L’EPP selon la méthode UFCV : évaluation largement positive par ceux qui l’ont vécue

Sur les 250 questionnaires envoyés aux médecins ayant déjà satisfait à une procédure d’EPP, 129 réponses sont parvenues à l’UFCV, ce qui constitue un taux exceptionnel quand on sait que ce genre d’enquête est considéré comme un succès avec 10 % de réponses. C’est donc la preuve que le sujet intéresse. Passionne, même. Pour autant, rien ne permet de considérer les réponses comme significatives d’une opinion partagée, au sens statistique du terme, puisque le panel interrogé n’est pas rigoureusement représentatif de la population des cardiologues. Elles permettent cependant d’avoir une bonne appréciation du vécu de l’évaluation des pratiques par des pionniers appelés… à ne pas le rester.

L’âge n’est pas rédhibitoire, au contraire !

La première information porte sur le profil des médecins évalués. Ce sont des hommes à 85 %. L’âge moyen des participants qui ont renseigné cette question est assez élevé : 53,9 ans. Ainsi, 74 % ont 50 ans ou plus, 14 % ayant même dépassé la soixantaine alors que seulement 12 % ont moins de 45 ans. Deux explications sont possibles : soit les plus jeunes estiment qu’ils ne sont pas redevables de cette démarche, leurs études, encore proches, leur conférant toujours une pratique exempte de reproche. Soit ils ne sont pas assez mûrs pour s’exposer aux regards de leurs pairs, toujours dérangeants dans un tel exercice (figure n° 1 ci-dessous).

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Le biais réside aussi peut-être dans le recrutement des médecins concernés qui ne s’est fait, pour la vague initiale, que dans onze des vingt-deux régions métropolitaines, avec quatre régions fortement prévalentes : PACA, 29 % (dont plus de la moitié sur le seul département des Alpes-Maritimes) ; Languedoc- Roussillon, 17,5 % (dont les deux tiers dans l’Hérault) ; Ile-de-France, 16 % (mais seulement 2 % dans Paris intra-muros) et le Centre, 12 %. Une répartition géographique qui ne recoupe pas la carte de la démographie des cardiologues libéraux mais qui porte la signature géographique des premiers recrutements de l’EPP de l’UFCV (figure n° 2 ci-dessous).

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Quatre-vingt-cinq pour cent des participants tirent bénéfice de l’EPP

Parmi les médecins qui ont répondu au questionnaire, 54 % indiquent avoir déjà débuté une évaluation pérenne (14 % déclarant même avoir déjà participé à une autre procédure d’évaluation, dont le tiers avec leur URML). En ont-ils tiré bénéfice ? Leur réponse est incontestablement oui puisque 85 % affirment avoir ressenti, depuis, « un changement, une amélioration dans (leur) pratique professionnelle » – d’autant que 30 % ont, depuis, éprouvé le besoin de suivre ensuite une FMC en relation avec le référentiel choisi dans le cadre de cette EPP (tableaux n° 1 et n° 2 ci-dessous).

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Un bénéfice tellement ressenti que les trois quarts ont spontanément conseillé à leurs confrères de s’y mettre à leur tour. Cependant, même si cette démarche est bénéfique pour la pratique, donc pour la qualité des soins, seulement 46 % de ceux qui l’ont pratiquée estiment qu’elle devrait être « valorisée auprès des patients ». Essentiellement par un affichage dans la salle d’attente (47 % de ceux qui le souhaitent), ou encore par une mention sur l’ordonnance (20 %) ou un diplôme ad-hoc (17 %) mais pas par un supplément d’honoraires (1 %) (tableaux n° 3 et n° 4 ci-dessous).

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Le chèque « EPP-Formation » plébiscité

Et quand l’UFCV demande dans son questionnaire, sans référence aux patients cette fois, comment valoriser cette démarche d’évaluation, « l’augmentation des honoraires via un secteur d’excellence », n’arrive pas en tête des réponses, avec le tiers des suffrages, mais en deuxième position derrière « une indemnisation ou un chèque formation » (63 %) et légèrement devant le crédit d’impôts (27 %). Il faut vraisemblablement voir là l’effet de l’obligation légale d’EPP posée par la loi de réforme de l’assurance maladie. Dès lors que la loi l’impose, la question de la valorisation tarifaire auprès des malades perd de sa pertinence (figure n° 3 ci-dessous).

