Bons élèves de la maîtrise médicalisée : les médecins libéraux doivent être attentifs aux développements du secteur optionnel

D’abord les « bons » résultats de la maîtrise médicalisée. Soyons francs, il ne s’agit encore que de frémissements. Ils ont été rendus publics fin juillet par la CNAM créditant l’évolution des dépenses d’un taux de croissance de 3,2 %. Soit rigoureusement la « commande » législative figurant à la loi de financement de la Sécurité sociale. En d’autres termes, Xavier BERTRAND peut se targuer d’être « dans les clous » de la réforme. Il s’est donc un peu emporté contre le Haut Conseil pour l’avenir de cette réforme (HCAAM, lequel est le véritable « dépositaire » du consensus social qui l’avait précédée), qui avait – sous la plume de son responsable, M. Bertrand FRAGONARD, ancien directeur de la CNAM – mis en doute la capacité du gouvernement à tenir les promesses de… 2006. « Pas de défaitisme prématuré » s’est emporté le ministre de plus en plus à l’aise dans ses habits de mécano de la réforme.

Pour les libéraux, la nouvelle est bienvenue, d’autant plus qu’ils sont à l’origine de cette performance quand l’hôpital « dérape » de plus en plus au plan comptable. Il convient pourtant de ne rien céder à l’euphorie : au 30 juin, la Convention censée être le principal levier de la réforme, n’était pas pour grand’chose dans la performance. Six lignes d’économies lui étaient imputées : les génériques, les antibiotiques, les anxiolytiques, les statines, les IJ et le respect de l’ordonnancier bi-zone. Deux des objectifs apparaissaient pouvoir être tenus (IJ et génériques), deux autres affichaient une évolution de bon aloi (antibiotiques et hypnotiques) et les deux derniers restaient parfaitement étales : statines et ordonnancier bi-zone.

Soit les deux enjeux les plus importants financièrement et les plus difficiles. Concernant les statines, plus personne ne croit vraiment possible d’enrayer la croissance d’une classe thérapeutique d’abord tirée par les indications ; concernant le respect de l’ordonnancier bi-zone, les choses sont plus complexes. Pour reprendre les formules qui ont souri à l’industrie, la CNAM a déployé un « réseau de VM » qui s’en est allé porter la « parole de la maîtrise » chez les généralistes mais pas encore chez les spécialistes. L’accueil est, paraîtil, globalement favorable et les médecins de famille promettent généralement d’être plus attentifs aux parties haute et basse du « bi-zone ». L’objectif est de faire descendre en partie basse 5 % des prescriptions figurant abusivement en partie haute (prise en charge à 100 %). Une action plus ciblée sur les spécialités qui initient souvent le traitement devrait s’imposer avant la fin de l’année. En tout cas, c’est d’abord sur cet objectif – où les médecins n’ont guère d’alibi à invoquer – que seront jaugées leurs capacités à tenir un engagement de maîtrise. Celui-là « pèse » donc 455 millions d’euros et conditionne les revalorisations tarifaires de l’an prochain.

Mais la « vraie maîtrise » est sans doute ailleurs : dans la définition, d’une part, de véritables référentiels de prise en charge de chacune des 30 ALD, normalement promise par la Haute Autorité de Santé (HAS, ex ANAES) dans les prochains mois (et avant la fin de l’année pour l’HTA sévère) et dans ce que les technocrates des caisses appellent, d’autre part, la « liquidation médicalisée », selon laquelle ne sont remboursées de prescriptions que celles figurant à l’AMM de chaque médicament d’abord et au protocole PIRES signé par le patient d’autre part. Pour cela, il faudra que le DMP soit opérationnel…, en 2007 peut-être.

Il n’empêche qu’à ce jour, la crédibilité de la réforme n’est pas entamée. Elle se trouve au contraire chaque jour de nouveaux « alliés objectifs ». Les généralistes ont reçu cet été le deuxième versement correspondant à leur portefeuille de patients les ayant choisi comme « médecin traitant » ; les spécialistes sont beaucoup moins à la fête, confrontés aux affres de la CCAM-V2 et, parfois, de la T2A en établissement. L’affaire a failli redevenir inflammable cet été encore jusqu’à la promesse que tout serait définitivement opérationnel au 15 septembre. Après cette date, plus moyen de se réfugier dans la NGAP, il faudra coder et ce codage deviendra donc obligatoire car… tarifant. Avec une dizaine d’actes « courants », les cardiologues se rassérèneront en pensant aux radiologues (ou aux chirurgiens ) confrontés, eux, à des centaines de codes… Là encore, le salut pérenne est dans l’informatique et ce sont nos éditeurs de logiciels qui sont, pour le coup, interpellés.

Il faudra, en revanche, être attentif, dans les semaines qui viennent, aux développements d’une promesse née dans la torpeur estivale. Reportons-nous au 19 juillet : les parties signataires de la Convention – Caisses d’un côté et CSMF, SML et Alliance de l’autre – se retrouvent pour adopter quelques avenants subsidiaires. Et, comme il est normal dans ce genre de rencontres, parlent… aussi du reste.

