De Bercy, Éric Woerth met le cap sur une maîtrise comptable « soft »

L’été 2007 sera donc « à oublier » pour ses conditions météorologiques déplorables et les médecins – singulièrement les radiologues et les biologistes contraints à des baisses de tarifs – en garderont le souvenir amer d’une maîtrise abruptement comptable, assez éloignée de la politique de « rupture » promise pendant sa campagne électorale. L’affaire du « Comité d’alerte » et de son plan de maîtrise consécutif en juillet augurait en effet assez mal de l’ère-Sarkozy, car enfin les médecins libéraux avaient le sentiment, parfaitement fondé, de se retrouver les dindons d’une sinistre farce. L’ONDAM – Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie -, c’est-à-dire l’enveloppe financière votée chaque année par le Parlement, avait certes été fixé à + 2,6 % pour 2007. Mais curieusement cuisiné en pâté d’alouette : + 3,5 % pour l’hôpital et + 1,1 % pour la ville, honoraires et prescriptions confondus.

Le scandale de l’ONDAM-2007 et son avatar de l’été dernier

Même si elle s’explique politiquement par le souci de Dominique de Villepin de ménager les maires-présidents des conseils d’administration des hôpitaux, cette prime à l’incurie avait quelque chose de provoquant pour les spécialistes libéraux… D’autant que la promesse d’un passage rapide de la consultation du généraliste à 23 €, simultanément à l’épisode infectieux de l’hiver épuisait toute marge de manoeuvre en leur faveur.

Dans ces conditions advint ce qui devait arriver : d’abord l’alerte du Comité ad hoc, puis le plan de maîtrise improvisé par la direction de l’UNCAM, les plaintes des médecins pénalisés et le choeur des procureurs de la médecine libérale, toujours prompts à stigmatiser les « cadeaux » aux médecins pendant que les patients seraient voués aux sacrifices.

C’est donc dans un contexte parfaitement morose que la nouvelle tutelle de l’Assurance Maladie investissait ses locaux et ses dossiers avec un tandem baroque : la pharmacienne Roselyne Bachelot à la Santé et le financier Éric Woerth au « Budget et comptes publics ». Que Bercy allait tenir le rôle-clé n’échappait à personne dans une distribution des rôles qui n’avait rien d’inédit mais le mois de juillet a permis de lever définitivement toute ambiguïté. L’événement, injustement ignoré par la presse, est survenu le 16 juillet dans une session sans vrai enjeu de l’Assemblée nationale au décours du Débat d’Orientation Budgétaire où le locataire de Bercy s’est dévoilé comme le seul véritable patron de la politique santé en France.

Ne pas faire payer notre grippe par « les enfants de nos enfants »

De ses convictions sur le sujet, on ne connaissait que cette réplique à un journaliste qui lui reprochait une vision « essentiellement comptable » lors de leur première rencontre : « Quand on dépense, il y a des gens qui paient, ou leurs enfants, ou les enfants de leurs enfants. Moi, je ne trouverais ni normal ni moral que mes petits-enfants paient pour ma grippe ».

à peine quinquagénaire, l’homme est certes un nouveau venu dans le monde de la Sécu, mais il n’est pas le premier venu : formé à Sciences-Po puis HEC, il avait entamé sa carrière politique en 1995… au cabinet d’Alain Juppé ce qui n’assure pas un crédit de sympathie chez les médecins mais peutêtre y aura-t-il appris… ce qu’il ne faut pas faire ! Son propre père médecin, ses amis médecins – Marc Laffineur (Maine-et-Loire) ou Jean Léonetti (Alpes-Maritimes) – du « Club de la Boussole » qu’il animait au Palais Bourbon, l’auront sans doute instruit que réformer l’assurance maladie suppose au moins de ménager les médecins qui en seront les acteurs sur le terrain. Selon Le Figaro, dans le portrait qu’il en avait brossé, Éric Woerth est aussi un pragmatique qui sait se rendre incontournable : nommé à la direction de l’UMP par Alain Juppé, il avait été confirmé à son poste par Nicolas Sarkozy qui l’avait également intronisé trésorier de sa campagne comme il l’avait été de celle de Jacques Chirac en 2002.

Son discours de juillet dernier aux députés tient finalement en peu de lignes : « Nous ne pouvons pas continuer à faire financer nos dépenses courantes de santé par nos enfants. Nous devrons prendre nos responsabilités : c’est une affaire d’éthique. En moyenne, la croissance de l’ONDAM ne devra pas dépasser 2 % en volume pour les années qui viennent, soit environ 3,5 % en euros courants. C’est un objectif ambitieux, qui implique que le Gouvernement renforce dès maintenant les leviers de la maîtrise médicalisée avec l’ensemble des acteurs. C’est aussi un objectif réaliste, car il est inutile d’afficher des cibles hors d’atteinte ».

