Quand la Covid inspire les médecins libéraux : 3 récits de crise

Medscape – Articles de presse, essais cliniques, publications scientifiques…l’épidémie de Covid-19 a déjà fait couler beaucoup d’encre. Elle a aussi inspiré nombre de récits plus personnels de médecins. Nous avons sélectionné pour vous trois récits de crise écrits par trois médecins de ville (Dr Jean-Jacques Erbstein, Dr Jérôme Marty et Dr Bertrand Legrand).

Un parfum de scandale pour le Dr Marty

Qui ne connait pas le Dr Jérôme Marty ? Président du syndicat de l’Union française pour une médecine libre (UFML-S), le Dr Marty est aussi un médecin médiatique, puisqu’il intervient régulièrement dans « Les grosses têtes ». Il vient de publier, aux éditions Flammarion, un essai sur la Covid-19, intitulé Le scandale des soignants contaminés [1]. L’allusion au scandale du sang contaminé est ici à peine voilée. Loin d’être un journal de bord de médecin embourbé dans sa pratique quotidienne au plus fort du stage épidémique de Covid-19, ce texte est plutôt une chronique des errements du pouvoir en place, confronté à une maladie aussi inquiétante qu’inconnue. Jérôme Marty, installé dans le sud de la France, consacre une bonne part de son essai à la pénurie de masques, en particulier de masques FFP2, qui a conduit à tant de contamination : « Suite aux aveux du ministre nous savons donc qu’il n’y a plus de stocks FFP2 et qu’il nous faudra attendre une hypothétique livraison. Cette situation est intenable, épouvantable… Des médecins vont se contaminer par centaines, des médecins vont contaminer des centaines de patients » écrit-il. Le médecin généraliste s’attarde aussi, durant tout un chapitre, sur la discrimination faite à l’endroit de la médecine de ville, par comparaison avec la médecine hospitalière, alors que« 10% seulement des personnes atteintes du Covid-19 passeront à l’hôpital ».

Ressentiment

Ce ressentiment vaut aussi pour l’utilisation de l’hydroxychloroquine. « Ce traitement méprisant, ajoute le Dr Marty, les médecins de ville le ressentent aussi dans la discrimination qui est faite entre eux et les médecins hospitaliers s’agissant de l’hydroxychloroquine […] un décret réserve sa prescription et son utilisation dans le cadre du Covid-19 aux professionnels hospitaliers mais n’encourage pas, c’est le moins qu’on puisse dire, son utilisation par les médecins de ville ! ». Le syndicaliste ne fait pas non plus l’impasse sur le confinement, le drame des Ehpad, la pénurie de tests, ou encore le décompte des décès de soignants… Pour que son ouvrage ne soit pas uniquement un livre de médecin pour médecins, Jérôme Marty a agrémenté son texte de témoignages de l’ensemble des soignants impliqués dans la prise en charge des patients : médecins de ville, mais aussi infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes…

Le ton pamphlétaire du Dr Jean-Jacques Erbstein

Autre style littéraire pour le médecin de ville Jean-Jacques Erbstein, qui signe un pamphlet, Je ne pouvais pas les laisser mourir, aux éditions JDH [2]. Le Dr Jean-Jacques Erbstein, médecin généraliste en Moselle, a été au cœur d’une polémique le printemps dernier, dont il est sorti blessé comme on le serait au sortir d’une guerre. C’est le sujet de son court récit (55 pages). En avril dernier, en effet, avec deux autres confrères (Denis Castaldi et Olivia Vansteenberghe), le Dr Jean-Jacques Erbstein avait annoncé avoir trouvé un remède contre la Covid-19. « Comme on ne pouvait pas utiliser l’hydroxychloroquine (les généralistes ne sont pas autorisés à prescrire cette molécule, ndlr), on s’est demandé si l’azithromycine ne pourrait pas être la base du traitement, explique le Dr Gastaldi. L’azithromycine a l’avantage d’être un antibiotique, mais d’avoir aussi une action sur les virus et une activité anti-inflammatoire sur le parenchyme pulmonaire», déclarait Denis Castaldi à Ouest France en avril dernier.

Les médecins constatent, à l’issue d’une étude, que la majorité des patients à qui ils ont prescrit de l’azithromycine ont été « guéris ». Seulement, l’Ordre des médecins ne l’entend pas de cette oreille et convoque Jean-Jacques Erbstein, pour avoir effectué « un protocole en dehors de la législation en vigueur ». [NB : A ce jour, les données scientifiques n’ont pas permis à cette molécule d’être approuvée par les autorités de santé].

Vent de fronde et torrent de boue

Dans son pamphlet, le Dr Jean-Jacques Erbstein revient dans un premier temps sur le vide sidéral, en guise de pilotage des médecins de ville, qui a accompagné la phase épidémique du Covid-19. « Nous avons réussi à nous équiper grâce à la charité de nos patients qui nous ont procuré du gel, des masques, des surblouses, des charlottes ». Il en profite également pour tacler l’Europe de la santé, qui fut inexistante. Et décrédibiliser l’arsenal thérapeutique mis à disposition des médecins de ville : « Paracétamol, domicile, dodo, voilà le tiercé pendant cette épidémie ». Progressivement, le doute s’installe chez Jean-Jacques Erbstein, au vu de la pauvreté des traitements préconisés par les pouvoirs publics. Même s’il critique l’initiative prise par le Pr Raoult, il constate néanmoins que ce dernier a ouvert des portes : « si je ne cautionne ni ses méthodes, ni ses résultats, le Pr Raoult a tout de même ouvert la boite de Pandore en semant un vent de fronde ».

