Convention, tarifs, maîtrise : la face cachée des négociations en cours


Le jeu de rôle qui se déroule dans le huis clos conventionnel depuis le mois de décembre peut-il mal tourner ? Et précipiter la faillite du système qui organise l’accès aux soins de nos contemporains depuis bientôt un demi-siècle ? La réponse est clairement non, ou plutôt transitoirement non ; rien de définitif ne surviendra avant les échéances politiques de 2007. Et le durcissement de ton qui a caractérisé le climat de fin décembre est à mettre au compte de l’enjeu caché de cette négociation : les deux acteurs majeurs de la négociation y jouent l’un et l’autre leur légitimité politique personnelle : Michel CHASSANG, président de la CSMF, entend conforter le leadership de son organisation aux prochaines élections de mai aux URML (Unions Régionales des Médecins Libéraux) et Frédéric VAN ROEKEGHEM, directeur de l’UNCAM, met en jeu sa crédibilité à maîtriser l’économie globale d’une réforme qu’il a lui-même inventée. Le premier a donc besoin de résultats tangibles non seulement en termes de valorisation des honoraires mais aussi, et surtout, d’asseoir la mécanique du bilan annuel de la maîtrise médicalisée, selon laquelle toute économie dans les dépenses a une contrepartie en honoraires. Le second entend impérativement se mettre à l’abri d’un « avertissement public » que le Comité d’alerte – un collège de trois experts économistes – est susceptible de délivrer en mai en cas de dérapage putatif des comptes de l’assurance maladie. Mais les deux hommes ont aussi et surtout un intérêt conjoint à réussir : les remous de la fin décembre relèvent donc du psychodrame et seront forcément surmontés. Sauf à déjouer la logique élémentaire.

Rappel des épisodes précédents

La Convention qui régit les rapports du corps médical et de l’assurance maladie a donc été signée il y a un an, le 12 janvier 2004. Sa publication au J.O. avait pris un mois de retard, compte tenu d’un recours devant le Conseil d’État déposé, vainement, par les opposants. Les Caisses ont un peu tardé à installer, dans chaque département, les commissions paritaires censées réguler l’autodiscipline médicale ; elles ont dû aussi former, à marche forcée, la légion de DAM (Délégués de l’Assurance Maladie, sorte de « VM » de la réforme) qui sont allés expliquer les clauses de la maîtrise aux généralistes avant de fréquenter (un peu) les cabinets de spécialistes. En un mot les outils de la maîtrise ne sont devenus opérationnels qu’en mai. Alors même que la barre était haute, à 998 millions d’euros. Lors de leur premier rendez-vous de décembre, prévu par la Convention, les projections faisaient état d’un probable résultat à 700 millions. « Le compte y est donc » soutenait CHASSANG en invoquant l’absence de tout résultat à l’hôpital public, lequel se trouve effectivement à l’origine de 20 % des prescriptions ambulatoires. « Pas encore tout à fait » répliquaient de concert le ministre et le directeur de l’UNCAM, psychorigides sur le respect des chiffres contractuellement négociés et signés. Cette querelle du trébuchet n’a d’autre intérêt que d’autoriser des augmentations déjà actées l’an passé et conditionnées au respect de l’objectif : 1 €sur la majoration de coordination et 3 €pour l’acte pratiqué sur un enfant de 2 à 6 ans. Des broutilles en regard de ce qui attend les négociateurs !

Car le plat de résistance est à venir : les honoraires de 2006 ! Le problème est triple:

– d’une part, il convient d’augmenter les consultations des généralistes (lettreclé C), moins pour tenir compte de leur sort du moment que pour s’aligner sur la législation européenne. Explications : en 2007 sortent les premières promotions de généralistes « new look », c’est-à-dire ayant cumulé quatre années d’internat, le « minimum » exigé d’un spécialiste. Les médecins de famille deviennent ipso facto des… spécialistes « du premier recours et de la synthèse ». Et il convient donc de les rémunérer comme tels, à hauteur d’une CS actuelle, soit 23€. La route est toute tracée : 21 € en 2006, 22 € en 2007 et 23 € début 2008 ;

– d’autre part, il convient simultanément de réduire la fracture née du parcours de soins. Certains spécialistes, à accès spécifique, n’ont rien perdu (pédiatre, ophtalmologue), d’autres qui pratiquaient, de fait, en accès direct – à l’instar des dermatologues- sont mis dans une situation assez critique à – 10%; les derniers – dont une une majorité de cardiologues – se retrouvant dans une situation intermédiaire, mais néanmoins critique (voir encadré). Selon la jurisprudence tacite qui veut que l’instauration du parcours de soins – non plus que celle de la CCAM en son temps – « ne fasse aucun perdant », il convient donc de « rattraper » ce manque à gagner. Deux chemins peuvent y conduire : l’augmentation ciblée des consultations ou la poursuite de la réforme de la nomenclature qui veut que ce qui aurait dû baisser est resté au niveau antérieur et que les actes qui devaient être augmentés ne l’ont été que du tiers ; il est prévu de continuer à jouer sur ce curseur;

– enfin, il y a la réforme des consultations. Ce que la sémantique officielle appelle « CCAM des actes cliniques » et qu’on pourrait aussi bien appeler « nouvelle nomenclature des consultations » et qui vise à établir une nouvelle hiérarchie des actes cliniques ; à l’ancienne dualité C-CS, succéderait une nouvelle échelle à trois, quatre ou cinq niveaux (à définir) ouverts aux médecins de famille comme aux spécialistes selon des règles et valeurs à définir : C1, C2, C3… Tout le monde en convient : là réside la solution la plus égalitaire- le même prix sanctionnant le même contenu, pratiqué par un généraliste ou par un spécialiste – et donc la plus pérenne. Il s’agit d’une réforme en chantier… « virtuel » depuis des années ! Une « lisibilité » nouvelle et des engagements de calendrier sur le sujet permettraient à chacun de sortir la tête haute de la négociation de marchand de tapis qui se déroule en ce moment.

Son issue n’a, à vrai dire, qu’un autre écueil, du nom de Michel RÉGEREAU, président CFDT de la CNAM et de l’UNCAM, que tout le monde avait fini par oublier tant sa présence est discrète dans la nouvelle gouvernance de l’assurance maladie. Bien sûr, ce personnage, successeur mais pas héritier de Jean-Marie SPAETH, n’a plus un bien grand rôle. D’où sa propension à user, voire abuser, du peu qui lui reste. Et dans ce « peu », il y a la définition d’un « mandat de négociation » au directeur, à M. VAN ROEKEGHEM. En raison d’un problème de calendrier, le Conseil n’est convoqué sur ce sujet que le 15 janvier. Et pour que les apparences restent sauves, « Rocky » (le surnom de M. VAN ROEKEGHEM) doit faire mine d’en tenir compte. L’inverse provoquerait immédiatement le départ du président RÉGEREAU et une sorte de séisme politico-social avec la fin de la participation de la CFDT à la réforme.

… Où l’on rejoint le « jeu de rôle » évoqué précédemment : chaque acteur doit, dans cette affaire, autant à l’être qu’au paraître. Et c’est toute cette architecture baroque qui aura du mal à survivre à quelques épisodes conflictuels comme ceux qui viennent d’émailler la courte vie de la nouvelle convention.

Jean-Pol Durand

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