Que faut-il penser des Commissions Régionales de Conciliation et d’Indemnisations des accidents médicaux (CRCI) ?

323 – Historique de la création des CRCI

Les années 1990 ont été marquées par une pression croissante exercée sur les médecins. Face à des patients lourdement handicapés lors de soins médicaux et pour pallier aux carences évidentes de la prise en charge du handicap dans notre pays, les tribunaux ont prononcés des décisions de plus en plus sévères à l’encontre des médecins alors que la faute médicale n’était pas flagrante.

Dans plusieurs dossiers sans aucune faute médicale, le problème de l’information a été largement exploité pour tenter d’obtenir une indemnisation. En 1997, l’arrêt Hédreul, imposait désormais aux médecins de prouver qu’ils avaient informé leurs patients, d’où l’apparition de documents d’information élaborés par les sociétés savantes. Si le droit à l’information n’est bien entendu pas contestable, ces nouvelles modalités ont très certainement rigidifié la relation médecin/ malade.

En matière d’infections nosocomiales, les tribunaux civils et administratifs ont institué une « obligation de sécurité-résultat ». Peu importent les conditions médicales de prises en charge, les établissements et les praticiens étaient automatiquement condamnés en cas d’infection nosocomiale. Même les États- Unis, pourtant en pointe en matière d’indemnisation des victimes, n’appliquaient pas cette obligation !

Indiscutablement, cette dérive n’augurait rien de bon pour la qualité de la relation médecin/malade et faisait peser un risque d’explosion des primes d’assurances, dans un système où les honoraires médicaux sont contrôlés, contrairement aux États-Unis.

C’est donc sous l’impulsion de Bernard Kouchner qu’est née la loi du 3 mars 2002, qui porte son nom, dont l’objectif initial était de prendre en charge, par la solidarité nationale, les accidents médicaux non fautifs, aléas thérapeutiques. Face à des délais de résolution souvent supérieurs à 5 ans lors des procédures judiciaires, le second objectif de la loi était de pouvoir raccourcir les délais d’instruction et d’indemnisation des accidents médicaux graves, qu’ils soient fautifs ou non, dans un processus « amiable ».

Déroulement de la procédure

Le patient ou ses ayant droit doivent déposer une demande auprès de la CRCI dont ils dépendent et désigner les établissements et praticiens qu’ils pensent en cause dans l’affaire. C’est une procédure gratuite. Ils peuvent s’adjoindre l’aide d’avocat ou conseils médicaux dont une partie des honoraires est remboursée. Ã l’appui des courriers et documents médicaux transmis, la CRCI peut rejeter d’emblée la demande si la gravité des préjudices n’est pas manifeste.

Par la suite, la CRCI va mandater un expert médical, qui devra convoquer toutes les parties pour retracer l’historique des faits et déterminer la causalité des préjudices. Chaque partie est sensée transmettre ses pièces de façon contradictoire. Les parties peuvent être assistées de conseils (médicaux essentiellement) pour débattre.

L’expert remet directement à la CRCI son rapport, qui sera ensuite transmis aux parties. Mais, les parties ne peuvent plus alors discuter avec l’expert désigné. Elles doivent alors envoyer des observations écrites ou les faire par oral en réunion CRCI.

Après audition des parties, la CRCI rendra son avis par écrit. Ã condition d’être compétente, la CRCI demandera aux payeurs de faire une proposition d’indemnisation à la victime dans un délai de 4 mois. L’ONIAM (organisme payeur de la solidarité nationale) intervient en cas d’aléa thérapeutique. En cas de faute médicale, c’est l’assureur du médecin ou de l’établissement qui devra faire la proposition d’indemnisation. En cas de refus d’indemnisation par l’assureur, l’ONIAM est chargée d’indemniser la victime, mais pourra exercer un recours contre l’assureur, cette fois-ci par la voie judiciaire. En cas de condamnation définitive du médecin ou de l’établissement, l’assureur devra verser une pénalité complémentaire de 15 %.

Conditions de compétence de la CRCI

L’objectif de la loi étant de venir en aide aux patients les plus gravement atteints, elle a établi des critères de compétence, qui sont : soit une incapacité permanente partielle (IPP) supérieure à 25 % (exemples : perte d’un oeil, ou insuffisance cardiaque modérée), soit une durée d’Incapacité Temporaire Travail (ITT) supérieure à 6 mois, ou des troubles graves dans les conditions d’existence.