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Mais il existe d’autres explications. Que le premier choix des médecins pour une éventuelle valorisation se porte sur l’indemnisation ou le chèque formation, voire le crédit d’impôts, renvoie au problème du financement de l’EPP qui n’est toujours pas officiellement réglé. Même si, dans une lettre récente de l’UFCV, Christian Ziccarelli et Jean-François Thébaut considéraient que « la participation financière de chacun de nous semble inéluctable », ils devront encore convaincre puisque seulement 17 % des répondants seulement se disent « prêts à participer financièrement » à leur EPP, les autres estimant que l’État (69 %), l’industrie (12 %) ou les compagnies d’assurance (11 %) devraient y investir. Problème : les mécènes étant, par nature, une espèce rare en voie de disparition, les financeurs auront naturellement la tentation de contrôler le produit de leur investissement… (tableau n° 5 ci-dessous).

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|EPP « pérenne » : menu à la carte plutôt qu’imposé| |Ce questionnaire a été réalisé auprès du panel de cardiologues entrés dans la démarche d’EPP proposée par l »UFCV sous la forme de ce qu’on appelait antérieurement une « EPP ponctuelle », précédant dans les textes (et dans le catalogue de l’UFCV) l’EPP pérenne qui suppose un engagement plus assidu. Le catalogue de l’UFCV propose, à ce titre, diverses formules présentielles ou « en ligne » (accessibles par le net). _ Les intentions d’action sont en fait assez diverses, suggérant qu’en matière d’EPP les cardiologues préfèrent la carte au menu imposé.|

Une composante de l’éthique professionnelle…

On trouve une autre raison à la réticence des médecins à la valorisation de leur EPP dans une réponse à une autre série de questions. En effet, 86 % des médecins évalués sont d’accord (45 % « tout à fait » et 41 % « plutôt ») avec l’assertion selon laquelle « une évaluation régulière fait partie de l’éthique professionnelle du médecin ».

Les réponses aux autres questions de type « d’accord-pas d’accord » apportent également une bonne image de la vision que les médecins évalués ont eue de leur évaluation. Confirmation : l’EPP permet à un médecin d’améliorer sa pratique (87 %). Mais pas celle de ses confrères… dont la pratique serait de qualité insuffisante (65 %). L’EPP a donc, pour les répondants, une efficacité individuelle mais pas collective. Ce qui est d’ailleurs corroboré par le fait que l’EPP n’est pas jugée, majoritairement, comme un moyen de réduire les dépenses de l’assurance maladie. On remarque aussi que, même si les référentiels sont un peu considérés comme une limitation à la liberté des médecins (22 % d’accord), ces référentiels apparaissent très largement (91 % d’accord) comme une aide à la pratique quotidienne.

Un cadre méthodologique et juridique encore mal maîtrisé

En revanche, on peut s’étonner de voir un tiers des médecins qui ont participé à une EPP ne pas savoir que les référentiels ne sont pas élaborés par des personnels administratifs, mais par des cardiologues libéraux, en activité, avec l’aide d’experts et qu’ils sont tirés de recommandations des sociétés savantes, nationales ou internationales. De même, il est surprenant de voir toujours un tiers de ces médecins, qui ont suivi l’évaluation, ne pas savoir que, lors d’une EPP, personne ne peut être sanctionné pour des manquements sur sa pratique. Sauf, c’est vrai, et la loi le prévoit, pour une pratique qui serait jugée gravement dangereuse. Pour le reste, si sanction il peut y avoir, c’est pour défaut d’EPP et de FMC pérennes et quinquennales (figure n° 4 ci-dessous).

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INTERVIEW DE PIERRE-ANTOINE AYRIVIÉ
 

Le médecin évalué « S’évaluer, c’est évoluer »

Cardiologue libéral, installé seul à Béziers, Pierre-Antoine Ayrivié (pionnier et… récidiviste) a été l’un des premiers à se lancer, à quelques années de la retraite, dans l’évaluation de sa pratique. Il y a manifestement pris goût. Entretien : Jacques Vallet.

Le Cardiologue – Comment se lance-t-on dans une démarche d’évaluation de sa pratique ? _ Pierre-Antoine Ayrivié – La première fois, il y a deux ans, c’était une EPP dans le cadre de l’URML. Il y avait un côté pionnier, et c’est toujours agréable d’être parmi les premiers à fouler un sentier, à le défricher. Quand on m’a proposé cette forme d’évaluation, j’ai donc accepté l’expérience. C’était pour voir si c’était réalisable, pour faire le point sur mon activité : on a toujours quelque chose à modifier.

