Infections associées aux soins : un risque pour le cardiologue ?

335 – En raison d’une incidence très faible des infections en cardiologie, les praticiens ne ressentent pas ce risque comme une menace tangible. Après un regard sur la jurisprudence en vigueur, il convient d’exposer les mesures qui permettent de réduire le risque de contamination, mais également les risques de procédures judiciaires.

La jurisprudence

Une infection est définie comme une IAS, si elle apparaît 48 heures après l’admission à l’hôpital et en l’absence d’une cause extérieure identifiée.

Le principe juridique initial était celui de l’obligation de sécurité-résultat qui faisait peser la responsabilité automatique à parts égales sur les établissements de soins et sur les praticiens réalisant l’acte, même en l’absence de faute avérée.

Après réflexion du législateur, il a été admis que l’IAS pouvait survenir même en l’absence de faute. Dans ce cas, la loi Kouchner (2002) fait prendre en charge par la solidarité nationale l’indemnisation des infections graves (handicap lourd ou ayant causé le décès), si aucune faute n’a été identifiée.

Mais, pour les infections moins graves, et en l’absence de faute retrouvée, la responsabilité repose désormais uniquement sur les établissements. Cela pousse les établissements à tout mettre en oeuvre pour limiter les contaminations (protocoles d’hygiène des mains et de préparation des opérés, responsabilisation du personnel et traçabilité). Il existe une obligation de déclaration (CLIN et DDASS).

Situations cardiologiques à risques et mesures préventives

_ Mesures préventives des infections associées aux soins

Même si les infections sont relativement rares en cardiologie, les actes invasifs sont soumis aux mêmes règles de prévention que celle de la chirurgie classique.

Pour homogénéiser la prise en charge des patients et être systématique, il convient d’établir des protocoles de préparation cutanée de patients, d’hygiène des opérateurs et du personnel paramédical, en se conformant aux règles générales des CLIN des établissements. Il faut également veiller à ce que le personnel dans sa globalité soit formé.

Bien entendu, le matériel au contact du patient à usage unique est la règle dans la très grande majorité des cas. Les codes-barres du matériel peuvent être scannés ou les étiquettes peuvent être collées dans le cahier de police.

Sur le plan médico-légal, il est aujourd’hui impératif d’assurer une parfaite traçabilité des mesures préventives, car en cas de litiges, cela sera scrupuleusement étudié par les experts des tribunaux.

Toutes les actions réalisées doivent être tracées dans la feuille de liaison service d’hospitalisation/bloc (douche antiseptique (1ou 2)), dépilation, mais aussi dans le cahier de bloc (ou cahier de police) des blocs d’interventionnel (détersion, 2 badigeons antiseptiques).

Concernant la dépilation, elle doit se faire à la tondeuse ou par dépilation chimique. Elle doit être réalisée le plus proche du geste pour éviter la colonisation et la pullulation bactérienne au niveau des possibles excoriations. Le rasage est proscrit. Souvent, les équipes utilisent encore le terme « rasage » dans les dossiers, alors qu’il s’agit d’une tonte. Cela est bien dommage, car les conseillers des plaignants « se jettent » sur cet élément, pour invoquer une faute médicale. Il est alors bien difficile de prouver le contraire !

Pour les actes réalisés en ambulatoire, il convient d’interdire le rasage par les patients eux-mêmes et également de faire vérifier par le personnel que la douche a bien été réalisée. Ã défaut, le patient prendra sa douche antiseptique avant de descendre au bloc. Lorsqu’une antibioprophylaxie (pacemaker) est envisagée, il convient de vérifier l’absence d’allergie mentionnée sur le dossier et/ou par l’interrogatoire direct du patient. Au-delà du domaine de la cardiologie, on dénombre plusieurs cas par an de chocs anaphylactiques aux antibiotiques parfois létaux chez des patients connus pour être allergiques. Il va sans dire que la responsabilité est acquise sans pouvoir se défendre !

Bien qu’aucune étude randomisée n’ait prouvé le bénéfice de l’antibioprophylaxie avant l’implantation de pacemaker et de défibrillateur, le principe semble acquis par la communauté cardiologique. L’antibioprophylaxie peut être également discutée lors d’une ponction à travers une prothèse vasculaire en fémoral ou lors d’une fermeture percutanée d’un point de ponction, dans certains sous-groupes (diabétique, personnes âgées).

Rythmologie interventionnelle

En fréquence et en gravité, l’implantation de pacemakers et de défibrillateurs est de loin l’activité cardiologique la plus risquée sur le plan infectieux. Cela s’explique possiblement par le recours à une incision plus large et le positionnement extravasculaire d’un matériel prothétique (boîtier), ce qui réduit d’autant l’efficacité des défenses immunitaires et la pénétration tissulaire des antibiotiques. L’âge avancé des populations concernées et les hématomes fréquents des patients sous anticoagulants (AC/FA) sont autant de facteurs aggravants.

