Pièges de la consultation cardiologique chez l’enfant et l’adolescent

307 – CIRCONSTANCES DE LA CONSULTATION PEDIATRIQUE _ En maternité : le cardiologue intervient habituellement lors de la découverte d’un souffle cardiaque, ou pour la recherche systématique de malformation chez un enfant trisomique. S’il ne dispose pas toujours d’appareil performant sur place, il se doit d’organiser une échographie de qualité dans un délai court, après avoir fait un examen consciencieux. Plusieurs cardiologues ont été mis en cause pour ne pas avoir fait un bilan immédiat alors que la cardiopathie cyanogène sous-jacente s’est décompensée au retour à domicile malgré l’apparent bon état clinique en maternité.

Demande des médecins généralistes ou des médecins scolaires : le bilan de souffle est un motif récurrent de consultation et s’inscrit souvent dans une demande d’autorisation à la pratique de sport dans le cadre soit scolaire, soit associatif. Plus rarement, le cardiologue sera consulté pour faire le bilan de malaise ou perte de connaissance.

Certificats pour le sport sollicités pour les enfants d’amis : comme cela a été déjà évoqué dans un numéro précédent (n° 294, septembre 2006), le praticien doit s’imposer le même formalisme et la même rigueur qu’il suivrait pour un patient anonyme afin d’assurer la même qualité professionnelle et d’éviter une procédure, car les amitiés résistent rarement après la perte d’un enfant…

QUELS MOYENS SE DONNER EN CONSULTATION PEDIATRIQUE ?

Démarche diagnostique _ La première règle pour le cardiologue consiste, s’il considère sa formation pédiatrique insuffisante, à savoir se désister et confier l’enfant à un confrère (cardio-pédiatre, rythmologue ou échographiste chevronné). Par quelques questions simples, on arrive rapidement à savoir s’il on est apte ou non à prendre en charge un enfant. Quelle est la fréquence cardiaque physiologique ou quel diamètre télédiastolique du ventricule gauche faut-il retenir pour parler de dilatation cavitaire chez un nourrisson, un enfant de 5 ans, de 10 ans et de 15 ans ? Quelle posologie utiliser et quelles précautions prendre selon l’âge ?

Par opposition à la démarche diagnostique chez l’adulte, celle chez l’enfant doit s’orienter en priorité vers des pathologies génétiques ou congénitales. Par conséquent, le cardiologue doit impérativement établir l’arbre généalogique des pathologies cardiaques de la famille. Ce simple interrogatoire peut rapidement permettre de faire le diagnostic comme celui du syndrome du QT long congénital, face à un enfant ayant fait un malaise apparemment bénin. Cependant, cette enquête peut parfois s’avérer difficile, surtout lorsque les parents sont divorcés. Idéalement, un contact avec les médecins traitants permet d’établir avec précision la pathologie des apparentés. Cette démarche ne peut se faire qu’après l’accord des apparentés pour des raisons élémentaires de secret médical, car le partage d’informations ne se fait qu’entre médecins participants aux soins d’une personne.

Il est naturel et humain de vouloir « rassurer » les parents. Cependant, même si l’enfant arbore un large sourire, le médecin doit, plus que jamais, se donner tous les moyens d’éliminer une pathologie grave, parfois sournoise, mais sans pour autant sombrer dans la iatrogénie d’explorations inappropriées.

Sur le plan pratique, la consultation de l’enfant a ses particularités ! Privé des données de l’interrogatoire chez le nourrisson ou l’enfant timide, le praticien devra se contenter de l’explication des parents. Mais sa démarche n’est pas facilitée par ces derniers qui cherchent souvent à trouver une cause aux malaises (« il n’a pas pris son petit déjeuner… »), voulant entendre le diagnostic d’hypoglycémie ou encore de « malaise vagal », qui pourtant doit rester un diagnostic d’élimination.

