Comment CANDIDE se fit expliquer par PANGLOSS les multiples et merveilleuses formules de jeu sur un parcours de soins et ce qu’il en advint

CANDIDE : Docteur PANGLOSS, mon bon maître, vous êtes l’exemple du cardiologue expérimenté que je rêve de devenir. Expliquez-moi d’où viennent cette sérénité et ce bonheur de vivre qui se dégagent en permanence de votre personne. _ Docteur PANGLOSS – J’exerce le plus beau métier qui soit dans le meilleur des mondes possibles. Notre profession est entourée de puissants et généreux bienfaiteurs qui s’ingénient à faire de notre exercice un plaisir permanent.

C. – Quels sont donc ces bienfaiteurs ? _ Dr P. – Le principal est une bienfaitrice que l’on nomme l’UNCAM. _ Comme nous n’avons pas toujours le temps de jouer sur des parcours de golf, elle nous a créé des parcours de soins où l’on peut se livrer à des jeux dont les règles font appel à la plus grande ingéniosité.

C. – Expliquez-moi ces jeux que je devine passionnants. _ Dr P. – Celui qui a le plus grand succès a été créé pour exercer notre mémoire. Il s’agit d’écrire, dans des circonstances très précises, et sur des cases bien déterminées d’une grille très complexe, des suites étranges de lettres, MCS, MPC,MCC, MPJ… _ Chaque séquence est assortie d’une récompense de 2 €, parfois 2,27 €, voire pour l’une d’entre elles d’un super bonus de 4 €. Celui qui se trompe n’a pas sa récompense. Celui qui se trompe trop souvent subit une punition administrée par une sorte de police des jeux qu’on appelle la CPAM.

C. – Et vous ne craignez pas, qu’à force d’être joué, ce jeu ne devienne monotone ? _ Dr P. – Non, car, dans sa grande mansuétude, notre bienfaitrice, l’UNCAM, avait prévu initialement que, lorsque nous en maîtriserions bien les règles, les récompenses seraient majorées. _ Avec le temps, elle a pensé que le jeu serait plus excitant si, au lieu d’augmenter les récompenses, on intensifiait les punitions. Il s’est créé des comités de joueurs qui contestent cette nouvelle philosophie et qui menacent d’édicter leurs propres règles. Il en résulte une joyeuse animation, et nous ne nous ennuyons jamais.

C. – Avez-vous d’autres jeux ? _ Dr P. – Oui, pour les plus courageux, il y a un superbe jackpot qu’on appelle le DA. Ce jeu exploite la puissance de calcul de nos cerveaux qui doivent être capables de déterminer rapidement des taux de 17,5 % appliqués à des pourcentages de 30 %.

C. – Je n’ai rien compris, mais je n’ai pas votre grande expérience. Avez-vous plus simple ? _ Dr P. – Non, car notre bienfaitrice l’UNCAM ne sait faire pour nous que des choses compliquées. C’est un hommage à notre intelligence.

C. – Je suis impatient de connaître la suite. _ Dr P. – Le jeu le plus élaboré s’appelle le DM, c’est-à-dire le dépassement maîtrisé. L’antinomie apparente de ces deux termes laisse penser que ce jeu est réservé à des esprits forts, capables de se dépasser en se maîtrisant, ou de se maîtriser en se dépassant. Il s’agit d’une espèce d’exercice mathématique, où l’on doit démontrer que 2 tend vers 1, en appliquant un taux inférieur ou égal à 15 % à un pourcentage inférieur ou égal à 70 %. La grande originalité de ce jeu vient du fait que tous les participants perdent quelque chose, avec la différence que les gagnants perdent peu, et que les perdants perdent beaucoup.

C. – Je comprends de moins en moins. _ Dr P. – C’est normal, presque personne n’a compris.

C. – Vous avez des RTT. Expliquez-moi ce dont il s’agit. _ Dr P. – La RTT, pour nous cardiologues, signifie Rallonge du Temps de Travail. Comme nous avons la réputation d’être capables de travailler intensément, ces RTT nous sont offertes par tous ceux qui nous veulent du bien. _ Il y a nos patients impatients et nos correspondants, poussés par leurs patients impatients. _ Il y a tous nos puissants et généreux bienfaiteurs, la DGI, l’URSSAF et bien d’autres, qui nous demandent régulièrement et affectueusement de nos nouvelles, et à qui nous nous devons d’apporter de longues et précises réponses. _ On a imaginé également pour nous d’autres RTT que l’on nomme EPP, réseaux de soins, activités transversales… _ Pour certains privilégiés, il y a des super- RTT qui s’appellent les réunions syndicales.

C. – Vous me paraissez très dynamique, Dr PANGLOSS. Quel âge avez-vous ? _ Dr P. – Comme un grand nombre de cardiologues actuellement, j’ai la cinquantaine bien avancée. En fait, je suis tellement passionné par mon merveilleux métier que je ne m’aperçois pas que j’avance à grands pas vers la soixantaine.

C. – Mais comment se fait-il que vous soyez encore en activité ? Il paraît que dans notre beau pays, tous les travailleurs, et en particulier ceux qui exercent la nuit et le dimanche, ce qui est votre cas, ont droit à une retraite bien méritée très tôt. C’est, dit-on, grâce au principe sacré et intangible de l’avantage acquis, suivant lequel ce que nous ne pouvons pas nous payer nou-smêmes sera réglé ultérieurement et avec allégresse par nos enfants et petits enfants. _ Dr P. – La providence a fait que nous avons une autre bienfaitrice dénommée la CARMF. Elle nous écrit régulièrement que nous devrons payer toujours plus pour toucher moins. Son discours réconfortant a sur nous un puissant effet stimulant.

C. – Pourtant, j’ai lu dans la presse que le nombre de départs en retraite anticipée de médecins en 2005 était plus important que prévu, et que ce phénomène devrait s’accentuer en 2006. _ Mon bon maître, comment expliquez-vous qu’autant de praticiens soient pressés de quitter ce monde professionnel de félicité que vous me décrivez ? _ Dr P. – J’ai l’habitude de professer qu’il n’y a pas d’effet sans cause. Je dois avouer que, malgré mes recherches de la raison suffisante, je ne comprends pas l’effet ni ne m’explique la cause. _ Peut-être faut-il y voir l’influence néfaste d’un écrivain séditieux du dix-huitième siècle qui conseillait d’aller cultiver son jardin.

Vincent Guillot

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