Loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé : conséquences sur les prescriptions hors AMM des cardiologues

La prescription hors AMM y figure _ Des mesures à cet égard existaient déjà depuis 1996 dans le Code de la Santé Publique. Elles sont néanmoins renforcées, et surtout, le discours général laisse entendre qu’elles seront appliquées de façon plus stricte, ce qui risque de compliquer notre pratique. On a l’impression en effet que l’on met sur le même plan certaines prescriptions hors AMM, non validées et hasardeuses, qu’il convient effectivement de dissuader, et celles, comme en cardiologie, qui s’appuient sur des arguments scientifiques solides, et notamment des recommandations.

Le nombre des prescriptions hors AMM n’est pas négligeable. Le rapport de synthèse des Assises du Médicament, daté du 23 juin 2011, l’estime à 15 à 20 % de l’ensemble des prescriptions, voire davantage dans des domaines comme la pédiatrie, la gastro-entérologie, la cardiologie, la cancérologie.

La prescription hors AMM n’est pas illégale (cf Le Cardiologue n° 343). Dans certains cas, il serait d’ailleurs fautif de ne pas y faire appel. Néanmoins, le prescripteur engage plus fortement encore sa responsabilité médico-légale, et il doit s’entourer d’un certain nombre de précautions : – Absence d’autre molécule disposant d’une AMM et permettant une prise en charge aussi pertinente. – Prescription s’appuyant sur des données scientifiques validées (recommandations, études avec haut niveau de preuves, etc.), afin de justifier la validité de la prescription et l’absence de risque disproportionné pour le malade, ce raisonnement devant être noté dans le dossier. – Intérêt du patient avec rapport bénéfice/risque favorable. – Vis-à-vis du patient, il y a deux conséquences qui pourront entraîner des difficultés certaines au quotidien.

1. Il doit être informé de l’absence d’AMM. Malgré les explications, qu’il faut lui donner loyalement et de façon compréhensible, cela risque d’induire chez lui un doute préjudiciable à l’adhésion au traitement, ceci d’autant plus que, dans la presse grand public ces derniers mois, le hors AMM a été critiqué sans nuances et présenté le plus souvent comme une mauvaise pratique.

Cette obligation d’information, qui a été renforcée par la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, se montre par ailleurs particulièrement chronophage. En cas de conflit médico-légal, le médecin est tenu d’apporter la preuve qu’il a délivré cette information.

2. Un médicament prescrit hors AMM n’est pas remboursable, et l’ordonnance doit comporter la mention «NR» (Article L 162-4 du code de la Sécurité Sociale).

En cas de non-respect de cette disposition, le médecin peut s’exposer à des sanctions ordinales et être condamné à rembourser à la caisse le coût de sa prescription. Il s’agit, dans la récente classification de l’Assurance Maladie (circulaire du 2 janvier 2012), d’une « activité fautive ».

Le projet de loi prévoit que désormais, la mention « hors AMM » soit spécifiquement notée sur l’ordonnance.

Là aussi, l’absence de remboursement risque de provoquer une baisse de l’adhésion au traitement, mais également un conflit avec le prescripteur.

Utilisation hors AMM du clopidogrel Indication hors AMM : la prévention des thromboses de stent hors SCA.

Cette indication ne figure pas au libellé rappelé dans le Vidal. Elle est pourtant solidement documentée.

Elle a fait d’ailleurs l’objet en 2007 d’un AcBus (Accord de bon usage des soins) paru au J.O. du 19 décembre 2007), qui, en quelque sorte, l’officialise.

La mauvaise observation de cette indication hors AMM peut avoir des conséquences vitales, et les rapports des sociétés d’assurance en responsabilité civile professionnelle nous informent que la gestion des antiagrégants plaquettaires est maintenant un motif de plainte fréquent à l’encontre des cardiologues

Posologie non conforme à l’AMM.

Certains centres, s’appuyant sur la littérature, doublent la dose conseillée par l’AMM, soit pendant les premiers jours qui suivent l’implantation de stent, soit en fonction du poids du patient.

L’application stricte de la loi supprimera le remboursement du clopidogrel prescrit dans ces conditions. Est-ce vraiment ce qu’a souhaité le législateur ?