Les vingt premiers patients à l’aune de deux référentiels.

Le C. – Quel type d’EPP avez-vous suivi ? _ P.-A. A. – Nous étions cinq ou six réunis pour les explications méthodologiques des médecins habilités puis nous avions des formulaires à remplir, au cabinet, pour les vingt premiers patients vus sur deux référentiels : le dossier médical et l’HTA… je crois.

Le C. – Vous n’avez donc pas été marqué au point de vous souvenir précisément du second référentiel ? _ P.-A. A. – Non, on apprend tellement au jour le jour. J’ai suivi le protocole, j’ai fait mon référentiel, voilà. Et j’ai vu ce que je pouvais en retirer. Une modification de la manière de travailler sur deux points bien précis. Sur le dossier médical, avoir systématiquement l’adresse et le numéro de téléphone actualisés des patients. Je croyais le faire, mais je me suis aperçu que la secrétaire ou moi pouvions oublier de demander si les numéros avaient changés. Sur l’HTA, je ne précisais pas suffisamment, dans les conclusions, les objectifs à atteindre par le patient.

Le C. – Comment se sont passées les réunions avec les médecins habilités ? _ P.-A. A. –Dans la réunion qui suivait notre travail sur chacun des deux référentiels, c’étaient les réponses du groupe qui étaient évaluées. Personne n’était donc montré du doigt en cas d’écart avec le référentiel. Pourtant j’ai remarqué que chaque fois que l’un de nous était « en faute », entre guillemets, il cherchait toujours une mauvaise raison pour se justifier. Personne n’accepte facilement d’être surpris en dehors des clous. De ne pas être parfait.

Le C. – Est-ce que cette pratique d’évaluation vous a semblé naturelle ? _ P.-A. A. – Non, pas du tout. Comme les confrères, j’ai même trouvé cela déstabilisant au départ. Je trouve aussi que la finalité de la chose c’est en outre d’uniformiser les tendances. Est-ce parce que la médecine est devenue de plus en plus technique ? On s’aperçoit que l’on est obligé d’avoir des consensus pour être en mesure de dire : je soigne bien mon patient puisque que je suis dans les règles. On peut évidemment en sortir avec de bonnes raisons, mais avec le risque d’être très ennuyé si ça ne marche pas. Finalement, c’est peut-être cela l’EPP : un rappel des règles. Je crois d’ailleurs que c’est utile à tous, même à ceux qui sortent avec un diplôme tout neuf parce que l’on ne travaille pas de la même manière à l’hôpital, en formation ou en cabinet.

Lorsque l’on a pris de mauvaises habitudes, elles sont difficiles à perdre .

Le C. – Êtes-vous décidé à poursuivre l’évaluation ? _ P.-A. A. – J’en ai déjà fait une autre. Comme l’UFCV m’a proposé la même EPP, j’ai recommencé après avoir vérifié que je ne prenais la place de personne et avec pour autre motivation de voir ce qui me restait de la première. Je me suis aperçu qu’il y avait des choses que je faisais moins bien, que j’avais déjà oubliées. C’est la preuve que lorsque l’on a de mauvaises habitudes, elles sont difficiles à perdre ! C’est cela l’EPP : s’évaluer pour évoluer. Inversement, j’ai vérifié que je fais des choses depuis ma première évaluation que je ne faisais pas auparavant. Je vais aussi, dans le cadre de mon activité d’expert auprès des tribunaux, suivre un groupe de pairs. Ce n’est pas obligatoire mais je suis sûr que cela va m’aider de voir comment font les autres.

Le C. – Pas d’évaluation en ligne ? _ P.-A. A. – Je suis juste allé voir le site de l’UFCV, au début, quand les cas cliniques ont été mis en ligne. J’ai fait deux cas, c’était sympa. Je trouve cependant que c’est très tolérant. J’aurais préféré parfois que l’on me dise : « là, tu t’es trompé ».

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INTERVIEW DE PATRICK JOLY

Le médecin habilité « Nous sommes des stimulateurs, pas des censeurs »

Patrick Joly a accepté la proposition de la HAS de devenir « médecin habilité ». Ce cardiologue interventionnel marseillais explique ce que l’on peut appeler « l’envers du décor de l’évaluation ». Entretien : Jacques Vallet

Le Cardiologue – Qu’est-ce qui conduit à devenir médecin habilité ? _ Patrick Joly – La curiosité du système et une certaine dose d’optimisme pour considérer qu’il pourrait aller mieux. La Haute Autorité de Santé m’a proposé de devenir médecin habilité, j’ai rempli les papiers et j’ai tenté l’expérience.

