8 mai 2024
En 2022, la Société européenne de cardiologie (ESC) a émis de nouvelles recommandations pour l’évaluation et la prise en charge cardiovasculaire des patients devant avoir une chirurgie non-cardiaque. Nous continuons leur présentation avec 4 articles successifs consacrés au risque hémorragique, aux antithrombotiques et à la thromboprophylaxie peropératoire. Ce domaine a de fortes implications médico-légales nécessitant tout à la fois une trace écrite des justifications des décisions prises et que l’information concernant ces décisions circule rapidement et efficacement entre tous les acteurs de la prise en charge.

Recommandations pour l’évaluation et la prise en charge cardiovasculaire des patients devant avoir une chirurgie non-cardiaque

Risque hémorragique, antithrombotiques et thromboprophylaxie

4e partie : thrombo-prophylaxie périopératoire

François DiévartElsan Clinique Villette, Dunkerque

Le Cardiologue n° 457 – mars-avril 2024

QUELQUES PRINCIPES

 

L’incidence des événements liés à une maladie veineuse thrombo-embolique (MVTE) périopératoire a diminué progressivement au fil du temps et la relation causale entre ces événements et la mortalité postopératoire fait débat, faisant dorénavant considérer la MVTE plus comme un marqueur que comme un facteur de risque de mortalité. Le rapport bénéfice-risque d’une thrombo-prophylaxie doit être évalué à cette aune.

Dans le domaine cardiovasculaire (CV), les patients ayant une maladie CV (comme un infarctus du myocarde [IDM] récent ou une insuffisance cardiaque) ont un risque majoré de MVTE périopératoire.

L’utilisation du score de Caprini (prenant notamment en compte l’existence d’une maladie CV) est proposée par les experts des recommandations pour évaluer le risque de MVTE périopératoire, car il a été validé dans plusieurs situations chirurgicales.

Une thromboprophylaxie doit être envisagée chez les patients ayant un score de Caprini intermédiaire (entre 5 et 8 points) ou élevé (au moins égal à 9).

Pour la chirurgie non orthopédique à faible risque de MVTE, les méthodes mécaniques de prophylaxie (contention veineuse, compression mécanique intermittente ou pompe veineuse pédieuse) doivent être préférées aux traitements pharmacologiques, voire l’absence de prophylaxie peut être recommandée.

 

LE SCORE DE CAPRINI

 

Le score de Caprini sert à évaluer le risque de thrombose veineuse et d’embolie pulmonaire en postopératoire, et ainsi à guider la prophylaxie anticoagulante. Il est disponible en ligne (score de Caprini). Il se remplit simplement en cochant des cases et le score s’affiche automatiquement ainsi que le risque absolu de MVTE qui lui est associé. Il est reproduit dans le supplément du texte de recommandation (tableau) et comme une thromboprophylaxie est indiquée dès que le score atteint 5, une méthode simple pour l’utiliser est de vérifier d’emblée si le patient à un des facteurs valant 5 points.

Il prend en compte 9 paramètres : l’âge, le poids (évalué par l’IMC), le type de chirurgie, la mobilité du patient, la survenue d’un événement récent c’est-à-dire de moins d’un mois (en font notamment partie une insuffisance cardiaque congestive et un AVC), des facteurs gynécologiques, certains antécédents médicaux (comme un IDM), des facteurs de risque circulatoires (varices et varicosités veineuses ; œdème des membres inférieurs, cathéter veineux central, PICC line, Port à Cath de moins d’un mois) et des troubles de la coagulation (tels notamment un antécédent personnel de thrombose veineuse, embolie pulmonaire, des antécédents familiaux de thrombose veineuse, embolie pulmonaire, une mutation du Facteur V de Leiden…).

