Les cardiologues et les administrations : des mondes bien différents

334 – Le monde des médecins: des horaires de travail très lourds

Ce n’est pas un scoop, mais ceci a été confi rmé officiellement par une enquête récente de la DREES. _ Cette enquête confirme le constat que le temps médical est précieux, et doit être optimisé. C’est l’une des données qui rend souvent difficilement supportable certaines contraintes administratives. _ Voici quelques scènes de la vie ordinaire des cardiologues recueillies dans le courrier reçu au Syndicat en moins d’un mois.

Les horaires de l’administration et ceux des médecins

En juillet dans une autre région, une réunion a été prévue à l’ARS, à propos du SROS, avec des responsables de l’hospitalisation privée. Ceux-ci proposent à des représentants du Syndicat Régional des Cardiologues de les accompagner, et il faut s’en féliciter. La réunion est prévue un mercredi à 14h30, ce qui paraît naturel aux autres participants, sauf que : – Cela impliquerait pour le ou les cardiologues présents d’annuler toute une après-midi de consultations, au dernier moment, puisque la date de la réunion n’a été connue que quelques jours auparavant, alors qu’il s’agit de rendez-vous pris il y a au moins un mois, ce qui, décemment, est difficilement envisageable. – En fait, ce serait pour ces cardiologues, une bonne partie de leur journée qui serait neutralisée, car il faut tenir compte du temps de trajet vers la métropole régionale, à une heure où son accès en voiture est très difficile. – Il s’agit de bénévoles très motivés, mais qui doivent quand même penser au manque à gagner occasionné par une telle journée, alors que les frais fixes du cabinet restent les mêmes. Par la force des choses, il n’y aura donc pas eu de cardiologues à cette réunion qui se sera déroulée entre administratifs. _ Nous avions prévu cette situation regrettable qui est inscrite dans la loi HPST. En effet, la déclinaison régionale de la politique de santé va nécessiter mécaniquement une multiplication des réunions entre médecins et administration. Celle-ci impose ses horaires qui ne sont pas les nôtres. Cela n’a pas toujours été ainsi, et les plus anciens d’entre nous se souviennent des commissions conventionnelles paritaires locales qui avaient lieu à 20h30, après les consultations. Peut-on revenir en arrière ? Cela paraît peu probable avec l’état d’esprit actuel. _ Pourtant, il faudra se rendre compte que la mise en oeuvre d’une politique de santé sans possibilité de participation active des médecins ne peut pas bien fonctionner.

Méconnaissance par des caisses de règles basiques de cotation

Refus du cumul de la cotation de l’ECG avec une consultation _ La directrice d’une CPAM de l’Est de la France a adressé à plusieurs cardiologues un courrier par lequel elle leur réclame sur un ton comminatoire, le remboursement dans un délai d’un mois, avec pénalités en cas de retard, des honoraires d’ECG pratiqués dans le même temps qu’une consultation. Ce cumul, affirme-t-elle, est interdit par les dispositions générales de la CCAM. Or, c’est exactement le contraire, puisque l’article III-3-A-3 des DG de la CCAM précise explicitement que ce cumul est autorisé. _ Cette disposition existe en fait depuis 25 ans, puisqu’elle a été établie en 1985 lors de la réforme de la cotation de l’ECG, et la CCAM a repris le texte de la NGAP.

Refus du cumul de cotation du C2 avec l’ECG _ C’est une caisse de l’Ile-de-France, qui réclame également le remboursement d’honoraires qu’elle estime indus, en affirmant que ce cumul est interdit, et qu’il aurait fallu selon elle coder CSC ou CS+DEQP003. _ Les sommes exigées sont assez importantes car le recouvrement porte sur une période de 18 mois. _ Or, ce cumul est autorisé depuis les sept arrêts du 14 novembre 1996 de la Cour de Cassation. _ De plus, afin d’éviter tout litige, un groupe de travail issu de la Commission de hiérarchisation des actes professionnels a rédigé en 2006 un mode d’emploi consensuel entre l’Assurance Maladie et les médecins libéraux, confirmant la possibilité de cumul du C2 avec la cotation de l’ECG. _ On se demande donc quelles mouches ont piqué ces responsables de caisses pour qu’ils remettent en question de leur propre chef des règles qui existent depuis des lustres. _ Nous espérons que ces affaires n’iront pas très loin, et qu’il ne sera pas nécessaire, une fois de plus, d’aller en justice, mais quel temps perdu inutilement.

Dialogue impossible avec une caisse

Un cardiologue reçoit le vendredi 2 juillet un courrier de sa caisse lui réclamant 22 000 euros d’honoraires indus. Il doit répondre dans le mois. _ Il reconnaît son erreur. Il exerce dans une région montagneuse, avec des communications difficiles, et, depuis trois ans, pour éviter la répétition des déplacements pour ses patients, il pratiquait régulièrement l’association d’échocardiogrammes et d’échographies vasculaires. _ Il n’avait jamais eu le temps de lire et comprendre les subtilités de l’article art. III-3-B-2-d des D.G. de la CCAM qui interdit, pour des raisons inexpliquées, le cumul d’actes d’échographie, hormis pour des zones anatomiques qu’il n’avait jamais eu l’occasion d’explorer, comme pour l’échographie testiculaire. _ Tout l’incitait à continuer de la sorte, car son logiciel de télétransmission ne lui signalait pas d’incompatibilité, et, surtout, sa caisse l’a laissé coder ainsi sans la moindre remarque pendant trois ans et, bien plus, lui réglait sans sourciller ces cumuls d’actes en tiers payant. _ Il est prêt à régulariser, mais, compte tenu de l’importance de la somme, souhaite bénéfi cier d’un étalement. Il lui faut donc expliquer sa bonne foi. L’ultimatum d’un mois qu’il a reçu le 2 juillet est trop court, car, comme la moitié des Français, il part en vacances ce soir là. Sur les conseils du Syndicat des Cardiologues, il essaye de demander un report. _ Il aura téléphoné à sa caisse toute l’après-midi de ce vendredi sans jamais pouvoir joindre un responsable.

