Les 50 ans d’internet – 4e partie

Notre dernière partie des 50 ans d’internet est consacrée à la tech-santé. Si la venue de l’informatique a développé le domaine de la Santé, l’introduction ces dernières années de l’IA, de la RA, (1) du machine learning et des datas données a considérablement changé la gestion de tous les secteurs de la santé. En ce début d’année 2020, un autre paramètre est venu bouleverser l’e-santé : la pandémie liée au coronavirus et les répercussions qu’elle générera.

L’ère de la santé

Amorcée dans les années 1970, l’ère de l’informatique et du numérique a permis le développement des recherches clinique et technologique (logiciels, matériels, numérisation des premiers projets de dossiers patients).

Comme tous les domaines, la santé est aujourd’hui largement influencée par le web : hôpital numérique (développement et modernisation des Systèmes d’Information Hospitaliers [SIH]), patients-acteurs de leur santé, télémédecine, suivis des traitements, dossiers médicaux, objets connectés, applications santé… les sujets sont nombreux. 

La conjugaison de la santé et du numérique offre des perspectives sans limites. 

Il est aussi sujet à des malversations comme le hacking, les fake-news, les stalkers ou le vol d’informations ou de données.

Les domaines de l’e-santé

  • La télémédecine. C’est le domaine de la téléconsultation, de la téléexpertise, de la télésurveillance, de la téléassistance et de la régulation médicale.
  • Les systèmes d’information en santé. Systèmes d’Information Hospitaliers, dossier patient informatisé, information partagée…
  • La télésanté. Services de suivi et de prévention avec objets connectés, applications mobiles, plateformes web.
  • La m-santé. Applications mobiles ou web, objets connectés, communautés de patients, portails d’information de santé.
  • Les dispositifs de soins. Systèmes d’Information Hospitaliers (SIH) internes, systèmes d’information partagés, systèmes d’information embarqués, dispositifs de télémédecine.
  • Les données. Dispositifs de collecte et de stockage des données, traitement algorithmique de données massives. Nous sommes ici à l’épicentre de l’e-santé. Et les acteurs y sont nombreux ! Les Gafam en tête s’y sont lancés il y a déjà plusieurs années afin d’imposer leur prise de pouvoir, car tout le futur de la médecine se trouve ici (voir Le Cardiologue 419). Il faut dire que ce marché mondial du numérique est estimé à plus de 230 milliards de dollars d’ici à trois ans, (2) ce qui a de quoi aiguiser les appétits !

En raison de leurs puissances financières, le développement du marché de la e-santé ne peut se faire sans les Gafam, même si leurs interventions diffèrent. Microsoft et Facebook, par exemple, se positionnent sur les données. Google travaille sur des projets d’Intelligence Artificielle (IA) et Apple continue le développement de l’Apple Watch permettant notamment de réaliser un électrocardiogramme directement depuis le poignet (voir Le Cardiologue 429).

Des entreprises françaises telles Withings, La Poste, Orange ou de nombreuses start-up y portent également leurs ambitions, tant dans le big data que le développement des technologies issues de données. 

Ces données sont également le domaine des technologies d’intelligence artificielle, de la réalité augmentée (chirurgie notamment et le recalage dynamique) ainsi que du machine learning qui donne la faculté à un ordinateur d’améliorer ses performances afin de résoudre des tâches sans avoir été programmé.

  • La Healthtech. L’avenir est dans l’IA, ou Intelligence Artificielle, qui est un ensemble technologique (neurobiologie computationnelle, logique mathématique et informatique) capable de simuler l’apprentissage et/ou le raisonnement. Elle devrait être complètement mature d’ici 2030. (3)

Elle s’est essentiellement développée dans les secteurs de l’imagerie, du diagnostic, du développement de médicaments et du traitement des données médicales, indispensable aux besoins de traitement algorithmique.

La stratégie politique

Mais rien ne pourrait fonctionner si les pouvoirs politiques ne mettaient pas en place des stratégies innovantes. C’est Marisol Touraine qui a présenté en 2016 la stratégie nationale e-santé 2020, s’articulant autour de quatre axes (4) :

  • développement de la médecine connectée à travers un plan « big data » en santé. Ce plan permettra par exemple la mise au point de nouvelles applications de suivi à distance ou d’interprétation des données médicales pour assister les médecins dans leurs diagnostics ;
  • encouragement de la co-innovation entre professionnels de santé, citoyens et acteurs économiques par le lancement d’appels à projets dédiés à l’e-santé ou le développement de living labs (5) afin d’imaginer, en lien direct avec les utilisateurs, la médecine de demain ;
  • simplification des démarches administratives des patients (admission, prise de rendez-vous en ligne, etc.) et outiller la démocratie sanitaire à l’aide d’une plateforme numérique facilitant la consultation et la participation des usagers ;
  • renforcement de la sécurité des systèmes d’information en santé grâce à un plan d’action dédié.