Les praticiens doivent être particulièrement vigilants dans les situations de gestion de complications (tamponnade, repositionnement, extériorisation…). En effet, en période d’urgence ou de stress, l’expérience montre que l’antibioprophylaxie ou la préparation cutanée peuvent être oubliées ou non mentionnées sur le dossier, alors que le risque infectieux peut être plus important.

Il n’est pas rare de faire face à des patients réticents à une implantation d’un côté en raison d’un loisir (chasse, golf…). Il est alors important de rester ferme lorsque l’on considère qu’il existe un risque médical particulier à satisfaire ce choix (infectieux, anatomique…). En effet, un cardiologue s’est vu poursuivi pour avoir accepté de réimplanter en homolatéral (chez un chasseur) un boîtier qui s’extériorisait, aboutissant à un choc septique fatal sur endocardite.

Cardiologie interventionnelle

Le risque concerne essentiellement le point de ponction fémoral, probablement par une incidence plus marquée d’hématome qu’en radial. Si les systèmes de fermeture percutanée réduisent la durée d’immobilisation et le risque d’hématome, ils semblent augmenter de façon corollaire le risque infectieux local. On peut penser que l’existence d’un matériel exogène en positionnement juxtavasculaire et sa communication avec l’extérieur par un pertuis peuvent favoriser l’infection. Il convient donc de s’interroger du rapport bénéfices/risques lors de leur utilisation et de renforcer toutes les mesures d’asepsie.

Bien qu’il ne soit pas possible d’établir une corrélation statistique (en raison du faible nombre de cas), des contaminations de prothèses de hanche ont été relevées au décours d’infection de point de ponction. Cela doit probablement inviter à la prudence chez ces patients sur le choix de la voie d’abord (plutôt radiale), son côté (controlatéral par rapport à la prothèse) et de l’emploi de fermeture percutanée. Après une première ponction, il peut se constituer un abcès localisé sous-cutané. Une ponction itérative quelques jours après pourrait réensemencer et intuitivement transformer une infection locale en septicémie. Le maintien d’un désilet en place plusieurs jours est associé à une augmentation du risque d’infection et est fortement déconseillé.

Echographies transoesophagiennes

Les échographistes sont parfois mis en cause à l’occasion de perforations oesophagiennes se compliquant de médiastinites.

Outre l’indication de l’exploration et la délivrance d’une information écrite, l’expertise s’intéresse à savoir s’il y a eu une recherche préalable d’une pathologie oesophagienne préexistante par l’opérateur. L’expert peut s’intéresser à l’expérience du cardiologue. Si la perforation est habituellement considérée comme un aléa thérapeutique, en revanche, il est souvent reproché aux cardiologues de ne pas avoir organisé une surveillance rapprochée surtout lorsque l’examen a été difficile, ou bien de ne pas être suffisamment attentifs aux plaintes des patients au décours de l’examen. Toute négligence dans la surveillance est source de retard thérapeutique préjudiciable à la victime, pouvant être fatale.

La prophylaxie des endocardites

Il existe un partage de responsabilité entre le cardiologue et le praticien responsable de l’acte contaminant (dentiste, gastro-entérologue…). Le premier doit au patient un devoir de conseil, alors que le second doit interroger ses patients à la recherche d’une cardiopathie à risque avant tout geste potentiellement contaminant. Pour limiter le risque d’oubli, il convient d’organiser une information du patient nécessitant une prophylaxie, à chaque fois que l’occasion le suggère : découverte de la valvulopathie, échographie, après remplacement valvulaire… Une affiche dans la salle d’attente, la remise de brochures et de la carte de prophylaxie de la Fédération Française de Cardiologie seront autant de moyens à utiliser, sans oublier de mettre une annotation dans l’observation et un courrier au médecin traitant (traçabilité). Par une pression antibiotique trop importante, il est apparu des souches plus résistantes. C’est la raison pour laquelle, les recommandations des Sociétés Savantes ont évolué globalement vers une réduction des indications.

L’éducation des patients passe par une évocation du risque infectieux de tout acte instrumental et de l’ensemble des mesures prises pour le prévenir (hygiène, désinfection cutanée, antibiotiques…). Cela permet de leur faire comprendre que le germe vient souvent d’eux-mêmes et que les moyens de lutte ne sont jamais efficaces à 100 % (résistance des germes) et par la même occasion de remplir son devoir d’information. La généralisation d’une telle attitude pourrait vraisemblablement permettre de réduire le nombre de plaintes intempestives pour infections nosocomiales.

En conclusion

_ L’infection associée aux soins est rare en cardiologie, mais ses conséquences sont en revanche dramatiques. L’objectif est donc d’abord d’identifier les personnes à haut risque d’infection, puis d’établir des protocoles de prévention des infections nosocomiales, en s’assurant parallèlement de la parfaite traçabilité des mesures effectuées chez le patient. L’information du patient permet à la fois de remplir une obligation légale, et de réduire le risque de plaintes par une pédagogie du processus.

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