C’est un soir de mars, en prenant en charge l’une de ses patientes en détresse respiratoire, que le Dr Erbstein bascule et décide de prescrire de l’azithromycine, alors même que le traitement n’est pas préconisé. S’ensuit, suite à la publication de son étude, des insultes à tout-va sur les réseaux sociaux : « charlatan, escroc, zozo ». Quant à sa patiente, ses symptômes ont disparu en deux jours, mais « le déferlement d’insultes s’est poursuivi et a coulé en torrent continu de boue ». Si le conseil de l’Ordre a brillé par son absence pendant la crise, « le réveil du censeur ordinal a été brutal et tardif ». Quelles leçons le Dr Erbstein tire-t-il de cette expérience ? « Un médecin soigne. Cela vous étonne ? C’est pourtant le truisme le plus manifeste », écrit-il.

Journal de bord pour le Dr Bertrand Legrand

Le dernier récit est le journal de bord d’un médecin de l’unique cabinet médical – où il exerce avec sa femme – pour les 8 000 habitants de la ZUP de la Bourgogne, quartier concentrant difficultés sociales et humaines à Tourcoing. Le Dr Bertrand Legrand est lui aussi un médecin médiatique, et les prises de paroles du secrétaire général de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) des Hauts de France sont souvent polémiques. Au tout début de l’épidémie de Covid-19, en février, il avait pesté contre le gouvernement français, qui aurait envoyé les stocks stratégiques de masques FFP2 à la Chine. Or, à ce moment-ci, nous savons maintenant qu’il n’y avait plus de stocks stratégiques FFP2 en France. Quoi qu’il en soit, le Dr Bertrand Legrand a publié son journal de bord, aux Editions de l’archipel, Journal d’un médecin au temps du coronavirus [3] 

Si Bertrand Legrand évoque rapidement les traitements utilisés (il a, par exemple, utilisé de l’azithromycine recommandé par le Dr Jean-Jacques Erbstein), ou encore la politique sanitaire du gouvernement, il concentre son récit sur sa pratique quotidienne de médecin généraliste de quartier, et sur la relation médecin-patient, ainsi que sur les adaptations indispensables du colloque singulier. Comme le Dr Marty, il déplore le fait de devoir se débrouiller seul et d’être abandonné par l’État. Surtout, il met en avant le manque de prévention des autorités publiques qui dès le début de la crise n’a pas pris les mesures adéquates pour contrôler les passagers venant de Chine et d’Asie du Sud-Est. Mais relève aussi que ses patients comme ses confrères et consœurs ne prennent pas les mesures de protection adéquates pour se protéger : respecter la distanciation sociale, se laver les mains, s’isoler en cas de suspicion.

Bouleversement de la pratique quotidienne

Il évoque aussi les changements qu’opère l’épidémie de Covid dans la pratique quotidienne d’un médecin généraliste, avec l’arrivée de la téléconsultation (par téléphone de préférence), le raccourcissement des consultations, les examens dans le jardin… « Pendant l’examen physique, on ne le fait pas asseoir devant nous. On ne fait pas d’entretien rapproché. Il se tient à l’autre bout de la pièce, à deux ou trois mètres, en décalé pour que nos projections ne se trouvent pas dans l’axe du visage de l’autre. Ainsi nous conservons la confiance des patients ». Il peste aussi contre le maintien du premier tour des élections municipales, une décision criminelle selon lui. Le Dr Bertrand prend aussi conscience à de nombreuses reprises du mur qui sépare les médecins de ville des médecins hospitaliers : il n’a pas de nouvelles de ses patients pris en charge par le Samu, et se fait houspiller lorsqu’il décide de mener des tests RT-PCR au cabinet. S’il rencontre des décès, il a aussi la chance d’assister à des miracles : « J’ai eu des nouvelles de Gérard, cet homme handicapé qui vit avec sa mère à Wattrelos. C’est incroyable : l’espoir de sa mère a eu raison du Covid. Ni lui ni elle n’en sont morts ! Un truc de fou ».

Amertume

Et, quand lui-même se fait tester, malgré le maintien de son activité pendant toute l’épidémie de Covid, il a la surprise d’apprendre qu’il n’a pas été contaminé. Son journal de bord est un plaidoyer pour le respect de mesures de prudence simple, et par conséquent un rappel aux responsabilités individuelles. Mais l’amertume, quant aux autorités de tutelle, est palpable : « Nous vivons une bizarre atmosphère de fin de bataille, mais sans le gong qui nous dise clairement quand nous pourrons de nouveau accueillir nos patients en salle d’attente, et reprendre une activité normale. Je suis un peu amer. Nous avons travaillé comme des fous, en non-stop, sans rien lâcher. Et là, j’ai le sentiment que nous allons aussi payer la facture. C’est notre gouvernement qui n’a pas su préparer le pays, qui a failli ».

  1. Dr Jérome Marty. Le scandale des soignants contaminés. Flammarion. 336p, 39 €
  2. Dr Jean-Jacques Erbstein. Je ne pouvais pas les laisser mourir. JDH éditions. 60p, 7,95 €
  3. Dr Bertrand Legrand. Journal d’un médecin au temps du coronavirus. Editions de l’Archipel. 224 p, 17 €

Actualités Medscape © 2020 – 21 sept 2020.

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