Savoir analyser la littérature médicale [2]

Les Recommandations de bonne pratique clinique (RBP) ou les recommandations pour la prise en charge d’une maladie émanant d’une société savante ou d’une administration, sont définies comme « des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données ». Un texte de recommandations a donc pour objectif l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. C’est une forme de guide pratique reposant sur l’analyse des données acquises de la science par un groupe d’experts dédié.

Par François Diévart. Elsan clinique Villette, Dunkerque

2e PARTIE : COMMENT EST RÉALISÉ UN TEXTE DE RECOMMANDATION ?

Un principe qui contient ses limites

Bien qu’un texte de recommandations cliniques serve de référence pour guider la pratique, bien qu’il soit une forme de production scientifique, bien qu’il assortisse ses propositions d’un niveau de preuve et bien que son élaboration résulte de l’utilisation d’une méthode codifiée, un tel texte ne fait pas partie des méthodes permettant d’évaluer la valeur d’une hypothèse scientifique. Il n’est pas de la science au sens où celle-ci résulte d’une observation méthodique puis de l’élaboration d’une hypothèse puis de l’adoption d’une méthode particulière permettant d’évaluer la valeur de cette hypothèse. Toutefois, il se sert de la grille d’analyse reposant sur l’évaluation de la valeur des méthodes scientifiques utilisées pour valider des hypothèses afin de classer les hypothèses qui justifient parce qu’elles sont valides ou non, d’être prises en compte en pratique.

Un texte de recommandations a pour principe d’effectuer une synthèse rigoureuse de l’état de l’art et des données de la science (DAS) à un moment donné. Et ce principe comprend  deux grandes limites. La première est que les données acquises de la science évoluant rapidement, un tel texte peut rapidement devenir obsolète et il est nécessaire que de tels textes soient régulièrement actualisés. Faisant la synthèse des DAS prenant en compte des évaluations faites sur de larges échantillons de populations, des recommandations ne dispensent pas un professionnel de santé de faire preuve de discernement dans sa prise en charge d’un patient qui doit être celle qu’il estime la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations.

Une méthode

L’élaboration d’un texte de recommandations répond à une méthode comprenant plusieurs étapes et contributeurs. Le processus peut débuter par une saisine d’une administration, d’une société savante, ou par la volonté propre d’un groupe d’experts ou du fait de l’obsolescence flagrante d’un texte précédant sur un sujet donné.

Une fois le processus engagé, la première étape, capitale, est de définir qui fait quoi : quel mode de désignation des experts ? Quels experts pour la rédaction du texte ? Quel degré d’expertise requérir : scientifique, professionnelle, expérientielle, propre aux patients atteints de la maladie… ? Quels experts pour la recherche documentaire et bibliographique et pour la synthèse de la littérature ? Quels experts pour la relecture ? Quels experts et quel processus pour la cotation des niveaux de recommandations ? Tout en sachant que de mêmes experts peuvent effectuer plusieurs des taches requises.

Une fois les divers experts désignés, la deuxième étape, capitale elle aussi, est de définir précisément le sujet sur lequel portera le texte et parfois, il est nécessaire de définir ou redéfinir la maladie. Puis il faut définir une philosophie globale de ce que sera ce texte : quelles grandes orientations promouvoir et pourquoi ? Faut-il être purement et durement scientifique ? Faut-il être pragmatique et tenir compte des obstacles à une pratique la plus en conformité avec la science ? Faut-il prendre en compte le degré d’acceptabilité pressenti pour des recommandations qui modifieraient radicalement la pratique ? 

Ces discussions préliminaires peuvent parfois être longues et complexes avant d’aboutir à un consensus. Cette étape rend bien compte qu’un texte de recommandations résulte de choix qui ont obligatoirement une part plus ou moins grande de subjectivité. Mais, par cette méthode, les experts cadrent leur sujet, l’esprit global qu’ils veulent lui donner et envisagent ses différentes parties. En parallèle, ils décident de la forme qu’aura ce texte : court et synthétique ou aussi exhaustif que possible, avec un argumentaire inclus ou séparé, ou tout simplement conforme aux modèles standards de la Société savante demandeuse.

Des groupes sont alors désignés pour prendre en charge spécifiquement une ou plusieurs des parties définies lors du processus de discussion initial. Ils communiquent aussi régulièrement que nécessaire, font des propositions et donc de nouveau des choix, plus ou moins subjectifs. Les divergences sont résolues par consensus et recours à l’ensemble du groupe d’experts.

Une fois la rédaction des diverses parties obtenue, les textes sont regroupés dans l’ordre  du sommaire prévu puis l’ensemble est rediscuté et homogénéisé. Les recommandations sont analysées et classées en niveau de preuve et en classes. Le document circule ensuite plusieurs fois entre les rédacteurs et des relecteurs désignés et chacun fait des propositions de modifications. Le texte est ensuite adressé aux diverses parties prenantes (bureau de diverses sociétés savantes ou administrations) pour un avis formalisé.

Enfin, une version finale peut être élaborée par un groupe de travail dédié et il convient ensuite d’en assurer les diverses mises en forme, la diffusion et la promotion.

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