Principe de précaution et bénéfice/risque en médecine

329 – 1. De la consécration du principe de précaution

La notion de bénéfice/risque et le principe de précaution

En médecine, la question dite du « bénéfice/risque » a pu longtemps être gérée dans un contexte relativement consensuel entre les parties concernées, soignant et patient, chacune ayant conscience des limites de l’autre (l’inconnue scientifique en regard de l’imprévisibilité du corps humain).

Mais aujourd’hui la consécration, dans les esprits d’abord, dans le droit ensuite du principe de précaution tend à rendre les choses et leur compréhension plus complexes. Le principe de précaution naît d’une incertitude de la Science en regard d’une situation susceptible d’induire un risque difficilement mesurable. A l’origine, le principe de précaution ne portait que sur les questions liées à l’environnement. Dans les années 1990, la catastrophe sanitaire du sang contaminé, celle moins coûteuse en vie humaine mais tout aussi symbolique de la maladie de la vache folle ont conduit à étendre le principe de précaution, au-delà des strictes questions d’environnement, à la santé publique. A l’heure actuelle la gestion de la pandémie grippale H1N1 se fait en pleine application de ce principe.

Un principe désormais bien ancré

Le principe de précaution s’avère d’inspiration relativement récente, puisqu’apparu au début des années 70, d’abord en Allemagne. Instaurant le « Vorosgeprinzip », les autorités de la République Fédérale entendent dès cette époque se donner la possibilité de prendre « toutes les mesures nécessaires et raisonnables » permettant de faire face à des risques éventuels sans disposer des connaissances scientifiques nécessaires pour en établir l’existence. Par la suite, le principe de précaution acquiert une reconnaissance internationale (ONU – Charte mondiale de la Nature de 1982 ; Conférence de Rio du 15 juin 1992). L’Union Européenne l’intègre à l’occasion du traité de Maastricht du 7 février 1992 et institue en outre le principe du pollueur/payeur. En France, la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement précise que « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifi ques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable… » Puis, le code de l’environnement du 21 septembre 2000 rassemble l’essentiel des textes antérieurs en s’attachant ainsi au respect de l’action préventive, au principe du pollueur/payeur, à celui de la mise en valeur de la protection, de la restauration du patrimoine commun. Enfin, sorte de « consécration ultime », en février 2005 le principe de précaution est intégré dans la Constitution de la République. Prévention n’est pas précaution

Il ne faut pas confondre prévention et précaution de même qu’il ne faut pas imaginer qu’une application à la lettre du principe de précaution conduit de facto au risque zéro, véritable fantasme des sociétés industrialisées. Dans un rapport du 15 octobre 1999 au Premier ministre, Madame Geneviève Viney et Monsieur Philippe Kourilsky rappelaient déjà et à juste titre quelques principes que d’aucuns tendent à présent à oublier. « La précaution vise à limiter les risques encore hypothétiques ou potentiels, tandis que la prévention s’attache à contrôler les risques avérés… ». Mais ni l’une ni l’autre n’écartent totalement le risque qu’il convient alors de percevoir comme acceptable ou non en fonction des bénéfices attendus. En d’autres termes, le principe de précaution ne saurait constituer une sorte de prétexte pour ne point agir. Bien au contraire. Il implique une action (donc un risque né de cette action…) reposant sur l’évaluation et la gestion du risque d’abord, sur la communication sur ce risque ensuite. Mais en fin de compte, la double évaluation doit préparer l’action à entreprendre à partir de l’analyse bénéfice/risque même si, en l’espèce, la marge peut s’avérer terriblement étroite entre l’un et l’autre.

