La politique est un métier*

Alors que les projets de loi Rist et Valletoux ont contribué à faire échouer la négociation conventionnelle récente, voilà que le gouvernement remet sur la table, de nouveau via le député Valletoux, une nouvelle proposition de loi « visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels ». L’objectif est-il aussi de faire échouer la prochaine négociation conventionnelle et de rendre inopérante une mission confiée à l’IGAS ?

Un bon diagnostic et de bonnes intentions

Le texte de proposition de loi (PL) déposé le 24 avril par un collectif des membres des groupes Horizons et Renaissance et apparentés et mené par Frédéric Valletoux, Laurent Marcangelli et Aurore Bergé, repose sur un diagnostic clair : « La santé est devenue ces dernières années la première préoccupation des Français, de plus en plus nombreux à être inquiets par les difficultés d’accès aux soins… Au premier plan de cette préoccupation figure le besoin de trouver un médecin à une distance raisonnable du domicile, quel que soit l’endroit où l’on habite et dans un délai raisonnable lui aussi. La première préoccupation des Français doit donc être la première préoccupation du législateur ».

La première ministre, Elisabeth Borne, a indiqué que cette proposition de loi aura vocation à intégrer les mesures issues des conseils nationaux de la refondation territoriaux et a affiché sa volonté de voir examiner cette PL en juin afin de « garantir un accès aux soins à chacun, où qu’il vive ».

Le remède est-il adapté ?

Le remède proposé au terme du diagnostic parait cependant loin d’être adapté : qu’on en juge sur deux articles de cette proposition de loi.

  • L’article 4 vise à « rendre effective la participation obligatoire à la permanence des soins pour tous. Il prévoit la possibilité pour le Directeur général de l’Agence régionale de santé d’appeler les établissements de santé publics et privés à contribuer à la permanence des soins hospitalière ».
    Ce que demande la population est d’avoir accès à un médecin, or, en rendant obligatoire la permanence de soins, il est possible que cela diminue l’accès aux soins. En effet, la loi imposant un repos de sécurité après une garde de nuit, il devient possible que les médecins ayant assuré cette garde ne puissent plus travailler le lendemain de celle-ci faisant perdre de nombreux jours de consultations et donc diminuant l’accès aux soins.
    Plus encore, cette mesure risque de décourager les candidats-médecins qui souhaitent un certain équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle à poursuivre leurs études de médecine voire à exercer la médecine praticienne.
    De façon pragmatique, pour favoriser l’accès aux soins, il vaut mieux deux médecins consultant à mi-temps et ne participant pas à la permanence des soins, plutôt qu’aucun médecin…
  • L’article 7 vise à « interdire l’intérim médical à tous les professionnels, médicaux et paramédicaux, en début de carrière, dans des conditions définies par décret ».
    En dehors de son coût, le problème de l’intérim vis-à-vis de l’accès aux soins parait être celui de médecins hospitaliers ou libéraux ayant déjà une forte clientèle et qui arrêtent leur activité stable pour exercer en intérim plus rémunérateur en moins de temps de travail.
    Le professionnel en début de carrière est parfois hésitant sur son futur mode d’exercice et l’intérim peut transitoirement l’aider à envisager ce qu’il fera.
    Lui interdire l’intérim d’emblée plutôt qu’au-delà éventuellement d’une certaine durée d’un tel exercice pourrait ainsi contribuer à décourager certains candidats-médecins à poursuivre leurs études médicales.
    Encore un effet pervers potentiel non adapté à la situation.

La politique est un métier. Proposer des solutions impose de prendre en compte leurs effets pervers potentiels ou évidents. Plus encore, les proposer de façon unilatérale expose à une crispation des acteurs de santé qui ne sont plus envisagés comme partenaires mais comme variables d’ajustement des carences passées.

Et un OVNI : quel est l’objectif réel de l’article 8 ?

  • Enfin, l’article 8 vise à « permettre le contrôle, par les juridictions financières et les organismes de contrôle administratif, des cliniques privées et de leurs sociétés satellites ainsi que des sociétés qui exercent sur elles un contrôle direct ou indirect, en permettant que leur soient transmis les documents comptables et financiers correspondants. »

Faut-il considérer que cette mesure vise à mettre sous tutelle administrative et financière les établissements de soins privés ? Est-ce cela qui permettra de résoudre les problèmes des urgences et de l’accès aux soins ? Et cela, alors que mission a été confiée à l’IGAS de piloter une équipe devant élaborer rapidement des scénarios pour un nouveau modèle de financement des établissements de santé tenant compte des objectifs de santé publique.

Cette mission débutée en février 2023 a pour objectif de concrétiser l’annonce faite le 6 janvier dernier par le président de la République de sortir de la tarification à l’activité pour 2024. Veut-on aussi faire en sorte que les établissements de soins privés refusent toutes les propositions de l’IGAS ?

François Diévart

* Titre emprunté à un excellent livre de Michael Darmon (édition L’observatoire, mai 2019).

© Antoine Monat – Fotolia

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