Le C. – Comment s’est passée la formation ? _ P. J. – C’est assez contraignant : trois ou quatre week-ends à Paris. Mais c’est intéressant. C’est bien fait, très formaliste, un peu rigide. Ils nous font passer le message qu’il faut avoir, certes, de la méthodologie mais aussi beaucoup de souplesse et beaucoup d’évolutivité. Les règles sur la HAS se modifient en permanence, elles ont déjà changé trois fois depuis que je suis habilité : il faut savoir s’adapter.

Le C. – Comment intervient-on lorsque l’on est médecin habilité ? _ P. J. – Ã la demande d’un groupe de médecins, par exemple dans une clinique, à la demande de l’URML ou d’une association agréée comme l’UFCV. On nous demande si l’on veut animer une EPP individuelle ou collective. Nous sommes là pour aider les médecins, théoriquement motivés – de manière obligatoire ou volontaire – dans leur démarche. En les conduisant dans une voie, en expliquant où la méthodologie pêche, en les encourageant surtout.

Le C. – Quelles sont les demandes les plus courantes des médecins évalués ? _ P. J. – Assez basiques au départ : satisfaire à leur évaluation obligatoire. Les autres demandes viennent progressivement, quand ils découvrent. Quand ils s’aperçoivent qu’ils faisaient déjà de l’évaluation sans le savoir, sans la bonne méthodologie. Le problème est de faire passer l’idée que cette pratique répond désormais à un besoin d’organisation, dans le cadre d’une évaluation globale et de certification.

Le C. – Le message est-il si difficile à faire passer ? _ P. J. – Oui, parce qu’il existe des médecins qui adhèrent spontanément et ceux qui traînent les pieds. Dans un groupe, je dirais qu’il y a au moins 30 % de perte. Dans le meilleur des cas, ils ne viennent plus, ne font pas ce qu’on leur demande. Sinon, c’est le mauvais esprit, ils crient au flicage… On apprend à gérer.

Le C. – Avez-vous participé à de nombreuses EPP ? _ P. J. – J’ai aidé à une EPP individuelle, trois dans le cadre d’établissements privés et quatre EPP collectives : un groupe de cardio, un de rhumato, un de généralistes, un d’endocrino. Vous savez que l’on n’intervient pas seulement dans sa discipline. Cela renforce l’idée selon laquelle le médecin habilité n’intervient pas en juge et censeur de sa spécialité mais bien pour porter une méthodologie inter-spécialités.

Le C. – Pensez-vous qu’il faut améliorer l’EPP ? _ P. J. – Non, l’EPP est un mouvement en cours pour sensibiliser les médecins au fait que rien n’est figé et qu’ils peuvent s’améliorer quel que soit leur âge – fort heureusement une majorité de la population médicale fait de la FMC – mais il n’y a pas que cela. Dans le cabinet médical, dans la gestion des dossiers… on peut aussi s’améliorer. Quand on propose des idées, des trucs, les médecins s’accrochent. Écrire sur écran plutôt qu’à la main pour que le remplaçant ou le successeur lise les dossiers, c’est aussi de l’EPP ! L’évaluation, c’est de la sensibilisation, surtout au moment où les médecins, avec la surcharge de travail et le ras-le-bol actuel, ont davantage envie de loisirs que de travailler deux fois plus que la population générale au risque de se faire reprocher de gagner trop. Il faut donc marcher sur des oeufs, mais le but est qu’à chaque réunion d’EPP chacun ait un élément qui le stimule. Il faut donc des piqûres de rappel régulières.

Le C. – On fait comment ? P. J. – Pour les spécialistes qui travaillent en clinique, c’est assez simple : les staffs sont de gros moteurs. Pour les autres, je pense qu’il faut incorporer des séances d’EPP dans la FMC, que l’évaluation devienne une composante comme l’EPU. On va à une réunion d’EPP, comme à une réunion de FMC, sur un sujet particulier où chacun est sensibilisé.

Le C. – Vous supprimez donc définitivement les frontières entre EPP et FMC ? _ P. J. – La première est une stimulation à l’organisation et à la meilleure pratique de tous les jours, souvent par du formalisme. La seconde est une stimulation à une meilleure pratique en connaissant mieux les choses. Même si c’est un peu différent, la base est la même.(gallery)

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