Vincent Pradeau, président du Syndicat des cardiologues

Nouvellement élu président du Syndicat national des cardiologues, Vincent Pradeau nous présente sa vision de l’avenir de la profession.

Vincent Pradeau, qui êtes-vous ?

J’ai 53 ans, je suis marié. Mon épouse est médecin urgentiste, praticienne hospitalière au CHU de Bordeaux et nous avons trois enfants de 25, 23 et 19 ans.  Je suis périgourdin d’origine, j’ai grandi à Limoges où j’ai fait mes études de médecine. Je suis bordelais d’adoption depuis mai 1994, début de mon internat, et viscéralement girondin de cœur et d’esprit.

Quel cardiologue êtes-vous ?

Je suis installé depuis 2003 dans la métropole bordelaise sur la rive droite de la Garonne dans un cabinet plurispécialiste de quatre cardiologues et une endocrinologue-diabétologue. Je fais des consultations avancées dans une maison pluriprofessionnelle dans l’entre-deux-mers à Langoiran, patrie d’Alain Giresse. Nous sommes membres des deux CPTS qui nous sont géographiquement proches.

J’ai une activité de cardiologie générale avec une forte inclinaison pour l’imagerie, la prise en charge en ville de l’insuffisance cardiaque et la prévention cardiovasculaire. Nous partageons avec un autre cabinet de cardiologie, un plateau technique non invasif complet sur la polyclinique Bordeaux Rive Droite, membre du groupe régional GBNA Santé.

Quel syndicaliste êtes-vous ?

J’ai toujours eu des engagements transversaux : de délégué de classe à représentant au conseil d’administration de mon lycée, de représentant des internes de cardiologie au CHU de Bordeaux puis à celui des chefs de clinique de cardiologie jusqu’à la présence au sein du bureau de l’Amicale des cardiologues de Bordeaux et d’Aquitaine (ACBA) qui est notre organisme de formation régional.

C’est assez naturellement que je me suis rapproché du syndicat régional des cardiologues à l’époque de la seule Aquitaine. Les premières rencontres avec Joël Ohayon avant mon installation n’ont pas été nécessairement des plus faciles, mais il est rapidement devenu mon mentor syndical, m’amenant avec lui comme délégué à l’assemblée générale annuelle du syndicat national pour la première fois en 2006 ou 2007, le plus souvent en compagnie de Georges Fel qui a également joué un rôle important dans l’apprentissage du padawan syndicaliste que j’étais. Le président d’alors était Jean-François Thébaut. Sa maîtrise des arcanes de l’organisation du système de santé ainsi que sa vision humaniste et organisationnelle des soins m’ont fasciné.

J’ai été élu pour la première fois au conseil d’administration du SNC sous la présidence d’Eric Perchicot (2014) et c’est à Jean-Pierre Binon que je dois d’être entré au bureau en 2016.

Soutenir la candidature de Marc Villacèque en 2020 était une évidence. La campagne a été violente, l’élection difficile mais je pense que cette difficulté nous a soudés autour de lui et permis d’affronter moins de deux mois après l’élection le tsunami qu’a été la pandémie. Être son secrétaire général dans ces conditions difficiles a été pour moi une incroyable expérience humaine, et voir dans ces conditions le nombre d’adhérents, ne pas s’effondrer et repartir à la hausse est vraiment une récompense. Cela ne crée bien sûr que des devoirs à la nouvelle équipe.

Quelle est votre analyse du contexte actuel ?

Cette nouvelle mandature avec un conseil d’administration renouvelé et une équipe dynamique déjà mobilisée s’ouvre dans un contexte global chargé : une guerre à l’est de l’Europe avec des risques de déstabilisation globale à chaque instant ; une crise énergétique qui lui est en partie liée et fait peser des contraintes économiques importantes qui n’épargneront pas les cardiologues ; un cycle inflationniste en cours, inédit depuis plus de 40 ans… Cela met à mal la rémunération des cardiologues autant que les budgets sociaux.

Le contexte social est également électrique sur le plan social avec une forte mobilisation contre la réforme des retraites dans un contexte post-Covid où s’impose une transformation radicale du rapport au travail dans la société.

Pour ce qui est du domaine de la santé, les négociations conventionnelles en cours sont plus que difficiles, guidées en filigrane par les contraintes budgétaires. La politique de la santé se décide manifestement plus à Matignon et à Bercy qu’au ministère de la Santé ou à la CNAMTS. Il n’est pas exclu que ces négociations achoppent et que nous nous retrouvions dans quelques semaines sous le régime d’un règlement arbitral qui peut vite devenir arbitraire.

