Cardiologie « low cost » : attention danger

Cas clinique (non fictif)

Monsieur P… est un homme de 58 ans. Il est suivi depuis 1981 pour une hypertension artérielle dont le bilan étiologique complémentaire pratiqué en 1993 au CHU s’était montré négatif. Il s’agit d’une HTA sévère (190/130 avant traitement), nécessitant une plurithérapie.

Il s’y associe une sédentarité, une importante surcharge pondérale (IMC 29,5 kg/m2 actuellement, mais parfois davantage) avec majoration du périmètre abdominal, une hypertriglycéridémie et un taux de HDL bas. On a donc les éléments constitutifs d’un syndrome métabolique.

Un échocardiogramme pratiqué en avril 2007 était normal.

M. P… consulte son médecin traitant, car il a décidé de débuter une activité sportive en salle, et il lui est demandé un certificat de non contreindication au sport. Il ne se plaint de rien.

Son médecin, après l’avoir examiné, lui pratique un électrocardiogramme qui est télétransmis à une officine d’interprétation à laquelle il a souscrit un abonnement.

Le compte-rendu (cf. document n° 1), validé par le Dr D… lui revient rapidement avec les conclusions suivantes : « TAC/FA à 100/mn, axe gauche, HVG, BBG incomplet, trouble de la repolarisation secondaire, ESV isolée ».

Sur la foi de ce compte-rendu, le généraliste, qui n’est pas surpris par le diagnostic de fibrillation auriculaire, car il avait entendu à l’auscultation des irrégularités du rythme (en fait liées à l’extrasystolie ventriculaire), entreprend logiquement un traitement anticoagulant en prescrivant une HBPM avec relais par AVK.

Il adresse ensuite le patient au cardiologue pour décision de tentative de régularisation.

Analyse de l’électrocardiogramme télétransmis

Le tracé (cf. document n° 2) est joint au compte-rendu.

Remarques sur le fond : – les ondes P sont parfaitement identifiables et le diagnostic de fibrillation auriculaire est erroné ; – malgré son diagnostic de FA, le Dr D… a pu mesurer un espace PR ! Cela montre avec quelle légèreté l’ECG a été interprété ; – le BBIG signalé est très contestable (il existe de petites ondes q d’activation septale en V6) ; – le diagnostic d’HVG n’est pas évident (les indices habituels sont normaux) ; – la mention de « troubles de la repolarisation » est assez aventureuse, car le tracé est de mauvaise qualité, avec une ligne isoélectrique instable, et aurait dû être refait. En outre, comment affirmer l’origine « secondaire » de ces supposés troubles de la repolarisation ? ; – l’aspect QS en V1V2V3 n’est pas signalé (en fait, il ne sera pas retrouvé chez le cardiologue consulté ultérieurement et il y avait sans doute un mauvais positionnement des électrodes).

Remarques sur la forme : – le tracé et le compte-rendu portent le seul nom du Dr D…, sans mentionner son prénom, ni ses titres, ni son lieu d’exercice, ni ses coordonnées, de sorte qu’il est impossible de le joindre pour avoir des explications complémentaires (pour mémoire l’article R.4127- 76 du code de la santé publique, repris par l’article 76 du code de déontologie, rappelle que tout document délivré par un médecin doit permettre l’identification du praticien dont il émane et être signé par lui) ; – le nom du patient ne figure pas ni sur l’ECG, ni sur le compte-rendu, avec le risque de confusion qui en résulte.

Consultation chez le cardiologue

Cette consultation, qui aura duré 30 minutes, aura comporté un interrogatoire, un examen clinique et un ECG. Le patient présente ses résultats biologiques, qui lui seront commentés avec des conseils diététiques.

Il est conforté dans sa décision de reprendre une activité physique et le cardiologue lui explique quelques règles simples et les précautions à observer pour la reprise du sport à son âge. Compte tenu de ses facteurs de risque, il est néanmoins conseillé auparavant une épreuve d’effort, conformément aux recommandations.

Il aura été constaté des extrasystoles ventriculaires et supra-ventriculaires qui motiveront un Holter.

Il n’est pas prévu d’échocardiogramme (sous réserve du résultat du Holter) car le précédent, qui remonte à 18 mois, était normal (cf. recommandations de la H.A.S.)

Cette consultation fait l’objet d’un compterendu détaillé, conforme au référentiel de l’UFCV, adressé au médecin traitant, avec des conseils thérapeutiques, et en particulier l’interruption du traitement anticoagulant, puisque le diagnostic de fibrillation auriculaire était erroné, et un ajustement du traitement hypotenseur.

En outre, le généraliste est contacté par téléphone par le cardiologue.

Le Holter montrera des extrasystoles ventriculaires en quantité non significative, des extrasystoles supra-ventriculaires en quantité très importante, mais isolées, et une fréquence sinusale souvent rapide.

Plutôt qu’un bêtabloqueur, qui n’avait pas été très bien toléré il y a quelques années, et que l’on préfère éviter en raison du terrain de syndrome métabolique, il est proposé, chez ce patient bénéficiant déjà d’un traitement comportant un I.E.C., un diurétique et un inhibiteur calcique, de remplacer la lercanidipine par du vérapamil LP, ce qui permettra à la fois d’agir sur la fréquence cardiaque et de respecter les recommandations actuelles de synergie thérapeutique dans l’HTA.

Commentaire

Le seul désagrément infligé à Monsieur P…, outre les injections inutiles d’HBPM, aura été une importante anxiété à l’annonce du diagnostic d’arythmie et des conséquences thérapeutiques en résultant, mais il n’y aura eu aucune conséquence grave, car le médecin traitant a eu le bons sens de demander un avis cardiologique.

Il faut savoir néanmoins que sa responsabilité aurait été engagée, malgré sa bonne foi, en cas de complication iatrogène d’un traitement anticoagulant prescrit à tort.

Nos correspondants doivent être informés du risque médico-légal qu’ils prennent en faisant appel à ce type de prestataire, même quand le service apporté est plus sérieux que dans ce malheureux exemple, car la prise en charge du malade est forcément partielle par rapport à celle que peut apporter un cardiologue.

Cette observation illustre en fait deux conceptions différentes de la médecine : – celle de ces sociétés de service, qui donnent l’apparence de la modernité par leur technologie et de l’efficacité par la rapidité du retour d’information, mais qui n’apportent qu’une réponse superficielle et, comme on l’a vu ici, parfois erronée ; – une prise en charge cardiologique globale, à la fois clinique et technique, à laquelle concourent le cardiologue et son correspondant généraliste, basée sur les recommandations, s’appuyant sur un dossier médical régulièrement mis à jour depuis de nombreuses années, ne se limitant pas aux conclusions d’un acte technique, et replaçant la personnalité du patient au centre de la consultation, avec les conseils de style de vie qui en découlent et les propositions thérapeutiques adaptées adressées au médecin traitant.

Où est l’intérêt du malade ?(gallery)

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