Un rapport officiel préconise l’expérimentation du « Disease Management »

297 – « Améliorer la prise en charge des malades chroniques :les enseignements des expériences étrangères de disease management » est donc le titre du rapport co-signé par les inspecteurs Pïerre- Louis BRAS, Gilles DUHAMEL et Étienne GRASS. La première surprise vient du fait qu’un des trois auteurs avaient déjà mis son nom il y a quelques semaines au bas d’un autre rapport très critique pour les expériences françaises de réseaux de santé. Sur la base d’une enquête sommaire menée auprès d’une douzaine de réseaux, ils avaient fait assez rapidement litière de la somme d’abnégation exigée des promoteurs de réseaux et les avaient aussi promptement mis au pilori de l’histoire en compagnie des bailleurs officiels, ARH et URCAM, « coupables » d’avoir eu… le chéquier trop facile. Or le procureur d’hier revêt aujourd’hui l’habit de l’avocat d’une autre formule, finalement assez proche quoique d’inspiration plus anglo-saxonne, celle du « Disease Management ».

La notion fondatrice du « plan de soins »

La définition du DM proposée par les auteurs est donc la suivante, traduite de la version américaine rédigée par une association d’industriels du secteur : « Le DM est un système coordonné d’intervention et de communication en matière de soins, dirigé vers des populations pour lesquelles les efforts des patients eux-mêmes ont un impact significatif. Le DM : – soutient la relation entre le médecin et le patient dans le cadre d’un plan de soins ; – se concentre sur la prévention des complications en utilisant des recommandations scientifiquement fondées et des stratégies visant à accroître les capacités des patients à se prendre en charge (en anglais : empowerment) ; – évalue ses résultats humains, cliniques et économiques de manière continue dans le but d’améliorer globalement la santé des patients ». Dans le concret, le DM a, le plus souvent et en tout cas dans les trois pays explorés par la mission – États-Unis, Grande-Bretagne et Allemagne -, consisté à mettre en oeuvre ce que les Américains toujours pudiques appellent « plan de communication » mais que nos inspecteurs qualifient, eux, de « coaching » de la population malade.

L’intervention du Disease Management se fait depuis un « centre d’appel » (hot line en anglais) où des conseillers passent leur temps à appeler les malades et (pour 10 % de la population couverte à gérer leurs appels entrants).

Le contenu d’une conversation est soigneusement « balisé » dans un format d’une vingtaine de minutes, avec un jeu de questions/ réponses assez normalisé de sorte d’ « uniformiser la prestation » : le déroulé type rapporté par nos limiers de l’IGAS figure en encadré en fin d’article. Cette prestation d’écoute « pro-active » a donné lieu, dans les pays visités, à un nouveau métier de « manager » de santé, le plus souvent recruté pour ses capacités à l’ « empathie téléphonique » : aux États-Unis, ils seraient déjà 3.500 !

Un manager pour 1.000 malades, vingt minutes de conversation trois fois l’an

Un ratio assez communément admis impute à chaque manager le coaching d’un millier de malades sauf pour la tâche de ceux qui sont redevables d’un management maximal. Les experts parlent en général à propos de ce type de prestation de «Case Management », du fait de sa complexité particulière, liée à une éventuelle co-morbidité ou à un profil de risque particulier du malade. Dans le cas de figure, une infirmière expérimentée gérera une centaine de malades seulement. La pression sur chacun est évidemment fonction de son inclusion initiale à tel ou tel niveau de la pyramide ; elle peut aller de trois contacts par an à la base jusqu’à un contact long, mensuel pour les cas les plus complexes.

Le succès d’une entreprise de DM repose généralement sur une segmentation précise de sa population à gérer. Imaginons une population atteinte d’une maladie éligible au DM, elle sera ainsi « segmentée » : 50 à 70 % de la population ciblée feront l’objet d’une prise en charge légère, de 20 à 40 % de la cible seront considérés comme relevant d’un suivi lourd et de 3 à 5% feront l’objet d’un suivi intense à la limite du harcèlement (voir schéma ci-dessous).

Soixante à 80 $ par an pour coacher un patient atteint d’IC

De ses missions à l’étranger, le triumvirat de l’IGAS a ramené des informations assez éclairantes dans la perspective d’une expérimentations française : – aux États-Unis, il a pu observer – en se laissant un peu facilement aller à la sidération qui frappe tout Français parti en observation du système US – tout un monde industriel lié par un seul objectif : la rentabilité économique plutôt que l’efficience sociale. Le DM ne s’est imposé là-bas que dans un modèle de concurrence intense (et coûteuse) des « Managed Care Organizations », assureurs-santé opérant auprès des entreprises.

