Une convention charnière

344 – La rémunération à la performance, principale innovation de la nouvelle convention, est un véritable coup d’accélérateur à la modernisation du système de soins français. Assortie de quelques autres ébauches de réformes, elle a emportée l’adhésion de la CSMF, du SML et de MG-France : une signature historique ! 

Grande première dans la vie conventionnelle : pour la première fois les trois principaux syndicats, la CSMF, le SML et MG-France ont signé ensemble la nouvelle convention. Cela suppose que chacune des centrales a retrouvé dans le texte final suffisamment de ses « fondamentaux » pour apposer son paraphe. « Nous avons signé cette convention, parce que, sur bien des points, elle répond à notre projet confédéral », explique Michel Chassang, président de la CSMF. Même discours du côté du SML, qui reconnaît dans l’introduction du paiement à la performance, les mesures en faveur de certaines spécialités cliniques et des praticiens à Mode d’Exercice Particulier (MEP) des propositions de son projet conventionnel. Rien d’étonnant dès lors à ce que Michel Chassang et Christian Jeambrun aient acquiessé à un texte comportant en outre, le maintien de l’ASV et le secteur optionnel, dont ils avaient fait deux préalables à leur signature. Mais qu’a trouvé dans ce texte MG-France, l’opposant de toujours à ces deux syndicats, qui lui ai fait apposé sa signature à côté de la leur ? Outre le maintien de l’ASV, « Le fonctionnement médecin traitant est confirmé, la santé publique devient un élément important dans les objectifs de la rémunération à la performance et, pour la première fois, les problèmes d’accès au soins et d’inégalité sont abordés dans la convention par l’élargissement du tiers payant aux patients bénéficiaires de l’aide à l’Acquisition d’un Complémentaire Santé (ACS), et l’appréciation laissée au médecin traitant de l’appliquer à certains patients », explique son président, Claude Leicher.

Le P4P à la française

La diversification des modes de rémunération des médecins, évoquée depuis des années, tardait à venir. En instaurant il y a deux ans – sans concertation – le Contrat d’amélioration des pratiques individuelles, l’Assurance Maladie s’était, certes, attiré les foudres des syndicats médicaux, mais elle avait aussi entrouvert une porte qui s’ouvre plus franchement aujourd’hui. L’innovation majeure est sans conteste l’introduction du paiement à la performance, version 2011 – et surtout conventionnelle – du CAPI. Largement inspiré du « pay for performance » anglais, communément appelé « P4P », le principe en est d’inciter financièrement les médecins à respecter les recommandations en vigueur, l’objectif étant l’amélioration de la qualité des soins et, accessoirement, une meilleure efficience du système. Le nouveau dispositif prévoit une rémunération calculée sur la base de 29 indicateurs dotés de 1 300 points au total, pour une clientèle de 800 patients (un pondération intervient au-delà selon le volume de la clientèle réelle). Chaque point valant 7 euros, un médecin traitant qui réaliserait le « grand chelem » en atteignant 100 % des objectifs définis pour tous les indicateurs percevrait ainsi une prime de 9 100 euros pour un an, soit 11,40 euros par patients. Une hypothèse maximale que n’envisage guère le directeur de l’UNCAM, Frédéric van Roekeghem, qui estime que la rémunération moyenne devrait se situer aux alentours de 5 000 euros par médecin généraliste. Les indicateurs concernent l’organisation du cabinet et la qualité du service d’une part, et d’autre part la qualité de la pratique médicale. Cette partie comprend des « indicateurs de suivi des pathologies chroniques » (250 points), des « indicateurs de prévention et de santé publique et prévention » (250 points), et des « indicateurs d’efficience » (400 points) dont bon nombre concernent la prescription de génériques dans certaines classes thérapeutiques (statines, IPP, IEC, antidépresseurs, antihypertenseurs, aspirine, antibiotiques). Les indicateurs « organisation du cabinet et qualité de service » concernent d’emblée tous les médecins libéraux, généralistes et spécialistes. En revanche, les indicateurs relatifs à la qualité de la pratique médicale ne concernent pour l’instant que les médecins traitant. Cette option conventionnelle « a cependant vocation à s’étendre à toutes les spécialités par avenants afin de prendre en compte la spécificité de pratique des différentes spécialités cliniques et techniques et d’adapter les indicateurs susceptibles d’être retenus ainsi que les modalités de calcul », précise le texte de la convention. Dans cette perspective, les cardiologues travaillent d’ores et déjà à l’élaboration d’indicateurs pertinents pour leur spécialité.