Dans les sujets connexes, un sujet qui fâche : le point 9 de l’accord chirurgiens d’août 2004. On se souvient que ces derniers avaient réussi l’an passé le « hold-up du siècle » sous la simple menace d’un exil londonien. Leur revendication était alors la réouverture du secteur 2 à leur seul bénéfice. « Pas d’exclusivité de ce genre » soutenaient les centrales, seules habilitées à négocier et… signer, et qui – ô miracle ! – obtenaient donc la promesse de cette réouverture pour tous les anciens chefs qui auraient fait l’erreur initiale d’opter pour le secteur 1. Ou, à défaut, la création d’un secteur… « optionnel » dont rien n’était précisé. Comme cette promesse engageait la CNAM, il y avait fallu le paraphe de son président à côté de celui du ministre de l’époque Philippe DOUSTE-BLAZY. L’accord avait été négocié par le directeur de cabinet du ministre, un dénommé Frédéric VAN ROECKEGHEM devenu entre temps « patron » de la CNAM et interlocuteur n° 1 des médecins.

Entre temps, le président de la CNAM ayant changé, l’actuel ne se sent nullement « tenu » par la signature de son prédécesseur. Il y a là comme un parfum de reniement – voire de « forfaiture » – mais les promesses, comme le dit l’adage, « n’engagent que ceux qui les croient »… Les chirurgiens ayant fourvoyé leur cause dans une équipée ratée en Grande-Bretagne, le dossier de la réouverture partielle du secteur 2 apparaissait « tombé aux oubliettes »… jusqu’à ce que les centrales l’exhument à la dernière réunion des parties signataires le 19 juillet.

La réponse de M. VAN ROEKEGHEM souffre peu d’exégèse : _ 1) hors de question de rouvrir le secteur 2 à quiconque, le gouvernement ne le souhaite pas, non plus que les partenaires sociaux ; _ 2) OK sur le principe d’un secteur optionnel mais pour tous les anciens chefs de cliniques, de toutes les spécialités et pas seulement chirurgicales ; _ 3) la question du secteur optionnel est d’ailleurs posée pour tous les praticiens, ceux exerçant aujourd’hui en secteur 1 comme leurs confrères du secteur 2.

Cette prise de position ne surprend guère venant d’un homme manifestement traumatisé par la notion de « double secteur ». Pour comprendre sa démarche, il faut se souvenir que c’est lui – et lui seul – qui, dans la négociation conventionnelle de l’hiver dernier, a soutenu le principe (et les modalités) de l’ « option conventionnelle » ouverte aux actuels praticiens à honoraires libres. Contre un engagement quantitatif à pratiquer des tarifs opposables sur 30 % de leurs actes (consultations + actes techniques), la caisse participe aux cotisations sociales des praticiens à hauteur de cet engagement !

Bien sûr le « deal » obère largement la liberté théorique des honoraires mais il est pourtant apparu fiable à une frange de médecins tentés de « jouer le jeu » à l’instar de quelques syndicalistes dont on peut imaginer qu’ils l’ont aussi fait par « civisme conventionnel ». Mais il y a comme un mouvement… de curiosité pour l’instant. On observera d’ailleurs que la CNAM fait peu de publicité pour un dispositif dont elle ne sait vraiment… combien il finira par lui coûter. Nous ne saurions, dès lors, trop exhorter ceux de nos lecteurs en situation de le faire à pratiquer une simulation comptable ; elle sera essentiellement fonction du nombre actuel d’actes déjà pratiqués en tarif opposable (et, par conséquent, de la part relative de clientèle-CMU). Au-delà de cette option-là, c’est la philosophie de la démarche qui importe. Elle n’est finalement pas si éloignée de celle soutenue par les auteurs du Livre Blanc de la Cardiologie en l’an 2000 qui parlaient, eux, d’un secteur « d’excellence » (d’autres ayant avancé le terme de « secteur promotionnel »).

Sous cet intitulé, une possibilité de dépassement circonstanciel d’honoraires – plafonnés mais remboursés – sous condition d’un engagement dans ce qu’on ne qualifiait pas encore de « démarche qualité » mais qui y ressemblait fortement : EPP, réseau, « gestion du risque », etc. La proposition avait le mérite du pragmatisme : offrir aux meilleurs une possibilité de promotion (et une « respiration financière ») qui ne soit pas seulement « auto-accordée » comme dans le cas du secteur 2 ni ouverte exclusivement par la voie des « titres et diplômes ». En un mot, offrir une possibilité de sortie du carcan du tarif unique… sous condition de continuer à s’acquitter de sa responsabilité sociale. L’Umespe (spécialistes CSMF) défendait une formule voisine à l’enseigne de « l’espace de liberté » dont les clauses seraient négociées avec les mutuelles.

… Aujourd’hui semble arrivé le temps de la synthèse dont on voit mal qu’elle ne s’inscrirait pas dans la source d’inspiration de la réforme consistant à concentrer l’effort social sur ceux qui en sont le plus redevables : les pauvres (titulaires de la CMU + deux millions de Français) et les malades chroniques (sept millions de patients en ALD). Ceux-là seraient garantis d’une prise en charge à 100 %, les autres allant solvabiliser (ou non) leur demande auprès des complémentaires. Les mêmes médecins devant prendre en charge les deux populations sur le même pied.

On aura compris qu’il s’agit là d’une option politiquement « sensible ». Trop peut-être avant les échéances de 2007 ?

Ce qui, en tout état de cause, n’empêche nullement les plans sur la comète.

Jean-Pol Durand

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