La prestation de DM, généralement produite par des entreprises hautement spécialisées, se facture à des prix qui font rêver de ce côté-ci de l’Atlantique : 10 à 20 $ par patient et par mois dans l’asthme, 60 à 80 $ pour une insuffisance cardiaque, 250 pour une insuffisance rénale !… Ã comparer aux coûts du Case Management estimés entre 81 et 410 $ mensuels par patient ! Des études et évaluations multiples, nos enquêteurs en rapportent une certitude : on parle d’un possible « retour sur investissement » de 1 pour 1 mais cette rentabilité n’est pas forcément acquise à court terme. Or l’économie de santé américaine se nourrit de court terme compte tenu du… nomadisme de l’assuré américain qui change d’assureur comme d’emploi. Mais, malgré cela, 68 % des assureurs publics et privés US sont obligés de mettre du DM dans leur « panier de prestations remboursables » dès lors que… la concurrence le fait. Bonjour les primes !

En Angleterre, la mission IGAS a observé que le DM trouve également sa place dans un système nationalisé. Le NHS qui salarie ses médecins généralistes de ville et spécialistes à l’hôpital a, dans sa grande tradition centralisatrice, décidé d’expérimenter le DM à sa façon avec un grand programme… appelé à être évalué fin 2008.

D’Allemagne, elle a rapporté une sorte de contre-modèle : le DM avait été (ainsi d’ailleurs que les réseaux de soins) largement expérimenté, et avec succès, sur la fraction de population (10 % environ) à qui est interdit le statut d’assuré social pour cause de… revenus suffisants (3.000 € mensuels environ) pour s’assurer dans le secteur assurantiel privé. La réforme permanente du système, y compris la dernière en date, portée par la coalition CDU/CSU, a fait du DM une sorte de « pivot » de la réforme des Caisses, ellesmêmes en concurrence. Au final, 1,6 millions de personnes sont entrées en deux/trois ans dans des programmes de DM mais d’abord parce que cette prestation apportait aux Caisses des suppléments de financement. Formule prohibée par nos auteurs pour des raisons qui les honorent. Malgré le boycott des médecins, sans doute pour des raisons d’hostilité globale à une réforme qui les touche aussi au porte-monnaie, la formule trouve rapidement sa place dans l’arsenal médicosocial : les patients qui s’y engagent sont en effet dispensés du ticket modérateur forfaitaire de 10 € mensuels exigé pour tous les autres patients.

Quel rôle pour le médecin prescripteur ?

Les trois IGAS sont revenus de leurs pérégrinations assez séduits pour militer ostensiblement en faveur de quelques expériences « ciblées ». Deux pathologies sont citées : le diabète et l’insuffisance cardiaque, avec dans chaque cas de figure une implication forte de la puissance publique. Les auteurs suggèrent d’ailleurs que ces expériences se réalisent sur la base d’un cahier des charges élaboré par la Haute Autorité de Santé et que cette instance supervise l’évaluation avec un chapitre adhoc sur l’évaluation économique diligentée… par les Caisses. Ã un moment du rapport, ses auteurs envisagent, sans la retenir, l’hypothèse de faire même réaliser l’expérience par les médecins conseils.

Le plan-Juppé et ses fâcheuses « expériences- Soubie » restent de toute évidence un grand motif d’inspiration à l’Inspection des affaires sociales.

Deux questions restent pourtant ouvertes : – alors même que le cadre juridique expérimental figure déjà au code de la Sécu, les co-signataires en appellent à un passage préalable au Parlement : en jeu la question du volontariat des patients. Aux États- Unis, il est réputé acquis ; le patient peut manifester son désir d’en… sortir mais son avis préalable n’est pas requis pour y entrer. Le DM est là-bas considéré, au même titre qu’un médicament, comme un pur objet de prescription médicale… ; – le statut du médecin : doit-il être simple prescripteur ou peut-on même se passer in fine de son intervention. C’est que le sujet est potentiellement explosif : il peut arriver – l’épisode semble assez fréquent aux Etats-Unis – que le Disease Manager décèle au fil d’une conversation à l’initiative du manager une prescription non conforme à l’EBM… On imagine, dans ces conditions, la tentation de lui faire réaliser une sorte d’EPP externe…

Il n’est peut être pas innocent que les seuls médecins entendus par la mission l’aient été… aux États-Unis ; en France, la mission a entendu 36 personnes sur le sujet mais aucun représentant de syndicat médical, de société savante ou d’institution quelconque. ❚

|Un appel téléphonique-type _ Le déroulé-type d’une conversation téléphonique de 20 minutes est décrit de la façon suivante par un professionnel : – introduction-plaisanterie (2 minutes) ; – discussion sur le statut clinique, passage en revue des différents éléments (3 minutes) ; – discussion sur les médicaments (3 minutes) ; – passage en revue d’une problématique propre à la personne (5 minutes) ; – poser des objectifs de soins, éduquer (5 minutes) ; – programmer un nouvel appel (2 minutes).|

image_pdfimage_print