Les cardiologues prennent leur part de ces négociations et leur force de proposition est reconnue. Plusieurs de nos représentants sont présents au sein des délégations d’Avenir Spé et de la CSMF. Je tiens ici à particulièrement souligner le leadership de Marc Villacèque en la matière. S’il a quitté la présidence du SNC, Marc demeure au sein de l’équipe de l’équipe dirigeante pour porter haut la parole de notre syndicat, notamment auprès de la CNAMTS.

Président, quelle sera votre action ?

C’est fidèle à l’impulsion que Marc a donnée depuis trois ans que je souhaite poursuivre la transformation de notre structure vers un syndicat de service. Nous conservons donc les Innov’Cardio pour continuer de mettre à disposition de tous les cardiologues, quelle que soit leur modalité d’exercice, les outils pratiques organisationnels, techniques, réglementaires et financiers qui facillitent l’exercice du quotidien. C’est dans cette optique que nous sommes heureux d’accueillir au CA Thierry Laperche (CCN) et Jean-Luc Banos (Pays Basque) qui nous apporterons leur expérience de structures très intégrées regroupant de nombreux cardiologues au sein d’une même entité.

La mise en place effective des équipes de soins spécialisés constitue un enjeu majeur des prochains mois, avec le déploiement des ESS  Cardio+ dans le cadre d’un article 51  porté par le syndicat et coordonnée par Thiery Garban dans quatre régions. Ce projet recourt à des modalités innovantes de télémédecine pour donner accès à des soins cardiologiques à des patients non mobilisables. Parallèlement à cette expérimentation, nous allons élaborer un kit ESS clé en main. Jean-Baptiste Caillard coordonnera ce projet compte tenu de son expertise dans ce domaine et son expérience de président d’URPS.

Dimitri Stepowski animera la dynamique commission numérique qui continuera à défricher et tester pour chacun les outils de demain destinés à faciliter le quotidien et nous aider à mieux appréhender la télémédecine.

La révision en cours de la CCAM est autre sujet vital. Celle-ci n’a pas été faite depuis 2005. Un travail gigantesque de classement de hiérarchisation des 180 actes de cardiologie est en cours. Arnaud Lazarus, cardiologue rythmologue et membre de notre CA, est à la tête du comité en charge de ce travail. Le calendrier de la révision court jusqu’en 2024. Il s’agit de la mère des batailles, notamment en termes de valorisation des actes nouveaux mais aussi du maintien d’un niveau de rémunération correcte des actes techniques du quotidien, en premier lieu desquels l’échographie cardiaque.

La commissions interventionnelle coordonnée par Patrick Joly va également avoir une feuille de route chargée avec les travaux qui s’ouvrent avec l’HAS sur le passage dans le droit commun des autorisations pour le TAVI, avec une première échéance au 1er avril. Ces travaux sont conduits en coordination avec les autres structures du Conseil national professionnel de cardiologie.

Un autre dossier majeur des prochains mois est la problématique de l’accessibilité pour les cardiologues libéraux à l’imagerie de coupe. C’est un élément qui devient incontournable avec la création de de la filière de spécialistes en imagerie dans la maquette du DES. Il est impératif que nous arrivions à trouver des accords gagnant-gagnant avec nos collègues radiologues, que ce soit durant la formation initiale, la formation continue, l’accès aux machines et les modèles économiques qui en découlent.

La formation va également être un axe essentiel de la politique du syndicat dans les années qui viennent. On ne peut que louer le dévouement et l’engagement de Pierre Marette au sein de FormatCœur. Yves-Michel Florès y poursuivra son action avec notamment la pérennisation des GAP (groupes d’analyse des pratiques professionnelles), le positionnement pour la formation de maîtrise de stage universitaire et la poursuite et l’intensification des formations thématiques socioprofessionnelle.

Dans le cadre plus large de la future certification périodique, il paraît important de rassembler toutes les forces vives portés par les organismes professionnels des cardiologues afin de mettre en place des formations communes pertinentes de qualité et ne pas laisser le champ libre qu’à des structures à visée purement commerciale. Nous travaillons en confiance dans cette optique avec la présidente de l’ODP2C, Dominique Guedj-Meynier, et Stéphane Lafitte, représentant de la formation au Conseil national professionnel de cardiologie.

