339 – Avant la demande d’autorisation de mise sur le marché, une molécule passe par trois phases d’essais cliniques impliquant des personnes, qui elles-mêmes ne peuvent avoir lieu que si les résultats de l’expérimentation animale ont été jugés prometteurs et non dangereux. Une première phase permet de déterminer la tolérance du médicament et son innocuité. Dans la seconde phase d’essais cliniques, on teste l’efficacité du produit sur de petites populations, en vérifiant que le rapport bénéfice/tolérance est favorable, et l’on recherche la dose optimale, autrement dit la dose utile pour le meilleur effet thérapeutique et le moins d’effets secondaires. Enfin, les essais cliniques de phase 3 se déroulent dans des conditions aussi proches que possible des conditions habituelles d’utilisation et le rapport efficacité/tolérance est vérifié sur un grand groupe de malades, de plusieurs centaines à plusieurs milliers. C’est à ce stade que sont identifiés les précautions d’emploi et les risques d’interaction avec d’autres médicaments. D’autres essais dits de phase 4 ont lieu après la mise sur le marché, tout au long de la vie du produit.
Des dysfonctionnements regrettables
C’est après cette série d’essais que le laboratoire dépose une demande d’autorisation de mise sur le marché selon trois procédures possibles. Obligatoire pour les produits issus des biotechnologies et optionnelles pour certaines molécules innovantes, la procédure centralisée oblige le laboratoire à faire sa demande d’AMM auprès de l’Agence Européenne pour l’Evaluation des Médicaments (EMEA) ; s’il l’obtient, cette AMM est valable dans tous les états membres de l’Union européenne. Dans la procédure de reconnaissance mutuelle, le laboratoire fait sa demande d’AMM dans un des États membres de l’UE et, une fois octroyée, cette autorisation s’étend aux autres États membres par reconnaissance mutuelle. Enfin, une firme peut choisir de déposer une demande d’AMM dans tous les États membres ; l’évaluation est faite par un État choisi comme État référent, et l’autorisation accordée l’est dans tous les États membres. En France, les demandes d’AMM sont faites auprès de la commission d’AMM, l’une des onze commissions de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé. Établissement public créé en remplacement de l’Agence du médicament, l’AFSSAPS est chargée de l’évaluation, du contrôle et de l’inspection de tous les produits de santé destinés à l’Homme. Entre autres missions, l’AFSSAPS a notamment celle de garantir la sécurité, la qualité et les bons usages des produits de santé. Ce qui signifie qu’elle étudie et expertise en permanence les données qui modifient la connaissance de ces produits de santé, et s’appuie pour ce faire sur la commission de pharmacovigilance. C’est dans le cadre de cette mission qu’elle peut demander des études complémentaires sur un produit en cas d’incident rapporté. Le rapport de l’IGAS sur l’affaire du Médiator a montré que c’est à ce niveau que se sont manifestés des dysfonctionnements regrettables.
Une fois qu’un médicament a obtenu son AMM, pour prétendre à être remboursé par l’Assurance Maladie ou être disponible à l’hôpital, il doit faire l’objet d’une évaluation d’une autre nature. La Commission de la Transparence, qui siège au sein de la Haute Autorité de Santé (HAS), évalue d’un point de vue scientifique le Service Médical Rendu (SMR) par ce médicament, ainsi que son intérêt par rapport à la thérapeutique déjà sur le marché, c’est-à-dire son niveau d’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR). C’est en s’appuyant sur l’avis de la Commission de la Transparence que le ministre en charge de la Santé décide ou non d’inscrire le médicament sur la liste des produits remboursables par la Sécurité Sociale, le taux de remboursement étant du ressort de l’Assurance Maladie. Par ailleurs, l’avis rendu par la Commission de la Transparence sur le SMR du médicament est également transmis au Comité Economique des Produits de santé (CEPS) avec lequel les industriels de la santé négocient le prix de leurs produits.
Un système trop complexe
Sur le papier, ce circuit médico-administratif du médicament semble présenter toutes les conditions de sécurité souhaitables. L’affaire du Médiator a pourtant montré que l’efficacité n’était pas pour autant au rendez-vous. Selon un cadre d’un grand groupe pharmaceutique, « le système est trop complexe de par le nombre des institutions et des divers services et commissions qu’il comporte. Il en découle une lenteur dans les prises de décision et des dysfonctionnements. » « Une fois que la commission d’AMM a fait son travail, la Commission de la Transparence, au sein de la HAS, refait le même travail ; ce n’est ni utile, ni nécessaire, ajoute-t-il. Et si les avis de ces deux commissions divergent, à laquelle faut-il se fier ? En outre, la commission de la Transparence ne décide pas, mais donne un avis. Sur lequel se fonde la décision ministérielle ; mais comment décide le ministre, et peut-il aller contre un avis de la Commission de Transparence ? Et sur quoi se fonde l’UNCAM pour décider du taux de remboursement d’un produit ? Les circuits et les responsabilités se chevauchent sans grande efficience ». Pour ce cadre de l’industrie, « la simplification du système s’impose pour optimiser le circuit des décisions ».
Pour Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences Po, « les agences ont eu pour effet de bâtir un système d’expertise. Mais ce système s’est figé avec le temps avec un petit nombre d’experts sur chaque sujet. Il faut une expertise, mais en alerte permanente et non pas caparaçonnée sur elle-même. » Celui qui fut le premier directeur de l’ex-Agence française du médicament plaide pour un « audit déontologique ». « Il faudrait davantage d’audit externe qui, en lien avec les cellules internes aux institutions, contrôle et mette en permanence la pression pour garder cette vigilance indispensable. » ■ _ _ —————— ——————
Une pharmacovigilance à réformer
Manifestement, l’affaire du Médiator a montré la faiblesse du système de pharmacovigilance français. « Il faut le renforcer et y mettre les moyens nécessaires, estime ce cadre de l’industrie pharmaceutique. Si un million d’euros devait être investi quelque part, c’est bien dans la pharmacovigilance qu’il devrait l’être. Nous sommes un pays sans grande banque de données pharmacoépidémiologiques. » Un avis que partage Didier Tabuteau, qui préconise, lui, « que, comme les vétérinaires, les médecins et les pharmaciens aient un mandat de santé publique pour la pharmacovigilance, inscrit dans la convention et rémunéré. Il n’est pas normal qu’aussi peu de cas remontent depuis les cabinets médicaux. »(gallery)