HPST : La loi qui fait peur en public comme en privé

332 – Les médecins ne sont plus les patrons à l’hôpital

_ _ «La réforme de la gouvernance, qui a été faite de façon très dogmatique, est de type très entreprenarial, commente le Dr Michel Hanssen, responsable de pôle et chef du service de cardiologie interventionnelle de l’hôpital d’Haguenau (Bas-Rhin), et président du collège national des cardiologues des hôpitaux généraux (CNCHG). En préalable, j’estime très dommageable que la réforme Mattei, qui commençait à porter ses fruits, qui satisfaisait beaucoup de directeurs d’hôpitaux et de médecins, n’ait fait l’objet d’aucune évaluation avant l’élaboration de la loi HPST. Mais ça, les hospitaliers en ont l’habitude qui ont vu défiler presque autant de réformes que de ministres de la Santé ces dernières décennies… » Pour lui, le défaut majeur de la nouvelle gouvernance réside dans ce pouvoir quasi-exclusif donné au directeur, « personnage patronal tout à fait majeur, qui aura toutes les rênes en main ». Certes, le président de la CME garde quelques pouvoirs non négligeables, mais « beaucoup de choses dépendront des rapports entre les deux hommes ».

Des exemples ? « Trois noms seront proposés au directeur par la CME pour sa représentation au sein du directoire, en conseil d’administration. S’ils les refusent, trois autres noms seront proposés, et s’ils ne conviennent toujours pas, c’est le directeur qui nommera les représentants de la CME. Le même mécanisme aura cours pour la désignation des chefs de pôle qui étaient jusqu’à présent élus par leurs pairs. Les confrères pressentis pour travailler dans l’hôpital ne passeront plus en CME, mais par les responsables de pôle. La CME devient une instance relativement virtuelle, une instance d’information mais qui n’aura pas beaucoup son mot à dire. Tout privilégie le binôme directeur-président de CME. Les optimistes disent qu’il faudra bien qu’ils s’entendent, mais tout va reposer sur les relations entre deux hommes… »

De toute évidence, la nomination des médecins par le directeur de l’hôpital a du mal à passer. Et soulève une interrogation particulière chez les PUPH. Cardiologue à l’hôpital Georges Pompidou (Paris), chercheur à l’INSERM, le Pr Albert Hagège est aussi vice-président de la Société Française de Cardiologie, mais s’exprime ici en son nom propre : « Le pouvoir renforcé du directeur, qui peut nommer ou pas les médecins, rend les choses compliquées. Comment cela se passera-t-il pour la nomination des hospitalo-universitaires ? Que deviennent le conseil consultatif et la CME, puisque le directeur pourra se passer de leur avis ? La loi HPST suit une logique purement économique, avec une volonté respectable d’améliorer la gestion hospitalière dans l’intérêt collectif, mais la centralisation des pouvoirs ne va pas faciliter les choses, sans compter qu’elle peut être aussi source de dépenses. Comment cette logique économique va-t- elle pouvoir s’harmoniser avec la logique médicale ? L’incertitude plane sur l’avenir des CHU qui forment les médecins, ce qui, comme chacun le sait, ne rapporte pas d’argent mais en coûte ! »

C’est aussi l’avenir qui préoccupe Michel Hanssen, et en particulier la perte d’attractivité de l’hôpital pour les jeunes générations. « Dans le cadre de la fonction publique, l’hôpital na pas été le plus arc-bouté contre les réformes, souligne-t-il. Mais on est en train de charger la barque un peu trop et cela n’est pas bon dans le contexte actuel de la démographie médicale. » En outre, la clause de nonconcurrence, qui interdit à un PH ayant exercé cinq ans dans un hôpital de s’installer en privé dans le territoire d’influence de l’établissement pendant les deux ans qui suivent son départ. « Il va être difficile de faire venir des jeunes à l’hôpital, commente Michel Hanssen. Ils risquent de ne pas y entrer de peur de ne pouvoir en sortir, et cette mesure de protection de l’hôpital public risque d’être contreproductive. »

La portion congrue du secteur privé auprès des ARS

Parmi les huit collèges qui composent la conférence régionale de santé (CRS), celui des « offreurs des services de santé » comprendra notamment cinq représentants des hôpitaux publics désignés par le directeur de l’ARS, dont au moins deux présidents de CME de centres hospitaliers et de CHU, ainsi que deux représentants des établissements privés à but lucratif, dont au moins un président de CME. Ces représentants sont désignés « sur proposition » de leur fédération respective, la FHF pour le public, la FHP pour le privé. Et les libéraux ne sont guère mieux lotis par la composition des conférences de territoire. Sur les cinquante membres au plus qui les composent, dix au plus représenteront les établissements de santé, soit cinq représentants « des personnes morales gestionnaires », et cinq au plus présidents de commission médicale ou de conférence médicale d’établissement, également désignés sur proposition des fédérations hospitalières. Pour les médecins libéraux, le bât blesse deux fois, par la sous-représentation du secteur privé, et la désignation de cette représentation par la FHP. Selon le président de la conférence nationale des présidents de CME du privé, Jean-Luc Baron, cette représentation « réduite à sa portion congrue » est très inquiétante. « Cela signifie que pour faire entendre notre voix sur certains dossiers, nous devrons développer des stratégies d’alliances au sein de la CRS, qui compte un nombre exorbitant de représentants, une centaine. On demande l’avis de tout le monde, mais je crains qu’en fin de compte le seul décideur ne soit le directeur de l’ARS. Quant à la désignation de nos représentants de CME par la FHP, c’est choquant. Nous n’avons aucun problème avec la structure nationale, mais les délégations régionales de la FHP sont des instances autonomes et tout peut arriver, y compris que telle délégation régionale décide de se passer de l’avis des CME ! » Jean-Luc Baron a donc demandé au président de la FHP d’adresser un courrier à leurs représentations régionales respectives les incitant à désigner ensemble les représentants à la CRS. Concernant les conférences de territoire, Jean-Luc Baron souligne, outre là encore une faible représentation des CME, un problème de désignation. Le décret dit en effet que la répartition des sièges tient compte des différentes catégories d’établissements implantés dans le territoire de santé. « Dans nombre de territoires, il n’y a pas de tissu hospitalier diversifi é, avec CHU, CHG, CAC, etc. Dès lors, à qui donnera-t-on la représentation au sein de la conférence de territoire ? »

Cardiologue à Tours, président de la conférence régionale des CME du privé et membre du conseil d’administration de la conférence nationale des présidents de CME du privé, Olivier Bar juge ces décrets « catastrophiques, qui traduisent une tendance apparemment irréversible à la non-reconnaissance des médecins des établissements privés ». « Les tutelles considèrent que les seuls interlocuteurs sont leurs directeurs, analyse Olivier Bar. Cela traduit la volonté d’imposer aux établissements privés des contraintes, dans l’intérêt général, mais sans respect pour l’indépendance des médecins libéraux qui se retrouvent dans la situation complexe où ils sont à la fois libéraux, non représentés auprès des tutelles, responsables individuellement et contraints par les engagements pris par leurs établissements ! » Pour Olivier Bar, tout cela trouve une traduction « scandaleuse » dans le fait que les CME d’établissements privés n’ont aucun statut juridique. Il veut cependant voir une lueur d’espoir : « Le ministère de la Santé a récemment indiqué qu’il allait allouer une enveloppe à la conférence national des présidents de CME du secteur privé, c’est peut-être un début de reconnaissance… »(gallery)

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