Et si on parlait d’efficience ?

331 – CardioNews – La notion d’« efficience » va-t-elle se substituer à celle de « maîtrise médicalisée » ? C’est ce qu’on peut penser à la lecture de la convention d’objectifs et de gestion du risque 2010-2013 en cours de conclusion entre l’Etat et l’Union des Caisses d’Assurance Maladie (UNCAM). Les Caisses souhaitent, entre autres, développer des outils plus pertinents pour favoriser « le développement de la qualité et de l’efficience », tout un programme. On ne peut qu’être d’accord …sous bénéfice de s’accorder préalablement sur le sens des mots, et notamment celui d’« efficience ». Qu’est-ce donc que l’« efficience » ? Cette notion se définit par le rapport qualité des soins/coût, généralement vu par l’assurance à l’aune de ses seuls remboursements et sur la seule base de leur seuls impact budgétaire global (lire, à ce propos la lettre de l’UFCV-Cidecar de mars 2010). C’est ainsi que l’Assurance Maladie souhaiterait ne plus prendre en charge, dans les prochaines années, que les seuls soins qualifiés par elle d’« efficients », c’est à dire coûtant le moins cher à efficacité présumée semblable (rappelez vous la polémique entre IEC et sartans !).

Mais il y a bien d’autres choses dans le projet de convention d’objectif Etat/UNCAM. Notamment un axe fondateur consistant à (re)mettre les assurés au cœur de leur prise en charge, pour lequel la convention promeut donc quatre leviers d’action à conduire auprès des assurés sociaux : – favoriser leur accès aux soins et réduire les inégalités de santé, – aider les assurés à devenir « acteurs de leur santé », – améliorer la qualité de leur prise en charge – leur rembourser les soins au « juste prix ». Comment être contre ? Comment être contre le fait que l’Assurance Maladie mette le cap sur la qualité et le renforcement de la coordination « des acteurs et des actions », chez un patient doté d’un accompagnement, en utilisant des outils modernes d’échange d’informations et en encourageant enfin la prise en charge « à domicile » ?

La cardiologie libérale serait évidemment hostile si, derrière cette explication technocratique, la même phrase se lisait en filigrane : devenu pivot officiel du processus de soins, le médecin généraliste est préposé du système d’information (DMP) et manageur de l’accompagnement thérapeutique du patient chronique (ETP) et le chef d’orchestre du maintien à domicile.

Mais quelle serait, dans cette hypothèse, la place du spécialiste et singulièrement du cardiologue ? Qui peut lui nier un rôle fondamental dans cette prise en charge multidisciplinaire où son travail mériterait aussi d’être valorisé ?

La dernière version du Livre Blanc de la cardiologie formule en effet des propositions, incitant les cardiologues à se regrouper au sein de « Maisons du cœur et des vaisseaux » pouvant, sur un même site articulé avec d’une part des cabinets de cardiologie de proximité et, d’autre part, avec des médecins généralistes, associer un plateau technique opérationnel et des professionnels paramédicaux spécialement formés.

Ceci suppose qu’un outil informatique devra faire appel à des logiciels communicants dans l’attente du dossier médical personnel universel promis par la puissance publique. Enfin la démarche des cardiologues libéraux postule que les référentiels de bonne pratique devront être portés par le Conseil National Professionnel de Cardiologie, permettant d’intégrer dans la pratique quotidienne des méthodes validant le nouveau Développement Professionnel Continu (DPC).

Les deux démarches – celles de la spécialité et celle des caisses – sont-elles compatibles ?

L’exemple de l’échographie-doppler transthoracique (ETT) est à cet égard intéressant. L’Assurance Maladie veut, sur le sujet, des résultats concrets, rapides, … et évidemment à la baisse. La mise en place de la CCAM technique a en effet permis de souligner la fréquence des actes d’ETT au nombre de 2,6 millions en 2008 et surtout leur augmentation au rythme de 5 % de 2007 à 2008 ; « beaucoup trop » selon l’interprétation coutumière de la CNAM, qui s’affiche illico déterminée à « rationnaliser » l’efficience de cette pratique à travers un AcBUS (Accord de Bon Usage des Soins). Il y manque, à nos yeux l’analyse qualitative régionale des pratiques. C’est le travail que peuvent facilement produire les experts de la représentation professionnelle sur la base du nouveau référentiel de la HAS publié en décembre 2009 avec des indications clarifiées lors du bilan initial et de l’acte de suivi. C’est à cette condition que l’« efficience » de cet acte pourra être garantie dans le cadre d’un AcBUS.

Un autre concept sur lequel les Caisses et la spécialité auront à confronter leur conception de l’efficience est celui des réseaux de santé ville-hôpital, notamment dans la prise en charge des patients insuffisants cardiaques. Structures multidisciplinaires de coordination, facilitant la communication entre les différents acteurs de santé dans l’objectif prioritaire de réduire le nombre et la durée des réhospitalisations, d’améliorer la qualité de vie des patients en privilégiant leur maintien à domicile, ils sont déjà – selon nous – des vecteurs d’efficience. La caisse nous oppose que leur réalité ne couvre pas l’ensemble des patients cardiaques chroniques ; il reste qu’ils pourraient utilement servir de modèle à développer. Ne serait-ce qu’avec la plate-forme téléphonique de suivi éducatif des patients insuffisants cardiaques et coronariens en prévention secondaire que l’UFCV va prochainement mettre en place en Ile de France avant de la décliner en régions.

Il semble donc bien que cette notion d’efficience puisse prétende à devenir le nouveau paradigme de la prise en charge « globale » des patients. Discours légitime en temps de crise mais néanmoins largement insuffisant à nos yeux. D’accord pour en faire un marqueur économique mais pas un indicateur, exclusif et universel, de la qualité du service médical rendu.

Patrick Assyag

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