Le compte n’y est pas

« Cette convention très légitime consacre l’engagement des praticiens à favoriser la qualité de la pratique et à moderniser leur rémunération », s’est félicité Frédéric van Roekeghem. Si la modernisation est bien au rendez-vous, du côté de son l’augmentation, c’est autre chose… Hormis le bonus que peut apporter l’option « P4P », la nouvelle convention n’est guère généreuse du côté revalorisation tarifaire. Après l’obtention au 1er janvier dernier du C à 23 euros – attendu depuis 2007 ! – les généralistes ne devaient pas espérer une nouvelle hausse de leur lettre-clé. La convention leur octroie cependant la possibilité de coter à 50 % les frottis comme un acte technique en plus de la consultation, et 2 V la nouvelle « Visite Longue et complexe » (VL) chez le patient Alzheimer. Trois spécialités cliniques bénéficient de revalorisations : les dermatologues, avec une consultation de dépistage des cancers cutanés à 46 euros, les pédiatres, avec une revalorisation à 38 euros des consultations obligatoires longues et complexes, et la création de la consultation du nouveau-né entre la sortie de la maternité et la 28e semaine (38 euros), et les psychiatres, qui voient leur lettre-clé (Cnpsy) passer de 34,30 euros à 37 euros. Ces derniers pourront en outre coter 1,5 euros une consultation effectuée dans les 48 h à la demande du médecin traitant. On peut ajouter encore la revalorisation du forfait de surveillance thermale, qui passe de 64,03 euros à 70 euros, et celle de la séance d’acupuncture (18 euros au lieu de 12,5 euros), et c’est tout pour ce qui est des revalorisations tarifaires.

Du côté des moyens, le compte n’y est pas, même pour les signataires.

« Nous déplorons que les masses financières engagées ne soient pas à la hauteur, et que pour la première, fois une convention ne comporte aucune revalorisation du C des généralistes. Ce sera notre combat pour les cinq ans à venir ; il n’est dans l’intérêt de personne que les actes médicaux ne soient pas rémunérés à leur juste valeur », déclare Michel Chassang. « La rémunération forfaitaire – dont la part est très en-dessous de ce que nous souhaitons – n’est pas au niveau du travail demandé aux médecins, renchérit Claude Leicher. Quant à la FMF, c’est essentiellement ce manque de moyens qui a motivé son refus de signer. « Il aurait fallut aller chercher les marges financières là où elles sont, tonne son président, Jean-Paul Hamon, c’est-à-dire à l’hôpital, en en régulant l’accès une bonne fois pour toutes, et sur les prescriptions pharmaceutiques. Pour exercer une médecine libérale de qualité, il faut un vrai forfait secrétariat et un vrai forfait communication. On ne peut pas livrer la médecine libérale comme cela, en signant une convention sans conditions ! Et il n’y a rien pour infléchir la courbe démographique. Ce n’est pas avec ce texte qu’on va inciter les jeunes à s’installer. »

Une incitation aux déserts médicaux

A cet égard, le chapitre démographie de la convention 2011 ne brille pas, il est vrai, par excès d’inventivité. Pour tenter d’améliorer les conditions d’exercice des médecins et favoriser l’installation dans les déserts médicaux, une « option démographie » est créée, mais qui ne fait guère qu’apporter quelques modifications à l’avenant 20 de la convention précédente, qui n’a pas remporté un succès fracassant. La nouvelle option s’adresse donc aux médecins exerçant les deux tiers de leur activité en zone médicalement sous-dotée. En la prenant, ils s’engagent à exercer au même endroit pendant trois ans. En contrepartie, ils peuvent bénéficier d’une aide forfaitaire d’investissement – c’est la nouveauté – de 5 000 euros par an s’ils exercent en groupe, et de 2 500 euros annuels s’ils exercent en pôle de santé. En revanche, le bonus prévu par l’avenant 20 pour les médecins des zones sous-médicalisées baisse : il ne sera plus de 20 % des honoraires annuels, mais de 10 % pour les médecins exerçant en groupe (plafonné à 20 000 euros par an), et de 5 % pour ceux qui exercent en pôle (plafonné à 10 000 euros). Par ailleurs, une une « option santé solidarité » incite les médecins installés en zones surdotées à aller exercer en zone sous-médicalisée au moins trente jours par an, moyennant le remboursement de leurs frais de transport et une rémunération supplémentaire équivalant à 10 % de leur activité clinique, dans la limite de 20 000 euros par an. L’avenir dira si ces nouvelles mesures incitatives repeupleront les déserts médicaux. On peut en douter…

 

La convention ne dit pas tout sur…

L’ASV

Au chapitre de la « pérennisation du régime d’allocations supplémentaires de vieillesse », il est dit notamment que sera instaurée une cotisation proportionnelle aux revenus et non plus forfaitaire. Il est confirmé que l’Assurance Maladie continuera de prendre en charge les deux tiers des cotisations des médecins du secteur 1. Mais l’essentiel de la réforme de l’ASV – dont dépend sa survie – ressort de décrets à paraître, élaborés à partir des négociations qui se sont tenues au début de l’été entre le ministère de la Santé, les syndicats médicaux, la CARMF et l’Assurance Maladie. Ce décrets sont espérés prochainement, pour une application de la réforme de l’ASV dès l’année prochaine.