Cette orientation politique devrait permettre à la France de rester à la pointe en matière d’innovation et « d’entrer pleinement dans l’ère de la médecine digitale ». Agnès Buzyn a continué ce mouvement avec la création d’une délégation ministérielle du numérique en santé, de l’Agence du Numérique en Santé et du Conseil numérique en Santé.

Hacker, fake-news et désinformation

Mais ces évolutions de la healthtech vont de pair avec les questions essentielles de sécurité et un besoin conséquent de compétences et d’outils dans le domaine de la cybersécurité appliqués à l’e-santé.

C’est un secteur sensible par les données qu’elle génère et l’économie qu’elle suggère. 

Les fake-news ou désinformation

Comme tout secteur d’activité, les désinformations ou fake-news sont nombreuses en Santé et les exemples ne manquent pas : « piquer les doigts et les oreilles d’une personne pendant une crise cardiaque peut lui sauver la vie », « l’eau salée peut guérir d’Ebola »… Lors de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire de la pandémie du Covid-19, des retweets de comptes de différents pays sont soudainement apparus afin de contribuer à une désinformation organisée pour nuire à la politique et aux systèmes de santé des pays concernés.

Les hackers ou cyberattaques

Faux e-mails, fausses notes internes ou fausses alertes, l’inspiration des hackers est sans limites. Lors de l’épidémie du Covid-19, les spécialistes n’avaient jamais vu autant de campagnes de spams d’une telle ampleur (Google bloque chaque jour 18 millions de tentatives d’arnaque). Même l’OMS s’en était émue. Les cybercriminels ont surfé sur la peur. C’est d’ailleurs en partant de ce constat qu’un collectif international de 400 experts a été créé afin de lutter contre les piratages des institutions situées en première ligne face à la pandémie.   

Ces attaques, pour certaines, auraient pu avoir des conséquences redoutables. Les serveurs de l’AP-HP, par exemple, ont subi une attaque par déni de services (DDos) au cours de laquelle, brutalement surchargés de requêtes inutiles, ils ont été noyés et rendus inaccessibles. Le département américain de la santé et des services sociaux a également subi une cyber-attaque orchestrée pour ralentir les systèmes informatiques et déstabiliser l’institution. Le site de la Sécurité sociale italienne visé par des pirates a dû fermer alors même que les demandes d’aides liées au Covid-19 s’accumulaient. Plus récemment, les hôpitaux tchèques ont subi une tentative d’attaque, bloquée avec succès.

Covid-19 : Le retournement de situation

La crise sanitaire actuelle pourrait changer le cours de l’histoire de la healthtech. Des appels à projets sont lancés pour désengorger le système de soins avec des solutions concrètes (information, soins à domicile, suivi des patients, prise en charge médicale, etc.). [6]

Dans un autre registre, un groupe de médecins plaide pour le recours à l’IA via la méthode CovidIA (7) qui mettrait « en œuvre des modèles d’intelligence artificielle à partir d’hypothèses de départ sur la maladie et de résultats de tests combinés à des données issues de la géolocalisation, de manière contrôlée, anonyme et agrégée ».

Dans le Grand Est, le nombre de téléconsultations multiplié par cinq interroge pour la suite à donner à cet élan informatique, notamment pour des patients suivis régulièrement, certains médecins se demandant si une partie de leur activité n’allait pas devenir de la téléconsultation.

Cette mobilisation a fait ressortir l’illettrisme et les difficultés qu’ont un certain nombre de Français à accéder aux réseaux ou simplement à un ordinateur.

La « facilitation » numérique

Ces difficultés d’accès au numérique ne doivent pas faire oublier qu’envoyer un e-mail ou télécharger une attestation n’est pas donné à tout le monde. Une tranche importante de la population française (21 % selon une enquête de l’Insee en 2019) manque d’équipement informatique, a des difficultés d’usage ou se trouve en zone blanche. Cette situation actuelle a [enfin] poussé le gouvernement à raccorder tout le pays en très haut débit d’ici deux ans.

Conclusion

L’e-santé, qui s’est bâti avec une agrégation de technologies, connaît un développement exponentiel dû à la transition digitale et aux innovations. Reste une nécessaire mobilisation de tous les acteurs pour qu’une coordination des actions et de la recherche de synergies soit la plus efficace possible dans l’intérêt des patients, des médecins et de tous les acteurs liés à l’exercice de la Santé.

Pascal Wolff

(1) IA : Intelligence Artificielle – RA :  Réalité Augmentée
(2) bpifrance.fr
(3) bpifrance.fr
(4) Document du ministère de la santé à télécharger sur notre site au format pdf.
(5) Le living lab est une méthodologie où citoyens, habitants, usagers sont considérés comme des acteurs clés des processus de recherche et d’innovation.
(6) coalitioncovid.org
(7) reseau-healthtech.fr

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