Tableau. Les critères d’appréciation du risque de maladie veineuse thrombo-embolique lors d’une chirurgie non cardiaque
Score de Caprini: évaluation du risque de maladie veineuse thrombo-embolique en cas de chirurgie non cardiaque non orthopédique Facteurs de risque en cas de chirurgie orthopédique

Chaque facteur = 1 pt

• Age 40-59 ans

• Chirurgie mineure planifiée

• ICM ≥ 30 kg/m2

• Antécédent de chirurgie majeure de moins d’un mois

•  Œdème des membres inférieurs en cours

Varicosités veineuses

• Sepsis (< 1 mois)

• Fonction pulmonaire anormale (BPCO)

IDM (< 1 mois)

Insuffisance cardiaque (< 1 mois)

• Maladie inflammatoire de l’intestin

• Alitement en cours de cause médicale

Chaque facteur = 2 pts

• Age 60-74 ans

• Chirurgie arthroscopique

• Chirurgie invasive majeure (durée > 45 min)

• Chirurgie laparoscopique de plus de > 45 min

• Antécédent de cancer (sauf les cancers cutanés non mélanome)

• Cancer actif sauf mammaire ou thyroïdien

• Alitement depuis plus de 72 h

• Immobilisation plâtrée

• Voie veineuse centrale

Chaque facteur = 3 pts

• Age ≥75 ans

• Antécédent de MVTE

• Antécédents familiaux de MVTE

• Chimiothérapie en cours

• Facteur V Leiden

• Prothrombine 20210A

• Anticoagulant lupique

• Anticorps anticardiolipine

• Homocystéinémie élevée

• Thrombopénie induite par l’héparine

• Autre thrombophilie congénitale ou acquise

Facteur de risque

 

OR en analyse multi-variée

 
Antécédent de MVTE 3,4-26,9
Maladie CV 1,4-5,1
Score de comorbidité de Charlson (index ≥ 3) 1,5-2,6
IMC >25 kg/m2 1,8
Antécédent familial de MVTE 1,4

Pour les femmes en sus (1 point pour chaque élément)

• Grossesse ou post-partum

• Antécédent d’avortement spontané non expliqué ou récidivant

• Contraceptifs oraux ou traitement hormonal substitutif de la ménopause

Catégorie de risque reposant sur le total du score

Chaque facteur = 5 pts

• Chirurgie majeure durant au moins 6 heures

• AVC < 1 mois

• Arthroplastie élective des membres inférieurs

• Fracture < 1 mois, de la hanche, du pelvis ou de la jambe

• Fracture vertébrale aiguë (< 1 mois) ou paralysie

• Polytraumatisme < 1 mois

Age (pour 5 années de plus par rapport à – 40 ans) 1,1

Score total

 

Catégorie

 
Age ≥ 85 ans 2,1
0-4 Bas Varicosités 3,6
5-8 Modéré Ambulation possible dans les 2 jours postopératoire 0,7
> 9 Modéré

MODALITÉS

 

Chez qui et combien de temps

 

Lorsqu’elle est indiquée, une thromboprophylaxie doit être débutée au moins 12 heures avant la chirurgie non-cardiaque et continuée en postopératoire si le risque hémorragique le permet. Dans la plupart des cas, elle doit être continuée jusqu’à ce que le patient soit pleinement ambulatoire ou jusqu’à la sortie de l’hôpital (en général jusqu’à 10 jours).

Une thromboprophylaxie pharmacologique prolongée au-delà de la période hospitalière n’est pas recommandée en routine chez la plupart des patients ayant eu une chirurgie non orthopédique. Toutefois, bien qu’il n’y ait pas suffisamment de données valides concernant la thromboprophylaxie après une chirurgie pour cancer (notamment intraabdominale ou pelvienne), le consensus est de prolonger l’utilisation d’héparines de bas poids moléculaire (HBPM) pendant 3 à 4 semaines.