En nombre d’actes les médecins sont « dans les clous », mais les prescriptions dérapent

Deux pour cent de croissance en volume, le chiffre est-il réaliste ? Une première réserve consiste à observer que la loi n’a pas prévu cette nuance entre « effet-volume » et « effet-prix » pour n’afficher d’objectif d’évolution qu’en « euros courants ». Chaque année, c’est un budget prévisionnel que vote le Parlement, 144,8 milliards d’euros pour 2007, abusivement converti par les journalistes en taux de croissance, 2,6 % pour 2007 par rapport à l’ONDAM voté de 2006… Le problème est que l’ONDAM voté et l’ONDAM réalisé coïncident rarement et que les écarts alimentent un déficit récurrent, régulièrement transféré à la CADES, cette créance sur le dos des générations à venir que M. Woerth entend maintenant épargner.

La première question technique posée est donc de savoir le sort de la dette cumulée fin 2006, si elle est reversée à la Caisse d’amortissement de la dette sociale ou si elle ampute d’emblée l’ONDAM-2008. Au passage, il convient de noter enfin cette excellente nouvelle avec l’engagement, également signé de M. Woerth au nom de l’État, de rembourser une dette cumulée de 5,1 milliards de francs à la Sécu. De quoi « soulager » le déficit certain de 2007 (aux environs de 12 milliards, tous régimes confondus).

La deuxième question posée par l’objectif en volume de dépenses est liée au calcul de l’effet- prix : le gouvernement s’en tiendra-t-il à l’inflation escomptée à 1 point et quelques décimales ou voudra-t-il y intégrer la perspective des augmentations tarifaires déjà programmée comme la hausse du C à 23 € en 2008 ?… Sur des sommes pareilles, un seul chiffre après la virgule « pèse » quelques centaines de millions d’euros et les perspectives seront différentes si l’ONDAM-2008 est finalement adopté à + 3,3 ou + 3,5 %… La bagarre sera évidemment intense dans les couloirs de l’Assemblée nationale pour obtenir le maximum.

La démographie médicale en chute favorisera le respect de l’objectif

Beaucoup plus fondamentale est assurément la question de fond : cet objectif est-il tenable ? Pour se donner quelques références, il convient de rappeler que l’UNCAM avait, en juillet, réclamé un ONDAM à 3,3 % et que les quatre fédérations hospitalières avaient – ensemble, secteur public et privé réunis dans un surprenant oecuménisme – considéré comme « intenable un objectif inférieur à 3,5 % »… Les syndicats médicaux libéraux sont transitoirement muets. Sans doute attendent- ils réponse à cette autre question fondamentale : comment sera réparti l’ONDAM entre la ville et l’hôpital. La parité absolue les ravirait évidemment mais le Gouvernement voudra peut-être ménager encore l’hôpital au moins un an sous couvert d’élections municipales difficiles en 2008.

Du moins, M. Woerth n’est-il pas obligé de retenir le scandaleux différentiel de l’an passé… Un coup de rétroviseur dans un passé récent donne enfin à penser que l’objectif des 2 % en volume est sans doute tenable, du moins en ville : le « réalisé » de 2006 était certes de 3,6 %, celui de 2005 de 3,4 et celui de 2004 de 3,5 %. Mais ce chiffre cache luimême des disparités énormes : pendant que les volumes d’I.J. (arrêts de travail) diminuent (- 3,2 % en 2006), que le nombre d’actes de médecins et paramédicaux est quasi-stable (à + 0,3 % seulement), ce sont les « LPP » qui s’envolent à 9,9 %. LPP ? Liste des Produits et Prestations, c’est-à-dire médicaments, dispositifs médicaux, ambulances… Justement tout ce qui fait l’objet des mécanismes de maîtrise médicalisée.

Quatre facteurs sont considérés par les économistes comme générateurs d’inflation des volumes : – la croissance de la population ; – son vieillissement ; – le progrès technique et scientifique ; – la démographie médicale.

Sur les quatre éléments, l’argument de la démographie médicale est aujourd’hui caduc ou en voie de le devenir. De toute évidence, l’objectif assigné par M. Woerth est volontariste mais accessible, surtout à cinq ans. Il suppose – et il l’a annoncé – un renforcement des outils de la maîtrise médicalisée pour « tenir » dans l’épure. Le sujet est évidemment plus important pour les médecins que les débats idéologiques sur les franchises ou la TVA sociales qui ne concernent que les recettes.

Les pistes de réforme de M. Van Roekeghem pour le moyen terme |Présentant début juillet les perspectives d’action de l’Assurance Maladie pour le « moyen terme » (2015 dans l’esprit de l’Institution), M. Frédéric Van Roekeghem avait évoqué un certain nombre de chantiers dont certains sont déjà opérationnels comme le web-médecin mais aussi d’autres qui ne sont qu’autant de « pistes » : – mise en oeuvre du « Disease Management » dans deux pathologies : diabète et insuffisance cardiaque. On en saura plus des intentions de la CNAM à l’occasion de l’Université d’été de la CSMF fin septembre à Cannes ; – extension du système des « autorisations préalables », notamment à l’hôpital lorsque des alternatives sont médicalement possibles ; – rémunération des praticiens « à la performance » (bonus sur des objectifs qualitatifs négociés) ; – extension du système « Infosoins », call center mis à disposition des patients pour délivrer des informations sur les pratiques tarifaires des médecins ; – reprise du mécanisme de convergence tarifaire entre hôpitaux et cliniques ; – révision du mécanisme d’insertion en ALD ; – obligation faite aux médecins du secteur 2 d’avoir une pratique « minimale » en tarifs opposables.|

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