HBPM dans la fibrillation auriculaire _ Les héparines de bas poids moléculaires sont utilisées couramment en relais des antivitaminiques K dans la prévention des complications des fi brillations auriculaires à haut risque thromboembolique. Cette indication est confirmée dans les recommandations ESC de 2006 et de 2010. Elle est hors AMM. Il en est de même de l’héparinate de calcium en sous-cutanée.

La seule héparine ayant l’AMM dans cette situation est la vieille héparine sodique intra-veineuse qui a l’AMM pour la « prévention des accidents thromboemboliques artériels en cas de cardiopathie emboligène ». Comme chacun le sait, elle doit être administrée à la seringue autopulsée, ce qui nécessite une hospitalisation, là où les HPBM permettent un traitement ambulatoire. Là aussi, est-ce vraiment l’intention du législateur ?

Aspirine dans l’artérite oblitérante des membres inférieurs _ L’acBus de 2007 évoqué précédemment préconise, dans l’artériopathie des membres inférieurs symptomatique, l’aspirine, de préférence, ou le clopidogrel. _ Or l’aspirine, moins coûteuse, n’a pas l’AMM dans cette indication, quelle que soit sa forme de commercialisation.

Inhibiteurs de la pompe à protons associés à titre préventif aux antiagrégants plaquettaires. _ C’est une prescription hospitalière fréquente, chez les patients bénéfi ciant d’un double traitement antiagrégant plaquettaire. _ Là aussi, il s’agit souvent d’une prescription hors AMM .

Statines Toutes les statines n’ont pas l’AMM en prévention secondaire. _ En prévention primaire, l’indication d’emblée d’une statine, sans mesures diététiques préalables, serait hors AMM mais là, ce serait sanctionner une pratique non conforme.

Bétabloqueurs _ Une même molécule peut être disponible avec des noms commerciaux différents pouvant avoir des AMM différentes. Exemple : le Bisoprolol. _ Le plus simple est de prescrire en DCI.

Discussion _ Le renforcement de la réglementation va obliger les médecins à réfléchir davantage encore sur leurs indications thérapeutiques, ce qui en soi ne peut être que bénéfique.

Cependant, la réflexion doit être abordée sous deux angles différents : _ Sur le plan purement médical, les prescriptions hors AMM des cardiologues ne devraient pas poser de problème, car elles reposent sur des arguments scientifi ques solides, et notamment sur des recommandations.

Par contre, sur le plan juridique, l’application plus rigoureuse qu’auparavant de la réglementation pourra parfois mettre le prescripteur en position difficile et notamment les indications de clopidogrel et d’HBPM évoquées précédemment.

Il y aura deux attitudes possibles : – Soit respecter strictement la loi, ce que recommandent tous les juristes, et le malade ne sera pas remboursé. Le paradoxe est qu’il sera la première victime de textes censés le protéger. – Soit être plus nuancé et, il faut le dire, ne pas appliquer la loi quand elle paraît difficilement applicable. C’est ce qui a prévalu depuis 1996. Jusqu’à présent, aucun cardiologue n’a été inquiété pour ne pas avoir indiqué le caractère hors AMM de prescriptions bien ciblées. On ne peut plus toutefois, dans le contexte actuel, ignorer désormais le double risque d’un tel comportement : _ 1. Une demande de remboursement des caisses et une sanction ordinale, prévues par les textes. De telles décisions, pour des prescriptions bien argumentées, concernant des maladies graves, entraîneraient un énorme tollé dans la profession et la population, et elles seraient certainement difficiles à prendre par les différents responsables. _ 2. En cas de complication iatrogène, le patient pourrait se retourner contre le prescripteur en lui demandant d’apporter la preuve qu’il l’a bien informé qu’il s’agissait d’une indication hors AMM. _ Certes, les cardiologues ont rarement l’occasion de faire des ordonnances, car nous exerçons comme consultants, et ce sont nos correspondants qui les rédigent, mais sur nos conseils, et nous avons vis-à-vis d’eux un devoir d’information afin de ne pas les mettre dans des situations difficiles auxquelles nous serions de toutes façons associés.

La cardiologie n’est pas la seule spécialité dans laquelle l’encadrement plus strict de la prescription hors AMM va poser problème. _ Il est souhaitable que les différentes parties concernées se concertent. _ L’exercice de la médecine doit évidemment être encadré, mais il faut prendre garde à ce que l’application de la loi ne crée pas plus de problèmes qu’elle n’en règle. ■

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