Pour conclure : En faire trop ou pas assez ? Telle n’est pas la question…

Chacun l’aura compris, le principe de précaution n’est pas le choix entre une action qui pourrait s’avérer porteuse de danger et une inaction prudentielle. Il est le choix entre deux risques : celui d’agir et celui de ne pas agir avec les conséquences dommageables qui découlent de chacune de ces deux options. Nous évoluons ici dans l’incertitude scientifique. Il faut mesurer cette incertitude qui, par essence même n’est pas mesurable. Voilà toute la quadrature du cercle. ■

2. De la nécessité de réhabiliter, en médecine, le concept de bénéfice/risque

Le rapport bénéfice/risque doit être traité dans sa globalité

En médecine, la prégnance grandissante du principe de précaution met parfois à mal, non pas le rapport bénéfice/risque en tant que tel mais la partie « risque » de ce rapport. Or, le bénéfice obtenu en aval provient toujours du risque assumé en amont, l’un n’allant pas sans l’autre. Et parfois c’est le risque qui se réalise, sans aucun bénéfice, voire a contrario avec l’émergence d’un préjudice : l’exact contraire de ce que l’on recherchait (attendait ?). La médecine est un art dangereux et c’est ce danger même qui la rend efficace. Le toucher du corps d’un patient, outre l’incommensurable responsabilité morale que cette situation engendre ne relève jamais de l’anodin. Quant à l’acte de soins, il consiste en l’instauration d’un désordre dans ce corps pour y combattre et peut-être vaincre un autre désordre, la maladie. Rien n’est moins anodin que cela. Ce postulat posé, la jurisprudence d’abord, la loi ensuite vont fixer la règle : il faut que le patient et le thérapeute s’accordent sur l’action à entreprendre à partir du bénéfice/risque expliqué par le médecin au dit patient. Si le patient refuse le risque, le médecin ne peut plus rien. C’est le sens du concept étrange de démocratie sanitaire ou l’émergence du vocable nouveau « d’usager du système de santé », l’un et l’autre désormais consacrés par la loi. Ainsi le bénéfice/ risque s’avère être, dans la sphère de soins, question à traiter entre « partenaires ».

Le rôle-clé de la jurisprudence

Ce sont les hauts magistrats de nos deux Cours suprêmes, la Cour de cassation et, pour l’ordre administratif le Conseil d’Etat qui détiennent en partie, au titre de leurs décisions futures, les éléments d’une bonne compréhension et d’une bonne application de telles règles à la médecine (comme aux autres domaines). Explications. La responsabilité médicale repose sur la faute prouvée ; c’est là l’orthodoxie du droit. Peut-on imaginer que demain, en certaines ou en maintes circonstances, la présomption l’emporte durablement sur la faute prouvée, comme cela est déjà le cas en matière d’information du patient et, plus récemment dans le domaine des vaccinations anti VHB avec présomption de survenue de SEP ? Ce serait alors de nouveaux contours du rapport bénéfice/risque et l’emprise accentuée du principe de précaution. L’évolution serait puissante en effet. Car par essence, la reconnaissance de la preuve par faisceau de présomptions crée, en la circonstance, un risque d’éloignement entre la vérité scientifique et la vérité juridique.

Pour conclure…

Il est bien entendu ici question du rapport bénéfice/risque qu’une société organisée est prête à déterminer pour elle-même, et ce rapport évolue au fil du temps. Si l’on reprend l’exemple de la vaccination, après le « tout vaccination » qui, à partir des années 1950 a permis, en France et ailleurs, de réduire une multitude de fléaux et de sauver de très nombreuses vies, des interrogations apparaissent aujourd’hui. Ces interrogations méritent considération et le droit a vocation à y donner écho en veillant toutefois à ne pas contribuer au déclenchement d’un phénomène de diabolisation, toujours sous-jacent dans la société dès lors qu’il s’agit du corps du patient, de la maladie et de la mort. Le fond du débat porte sur le lien, plus ou moins lâche aujourd’hui, entre vérité scientifique et vérité juridique. Soit. Mais il ne saurait, sauf à s’en trouver irrémédiablement vicié, se situer entre vérité juridique et inconnue scientifique.

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