Décisions de la CRCI

Globalement, dans 48 % des dossiers, la CRCI se déclare incompétente (pas de lien de causalité, pas de gravité ou pas de faute ou d’aléa). Quand elle se déclare compétente, les dossiers sont soit orientés vers l’ONIAM pour une indemnisation au titre de l’aléa thérapeutique (68 millions d’euros en 2008, avec un coût moyen par dossier de 100 000 €) dans 52 % des cas, soit orientés vers l’assureur des médecins ou des établissements, considérés comme fautifs dans 46% des cas, le reste étant une association de faute et d’aléa. Si une faute a été commise, mais sans atteindre les seuils de gravité, la commission propose aux parties une conciliation, indépendante de la CRCI et de l’ONIAM, sans obligation d’y participer.

Droits de la défense

On y déplore des carences fréquentes dans la communication des pièces entre les parties, ce qui altère indiscutablement le principe théorique du contradictoire et donc la fiabilité des expertises CRCI.

La CRCI ne prévoit pas la rédaction d’un pré-rapport par l’expert. Lorsque l’expert refuse d’engager la discussion sur les responsabilités éventuelles des praticiens pendant l’expertise (non exceptionnel), ce n’est qu’à la lecture de son rapport que le médecin découvre les reproches qui lui sont fait. Il n’est alors plus possible d’argumenter ces critiques avec l’expert. Il pourra seulement faire part à la CRCI de ses observations, tout en sachant que les membres de la commission sont majoritairement non-médecins et que les quelques médecins présents sont rarement spécialistes de la discipline en cause. Ainsi, le praticien aura toutes les difficultés à se faire comprendre et convaincre la CRCI du caractère injustifié des critiques de l’expert, qui parfois est d’une autre spécialité que la sienne !

Comme les magistrats des tribunaux, la commission n’est pas tenue aux conclusions d’expertise et peut donner un avis différent ou redemander une contre-expertise.

En cas de faute, il est rare que la faute soit intégralement à l’origine de tous les préjudices. En cas d’erreur de diagnostic de syndrome coronarien aigu évoluant depuis plus de 10 heures au moment du contact médical, l’existence d’une insuffisance cardiaque est avant tout en rapport avec la maladie et secondairement avec le retard diagnostique. Il est regrettable que les experts ou la commission ne se donnent pas toujours les moyens de faire un chiffrage rationnel de la perte de chance imputable au médecin. Certaines évaluations se font par un tour de table des membres de la commission, n’ayant pas la culture médicale suffisante.

L’avis de la CRCI ne faisant pas force de loi, il n’est pas rare que les médecins en cause et leurs assureurs refusent l’avis de la CRCI, lorsque l’expertise et l’avis ne sont pas médicalement motivés. Cela oblige alors l’ONIAM à indemniser les victimes et à engager une procédure judiciaire contre le praticien et son assureur pour se faire rembourser avec un résultat incertain.

Conclusion

La création des CRCI a permis d’organiser une indemnisation rapide et simplifiée de l’aléa thérapeutique sans faute pour des patients gravement handicapés, dans le cadre de la solidarité nationale. Elle a partiellement permis de limiter la tentation de certains magistrats de vouloir systématiquement « trouver » la faute ou d’en créer de nouvelles, alors que le bon sens n’en indiquait aucune, dans le but unique de permettre une indemnisation.

L’objectif louable de rapidité des CRCI se fait malheureusement parfois au détriment des droits élémentaires de la défense. En voulant aller trop vite et à coût réduit, cela aboutit à des décisions discutables, dont la contestation occasionne des contre-expertises, des prises en charge systématiques par l’ONIAM, puis des recours coûteux en justice contre les médecins par l’ONIAM, sans forcément de succès, avec un coût global très probablement plus onéreux à la charge de la solidarité nationale.

à l’avenir, la rédaction systématique d’un pré-rapport, une demande d’évaluation argumentée médicalement des chances statistiques d’éviter la complication en cas de manquement, et le recours plus fréquent à des collèges d’experts (actuellement 43 %) donneraient assurément plus de légitimité aux avis rendus et donc une meilleure acceptation par toutes les parties.

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