C’est fort de cette collaboration sur le thème de la formation que nous poursuivrons le rapprochement avec le CNCF initié par Marc Villacèque pour constituer un pôle libéral uni et solide. Je sais pouvoir compter sur Pierre Sabouret et ses successeurs dans cette ambition.

Nous continuerons à travailler en étroite collaboration avec le CNP dont Bernard Iung prend la présidence.  Je tire deux enseignements de cette année à la tête de la structure fédérative de notre spécialité :

  • Lorsque vous avez dans la même pièce Christophe Leclercq, Ariel Cohen, Christophe Piot, Simon Cattan, Walid Amara, Jean-Pierre Binon, Marc Villacèque, Jean-Claude Dib, vous ne ressortez pas à la fin de la journée avec la même vision de la spécialité que celle que vous aviez le matin même. C’est dans cette dynamique qu’a été élaboré le Livre Blanc de la Cardiologie dont les 14 propositions diffusent largement au-delà dans le monde de la santé.
  • Lorsque le CNP porte une parole argumentée, avec des dossiers travaillés en amont, fort de nos différences mais avec l’intérêt de la profession comme objectif, les choses avancent beaucoup plus vite et de manière beaucoup plus efficace que lorsque les réunions se font à la dérobée, chacun de son côté, à la Porte de Montreuil, à la plaine Saint-Denis ou rue de Ségur.

Avec qui allez-vous travailler ?

Pour être efficace le syndicat doit voir un organe efficace de communication. Jean-Pierre Binon continuera bien sûr à présider Cardiologue Presse qui édite à la fois la revue Le Cardiologue et la lettre d’information électronique CardioHebdo. Nous avons la chance de compter dans notre comité rédactionnel François Diévart, Maxime Guenoun, Frédéric Fossati, Nathalie Zenou à la fois rédactrice et coordinatrice. Serge Sarzotti dont chacun apprécie au quotidien les qualités de synthèse bibliographique, nous rejoindra bientôt.

En-dehors de ces médias traditionnels, nous allons mettre encore plus l’accent sur la communication via les réseaux sociaux. Soyez tous prêt à tweeter, « linkediner », « youtuber » … pour relayer nos idées.

Et les patients ?

Le projet ne pourrait pas être complet sans la participation des patients. Jean-François Thébaut, ancien cardiologue maintenant de l’autre côté la barrière, continuera à nous apporter son expertise et sa sagacité ; nous continuerons à enrichir nos liens notamment avec les associations de patients atteints d’insuffisance cardiaque déjà associées à la lettre ouverte récente du CNP aux autorités et dans laquelle nous dénoncions les menaces sur la télésurveillance. Ce partenariat est essentiel à l’aire de la certification périodique puisqu’un volet y sera spécifiquement dédié. Il n’y a que des avantages à pratiquer la coconstructition.

Et le syndicat ?

Sur un plan plus structurel, cette mandature verra probablement notre déménagement de la rue Niepce et une réforme de nos statuts notamment quant aux modalités d’appel de cotisations. Thierry Garban, notre secrétaire général, mènera à bien cette réforme.

Patrick Joly et Marc Villacèque réactiveront la commission humanitaire que le Covid ne nous avait pas permis de développer.

De plus, je vois deux éléments essentiels pour l’avenir qui constituent des objectifs pour la fin de mandature : avoir mis en place les conditions d’un renouvellement générationnel et d’une féminisation de notre structure :

  • Nous sommes en contact avec le club des cardiologues formation et les associations d’internes notamment pour faire vivre notre plateforme de mise en contact Cardiolink.
  • J’ai donné carte blanche à Fanny Dounia pour mener un groupe de réflexion qui fera des propositions pour que nos consœurs cardiologues intègrent la gouvernance de nos structures. Elles seront d’ici peu majoritaires dans les effectifs des cardiologues et doivent participer à l’organisation professionnelle de leur avenir.

Quel message devons-nous retenir ?

La période qui s’ouvre pour le SNC va être agitée et incertaine mais c’est cela qui la rend intéressante. Une équipe motivée et renouvelée est déjà au travail. Notre seul moteur est l’action au service des cardiologues. Les jetons de présence et le ronron du plaçou[1] ne sont pas notre culture. Notre seule légitimité vient du nombre de nos adhérents, et c’est de là que nous tirons énergie. Plus nous serons nombreux, plus notre voix portera. Rejoignez-nous pour construire ensemble la cardiologie de demain !

[1] Expression limousine désignant un emploi obtenu grâce à l’entregent de quelqu’un, généralement un poste de planqué.

© DR

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