils pratiquent, les patients plus lourds auxquels ils délivrent des soins, pour lesquels ils mobilisent un savoir et une expérience intellectuelle spécifiques, justifient une rémunération spécifique, et différente de celle afférente à un acte technique banal, à une consultation pour pathologie courante et pour un patient traité sans difficulté. La notion “d’expertise et de technicité” retenue par l’avenant correspond à ces cas de figure et doit permettre que les dépassements fondés sur une forte plus-value intellectuelle soient considérés comme non abusifs ». Le rapport Laurent voit pour preuve de cette plus-value supérieure le fait que les PUPH puissent coter C3 (69 euros).

Les médecins de ville apprécieront la « médecine à deux vitesses » selon Dominique Laurent… A vrai dire,  ils n’apprécient pas, mais alors pas du tout. La CSMF se dit « stupéfaite d’une telle préconisation qui fait injure aux praticiens libéraux en niant leur plus-value intellectuelle et leur technicité ». Concernant la cotation 3C, elle « constitue en soi une injustice flagrante » pour la Confédération, qui rappelle qu’elle en réclame l’extension depuis de nombreuses années pour tous les praticiens libéraux « afin de valoriser les consultations complexes à forte valeur ajoutée médicale dans le cadre de la CCAM clinique ». La CSMF « exige que les critères définis dans l’avenant n° 8 s’appliquent à tous comme cela était prévu dès le départ ». Pour Jean-François Rey, « on ne peut pas comprendre qu’il y ait deux poids, deux mesures et que l’opacité perdure sur l’exercice privé d’une partie de nos confrères ». « Les dépassements abusifs qui font la Une des médias concernent 400 médecins, dont 200 hospitaliers. Qui pourrait concevoir qu’on sanctionne les 200 praticiens de ville hors des clous et pas les 200 hospitaliers ? Etre un “grand nom” de l’hôpital ne dispense pas de respecter les règles. Les honoraires des hospitaliers et leurs dépassements doivent être transparents et les règles doivent être les mêmes pour tous. Ces praticiens qui pratiquent des dépassements exorbitants n’ont rien à faire dans le secteur conventionnel et n’ont qu’à passer en secteur 3, hospitaliers comme libéraux. »

« Ouh, on a peur ! »

Le rapport Laurent propose par ailleurs de « mieux identifier l’activité publique du praticien » pour mieux évaluer, par comparaison, le volume de son activité privée, de mettre en place dans les hôpitaux « une charte déontologique de l’activité libérale » portant notamment sur l’information du patient quant aux honoraires pratiqués. Enfin, le rapport préconise le renforcement des Commissions d’Activité Libérale (CAL) en les chargeant de contrôler le plafond de 20 % d’activité libérale autorisé par « des contrôles par sondages à partir des tableaux de service et des contrôles des cahiers de blocs opératoires ». « Ouh, on a peur ! ironise le CISS. Tout le monde sait que ces commissions ne remplissent pas leur mission et n’en ont d’ailleurs pas les moyens. » Le Collectif interassociatif sur la santé estime que le rapport Laurent « propose de ne rien changer » et « invite les parlementaires à se saisir à nouveau de cette question à l’occasion du PLFSS 2014 ».

Le ministère de la Santé a annoncé une « large concertation » sur les suites réglementaires et législatives à donner aux propositions de Dominique Laurent. Là encore, tout dépendra de qui concerte, et de qui obtiendra gain de cause auprès de la ministre : des hospitaliers, qui avaient manifesté leur hostilité à l’amendement parlementaire, ou des praticiens de ville outragés par la discrimination introduite par le rapport Laurent entre les compétences et expertises hospitalières et les leurs.

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