Face à la description typique d’un angor d’effort, bien qu’improbable chez un enfant, il faudra savoir évoquer une maladie de Kawasaki, ou une malformation coronaire. Un angor d’effort, c’est de l’angor et rien d’autre, même chez un enfant ! L’auscultation, l’électrocardiogramme et l’échographie nécessiteront beaucoup d’habileté pour amadouer un enfant hurlant et se débattant. Même avec une salle d’attente pleine à craquer, il est préférable de ne pas baisser les bras trop rapidement, car cela serait immanquablement considéré comme une insuffisance de moyens par le magistrat si un accident découlait de l’absence de diagnostic lors de cette consultation.

Chez l’adolescent, la prise de stupéfiants (cannabis, cocaïne…) doit être recherchée (en invitant les parents à sortir du cabinet), car elle peut expliquer certaines atteintes ischémiques (coronaires ou périphériques) ou rythmologiques.

Prise en charge thérapeutique

Lorsqu’une pathologie cardiaque a été diagnostiquée, il est impératif d’expliquer clairement les objectifs de traitement et de suivi aussi bien à l’enfant qu’à ses parents. Selon la pathologie, certaines activités doivent être proscrites. Il ne faut pas se contenter de refuser de délivrer un certificat d’aptitude, mais bien expliquer les activités à risques. Pour se prémunir d’une éventuelle poursuite en cas de malaise ultérieur, il peut être utile d’adresser un courrier au médecin traitant en expliquant les contre-indications ou de remettre une note écrite (feuille libre ou carnet de santé) spécifiant les limites d’activités, ou également de fournir la liste de certains médicaments contre-indiqués (exemple du QT long), avec une annotation dans le dossier médical. Ã défaut d’une trace dans le dossier, il pourra être reproché au praticien un manquement à son devoir de conseil.

Ces décisions peuvent être difficiles à définir et l’avis d’un confrère spécialisé en cardio- pédiatrie peut être judicieux.

Si la pathologie a un caractère génétique, le cardiologue doit inviter les parents à se soumettre à un dépistage et l’étendre à l’ensemble de la famille, en les orientant idéalement vers un centre de référence composé d’une équipe multidisciplinaire. Si le cardiologue n’est pas en droit d’imposer ce dépistage et de s’adresser directement aux autres membres de la famille (violation du secret médical), il a, par contre, une obligation d’informer les parents et de les convaincre de cette démarche. Comme toujours, ce sera à lui de prouver qu’il a informé (trace écrite : note dans le dossier ou courrier au médecin ou aux parents).

Cas clinique

Dans une affaire où un enfant était décédé d’un syndrome du QT long congénital, deux cardiologues, qui suivaient deux membres d’une fratrie, ont été condamnés. Le premier praticien avait fait le diagnostic chez la soeur de la victime (10 ans) qui faisait des malaises sans conséquence, mais il n’avait pas déclenché d’enquête familiale. Le second, face à un malaise chez le frère (17 ans), n’avait pas fait le diagnostic sur le tracé de base (mesure du QT) et n’avait pas posé de questions sur les antécédents familiaux. Faute de traitement, le garçon lors d’un effort sportif est décédé d’une mort subite non récupérée. Les manquements conjoints des deux cardiologues ont entraîné une perte de chance d’éviter ce décès.

CONCLUSION

_ Étant une spécialité dans la spécialité, les cardiologues ne doivent accepter de prendre en charge un enfant qu’à la condition d’avoir une solide formation. Si les parents attendent d’être rassurés, le praticien ne doit pas tomber dans le piège de vouloir trop rapidement « se rassurer » en retenant des diagnostics d’élimination, sans s’être donné les moyens nécessaires. Le risque statistiquement peu probable d’accidents médico-légaux en cardio-pédiatrie ne doit pas faire occulter les conséquences souvent dramatiques qui en découlent. Outre l’intransigeance des parents (compréhensible), de leurs avocats et des tribunaux à son égard, le cardiologue parviendra difficilement à se pardonner l’erreur qu’il a commise chez un enfant. Enfin, une erreur aboutissant à un coma anoxique d’un enfant, nécessitant une tierce personne en permanence, peut entraîner une indemnisation de plusieurs millions d’euros.

Cédric Gaultier

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