Les décisions de thromboprophylaxie pour lesquelles le score de Caprini n’a pas été validé (comme la chirurgie orthopédique) doivent reposer sur une évaluation individuelle des facteurs de risque propres à l’intervention (tableau). Parmi ces facteurs, un antécédent personnel de MVTE est le facteur le plus prédictif. Dans certaines circonstances (comme la neurochirurgie, les patients âgés ou obèses) les experts proposent de se référer aux recommandations spécifiques à ces populations.

 

Avec quoi

 

Des essais thérapeutiques contrôlés ont montré des résultats similaires entre les anticoagulants oraux directs (AOD) et les HBPM en matière de thromboprophylaxie lors d’une chirurgie orthopédique. De ce fait, un AOD ou une HBPM peut être proposé.

Les durées de la thromboprophylaxie dans ces essais après une chirurgie de genou ou de hanche a été de 14 à 35 jours respectivement, mais une durée plus courte est aussi satisfaisante, lorsqu’elle a été spécifiquement analysée, permettant d’envisager la thromboprophylaxie pendant le séjour hospitalier uniquement.

Des recommandations récentes et une méta-analyse suggèrent que l’aspirine pourrait servir comme thromboprophylaxie dans la chirurgie moderne et élective de la hanche ou du genou. Mais les experts des recommandations de l’ESC estiment qu’il est encore nécessaire de disposer d’essais cliniques suffisamment puissants évaluant des critères adaptés pour proposer l’aspirine en place des traitements validés. Toutefois, chez certains patients à très faible risque de MVTE, ils indiquent qu’il pourrait être possible de remplacer le rivaroxaban après 5 jours d’utilisation par de l’aspirine.

Enfin, après chirurgie, il est nécessaire d’améliorer la prise en charge, notamment par des moyens permettant la mobilisation précoce, l’utilisation d’outils numériques de rappel des modalités de thromboprophylaxie et des sessions d’enseignement, car il a été démontré que ces mesures réduisent le risque de MVTE postopératoire.

 

COMMENTAIRES

 

La proposition d’une thromboprophylaxie doit-elle faire partie des éléments de la consultation cardiologique préopératoire ? Et si oui, ses modalités doivent-elles être précisées ou le cardiologue doit-il simplement indiquer qu’il est nécessaire de faire une thromboprophylaxie ?

Théoriquement oui, car un avis médical se doit d’être complet et précis. Cependant, la démarche est longue, tous les éléments nécessaires ne sont pas toujours disponibles lors de cette consultation et ce qui peut être écrit dans le compte-rendu pourrait ne pas être parfaitement concordant avec ce que préconisent le chirurgien et l’anesthésiste qui connaissent mieux les modalités opératoires et postopératoires prévues que le cardiologue.

De ce fait, il serait logique que le cardiologue se concentre surtout sur 2 points.

Le premier est celui de la gestion des antithrombotiques lorsqu’ils sont présents afin de veiller à ce qu’un traitement antithrombotique nécessaire ne soit pas diminué de manière trop importante. C’est notamment le cas du patient ayant une prothèse valvulaire mécanique ou celui du patient ayant eu un IDM de moins d’un mois, où le problème n’est pas tant le risque de MVTE que celui de la gestion de la double anti-agrégation plaquettaire (cf. numéro 455 de notre revue) et d’une éventuelle association à une thromboprophylaxie si elle paraît indiquée.
Le deuxième est d’indiquer dans son compte-rendu qu’il y a nécessité d’une thromboprophylaxie le cas échéant si le score de Caprini atteint la valeur de 5 sur des éléments simples obtenus lors de la consultation. Si le score de Caprini ne dépasse pas 5 avec les éléments disponibles lors de la consultation, il paraît utile de préciser que les données disponibles n’ont pas permis d’apprécier pleinement l’indication d’une thromboprophylaxie et que celle-ci sera donc mieux évaluée par l’anesthésiste et le chirurgien. De même que les modalités spécifiques (type de traitement et durée) seront mieux définies par le chirurgien et l’anesthésiste.

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