L’incommunicabilité organisée par une caisse

Alors que l’on nous affirme régulièrement que l’on va diminuer le poids de la paperasse pour les médecins, une CPAM du Nord de la France vient de créer un nouveau formulaire en double exemplaire qui devra être rempli systématiquement pour appuyer une réclamation, faute de quoi celle-ci serait rejetée. Pourtant, le meilleur outil de communication nous semble être la langue française, et nous savons, depuis Boileau, que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et que les mots pour le dire arrivent aisément. _ Le cardiologue qui sait manier l’art de la concision a la capacité d’exprimer clairement et aisément une réclamation en une seule phrase sur son papier à en-tête. _ Exemple : « L’acte DZQM006 pratiqué en tiers payant-CMU le date chez M nom, prénom, n° SS, m’a été réglé 77,66 €, soit une erreur de 18 € à mes dépens. » Ce motif de réclamation étant récurrent, il est même possible d’en faire un modèle réutilisable. Ce serait tellement simple. _ On aurait pu imaginer également que la caisse, qui accuse d’archaïsme les médecins qui refusent de prendre le temps de télétransmettre et va les mettre à l’amende, nous communique une adresse internet où l’on aurait pu lui écrire par courriel en français « normal ». Elle n’a rien trouvé de mieux que créer un nouveau formulaire, fastidieux et long à remplir. _ Que se passera-t-il si une case du document est estimée mal renseignée ? Nous nous abstiendrons de suggérer une réponse pour ne pas être taxés de mauvais esprit. _ Ce sont quelques faits tirés de la pratique quotidienne. Ils sont d’importance inégale, mais on pourrait en trouver mille. Chacun les vit avec une ironie distante, ou avec exaspération, suivant son tempérament ou l’humeur du jour. Leur répétition devient parfois usante. Heureusement (voir enquête du dernier Livre Blanc), les cardiologues aiment leur métier et il en faudrait davantage pour les faire sombrer dans le burn out. Néanmoins, comme l’ensemble des médecins, ils aspirent à plus de considération de la part des administrations avec lesquelles ils doivent travailler. ■

|Mort annoncée d’un important réseau de l’Ouest de la France par décision de l’ARS.| |L’ARS de Bretagne menace de fermer Rivarance (voir page 12). Ce réseau est coordonné depuis 2006 par Patrick Denolle.

Les réalisations, rappelées dans le rapport même de l’ARS, sont impressionnantes – Adhésion au réseau de l’ensemble des cardiologues libéraux ou hospitaliers du secteur, ainsi que de la majorité des médecins généralistes. – Dossier médical partagé, incluant actuellement 13 000 patients et avec montée en charge constante, auquel ont accès par internet tous les professionnels de santé appartenant au réseau. – Prestations multiples et gratuites pour les patients pris en charge: consultations de tabacologie, séances d’éducation thérapeutique et diététique, stages ambulatoires de rééducation en centre, et rééducation au long cours en phase 3 avec le club «coeur et santé». – Depuis 2007, prise en charge éducative, diététique et physique des diabétiques et des enfants obèses. Formation des professionnels médicaux et paramédicaux et du grand public – Etc.

Le rapport ajoute en outre que les promoteurs ont toujours respecté la limite des dépenses fi xée par les décisions annuelles. _ On imagine la charge de travail « bénévole » qu’impliquent, pour les médecins adhérents du réseau, toutes ces initiatives, qui s’ajoutent aux longues journées évoquées précédemment. Pourtant, l’ARS a émis un avis réservé sur la poursuite du financement, sous prétexte que des améliorations sont possibles: – les pathologies vasculaires au sens large, prises en charge depuis 2007, ne le sont pas encore suffisamment; – le réseau ne mesure pas la satisfaction des patients; – aucune enquête de satisfaction des professionnels de santé n’a été menée depuis 2004. – la coordination avec les néphrologues débute seulement.

Commentaires: Les cardiologues connaissent bien les règles de l’évaluation car, dans ce domaine, ils ont été des pionniers afin d’améliorer la qualité de leur pratique. _ Dans cette évaluation de l’ARS, plusieurs remarques: – les critères de qualité choisis sont-ils pertinents, faisables et acceptables? – par qui ont-ils été déterminés? – enfin et surtout, le principe d’une évaluation est de ne pas être sanctionnant, mais de rechercher des pistes d’amélioration. _ On a l’impression ici que tout ce qui a été fait n’a plus aucune valeur pour l’administration en raison des améliorations toujours possibles. Les décisions défi nitives seront suivies avec attention par les cardiologues. Si l’avis de l’ARS était confi rmé, il faudrait vraiment être très motivé pour s’engager dans un réseau dont le mode de fonctionnement est habituellement très chronophage.|

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