Le secteur optionnel

Signé fin 2009 par l’Assurance Maladie, la CSMF et le SML, puis enterré par Roselyne Bachelot, le protocole d’accord sur le futur secteur optionnel est inscrit dans la convention 2011. Mais sa mise en œuvre fera l’objet d’un avenant spécifique, qui en détaillera les modalités d’accès et de fonctionnement, après négociations avec les parties prenantes. Mais ces nogociations s’annoncent difficiles, voire impossibles, en l’absence d’un partenaire de toute première importance dans ce dossier, l’UNOCAM, qui regroupe les différents organismes de l’assurance complémentaires santé (mutuelle, assureurs privés, institutions de prévoyance). Or, l’UNOCAM a quitté les négociations conventionnelles le 23 juin dernier, pour protester contre la suppression par le Sénat de l’article 22 de la proposition de loi Fourcade, qui autorisait les mutuelles à pratiquer des remboursements différenciés selon que leurs adhérents se font soigner ou pas dans un réseau mutualiste. Sa réintroduction dans le texte de loi, assortie de restrictions à cette autorisation, n’a pas fait revenir l’UNOCAM à la table des négociations conventionnelles, qui n’est peut-être pas près d’y revenir : le fameux article fait partie de ceux que le Conseil Constitutionnel a censurés cet été, et depuis, les députés ont voté l’augmentation de la taxe sur les contrats responsables…

 

 

Entretien Claude Le Pen

« Un tournant à petits pas »

Pour l’économiste de la Santé, la nouvelle convention est une étape de plus vers la disparition du traditionnel modèle de la médecine libérale, inadapté aux évolutions médicale, professionnels et sociétales.

 

Que pensez-vous de la convention qui a été signée par les trois principaux syndicats médicaux ?

Claude Le Pen : Sa nouveauté réside dans l’introduction d’une pluralité de mode de rémunération et celle de plusieurs options proposées au médecin rendant possibles un certain nombre de choix individuels. Cela ajouté à la fin du seul paiement à l’acte en fait une convention assez historique, qui enterre quelque peu la médecine libérale dans son modèle traditionnel. Ce n’est pas une rupture radicale, c’est une étape supplémentaire dans l’érosion de ce modèle de médecine libérale que l’on observe depuis quelques années. Et le fait que pour la première fois la CSMF, le SML et MG-France aient apposé leur signature à ce texte signifie, au fond, que la plupart des médecins adhèrent, bon gré, mal gré, à cette idée que la médecine libérale n’est pas l’avenir. On n’est plus dans la traditionnelle scission entre la médecine libérale et l’hôpital. Ce texte introduit une scission entre la médecine libérale et la médecine ambulatoire : les soins de premier recours peuvent être pratiqués selon différents modes d’exercice : à l’acte, salarié, exercice en groupe, en pôle, etc. Et cette diversification correspond à des évolutions économiques, professionnelles, médicales, sociétales.

Pensez-vous que ces nouvelles règles du jeu sont de nature à apporter plus d’efficience à notre système de santé ?

C. LP. : Il faut toujours faire en sorte d’optimiser le système. Mais cette notion d’efficience ne va pas sans une certaine ambiguïté. Via l’optimisation des moyens, il ne s’agit pas de faire moins bien avec les moyens à disposition, mais mieux avec ces moyens. En clair, il ne s’agit pas d’écarter de certains soins telle ou telle catégorie de population – comme c’est le cas en Grande-Bretagne, par exemple – au prétexte de l’efficience. La recherche de l’efficience doit être bornée par une philosophie éthique. A cet égard, il ne faut pas perdre de vue qu’au-delà des objectifs qualitatifs, il y a derrière le paiement à la performance des visées qui diffèrent selon les acteurs : les médecins y voient le moyen d’améliorer leur revenu, et l’Assurance Maladie en attend quelques économies. D’ailleurs, un bon nombre des indicateurs retenus concernent la prescription en génériques, et l’on est toujours dans le deal classique : un peu d’argent contre un peu moins de prescription. De ce point de vue, le « P4P », c’est la maîtrise médicalisée new look ! Par ailleurs, on brandit toujours le mot « efficience », avec celui de « prévention » comme une baguette magique. Mais on sous-estime le fait que ces stratégies ont un coût matériel, organisationnel et humain, et supposent donc des moyens, qui manifestement ne sont pas au rendez-vous. Mais on y arrivera ! Ce qui est important avec cette nouvelle convention, c’est qu’on va au-delà de l’incantation. Mais il faut aller plus loin dans l’exercice regroupé, les délégations de tâches, etc.

Vous estimez donc que cette convention marque un tournant ?

C. LP. : Oui, on prend un tournant, mais lentement, dans une stratégie de petits pas comme Kissinger pour la paix au Vietnam ! Mais lorsqu’on additionne les petits pas effectués depuis vingt ans, on constate un grand changement. A cet égard, la signature de la convention 2011 par MG-France et la CSMF est emblématique : le premier a combattu le système des recommandations soutenu par la confédération, laquelle applaudit au dispositif du médecin traitant après avoir pourfendu celui du médecin référent…

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