Les parlementaires jouent à la convention

327 – La Loi de financement de la Sécurité Sociale (LFSS) 2010 a été adoptée. Sans trop de surprise quant au taux d’évolution de l’ONDAM retenu pour l’année prochaine : 3 %, et un taux identique de 2,8 % pour l’hôpital et la médecine de ville. « Pas plus dur et pas plus libéral que les deux années précédentes qui ont vu l’ONDAM respecté, grâce surtout aux professionnels libéraux qui ont suivi leur feuille de route », commente Christian Jeambrun, président du SML. D’ailleurs, ce taux est passé comme une lettre à la poste, si l’on peut dire. Ce qui a fait monter les syndicats médicaux au créneau, c’est l’avalanche d’amendements, surtout de la part des députés, dans une sorte de chasse ouverte aux médecins libéraux, tempérée, il est vrai, par le Sénat. Avec le temps, la LFSS ressemble de plus en plus à feu le DMOS, cette ancienne loi portant « diverses mesures d’ordre social ». A l’approche de son débat au Parlement, il y a quelques années, les professionnels de santé tendaient le dos, sûrs qu’ils étaient qu’au détour de cette loi « fourretout » un petit article ou un amendement voté nuitamment risquait de modifier singulièrement leur exercice.

Après l’adoption du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire (CMP) sur le PLFSS 2010, les libéraux peuvent se dire qu’ils ont échappé au pire. Ainsi, sans doute pour assurer la réussite du secteur optionnel à peine sorti des limbes grâce à l’accord signé le 15 octobre dernier par les parties signataires, Yves Bur, député UMP du Bas-Rhin et rapporteur du PLFSS pour la partie « recettes et équilibre général », a présenté un amendement obligeant tous les médecins du secteur 2 à effectuer 30 % de leur activité aux tarifs opposables. Il a également proposé un amendement contraignant les médecins à prescrire dans le répertoire des génériques avec menace de mise sous accord préalable pour les « rétifs ». Deux exemples, parmi d’autres, d’amendements vécus par les intéressés comme « antilibéraux ». Certains ont été rejetés dès l’Assemblée Nationale, d’autres l’ont été par le Sénat.

Il reste cependant dans le texte final un certain nombre de mesures qui fâchent les libéraux. Ainsi le « délit statistique » instaure des pénalités pour le pharmacien dès lors que des anomalies sont constatées sur seulement 15 % de son activité. Autre gros sujet de mécontentement pour les médecins libéraux, le CAPI restera en dehors de la convention, et ce contrat ne sera pas soumis à l’Ordre, comme tout « contrat-type soumis à l’approbation des ministres chargés de la santé et de la Sécurité Sociale ». La CMP a aussi confirmé l’élargissement des compétences des sages-femmes à la contraception et au suivi biologique mais en retirant le passage obligatoire par le médecin traitant : « Cette mesure prise sans négociation préalable avec les gynécologues n’est pas une bonne chose, commente Christian Jeambrun. On met la main dans un engrenage dangereux. »

Quant à l’article qui devait résoudre un problème assurantiel récurrent, en particulier pour les spécialités médicales à risques, il ne satisfaisait déjà pas pleinement les intéressés dans sa version CMP, mais il les fait franchement hurler dans sa version définitive – et gouvernementale – votée par le Parlement. Cette disposition permettant que l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) prenne le relais après l’expiration de l’assurance en RC d’un praticien condamné à réparer des dommages subis par la victime, sera finalement réservée aux seuls chirurgiens, obstétriciens et anesthésistes, et encore, dans le cadre du périmètre de la naissance . En outre, le texte prévoit que si l’indemnisation dépasse le plafond prévu par l’assurance du médecin, l’ONIAM pourra verser ce dépassement à la victime, mais se retournera vers le praticien qui devra s’acquitter de cette créance. « Cet article a été mal discuté et il est notoirement insuffisant », estime Jean-François Rey, président de l’Union des médecins spécialistes confédérés. L’UMESPE juge que cette mesure « va accentuer l’inquiétude des professionnels libéraux, les inciter à se dégager dans leur exercice libéral des situations à risque et va conduire à la création de déserts médicaux dans certaines spécialités ». « Ce que nous voulons, c’est qu’il n’y ait plus de plafond de garantie, et que l’ONIAM ne puisse pas se retourner contre les médecins ou leurs ayants droit », explique Jean-François Rey. Parmi tous les sujets de mécontentement contenus dans la LFSS 2010, un fait exception. En tout cas, Michel Chassang qualifie de « bonne mesure » l’encadrement de la prescription hospitalière. Il rappelle en effet que 20 % des prescriptions de ville sont initiées à l’hôpital, et que ces prescriptions représentent les deux tiers de la croissance annuelle des dépenses de médicaments en ville.

Pas de quoi atténuer pour autant le malaise du président de la CSMF face à cette loi de financement de la Sécurité Sociale : « On a dévié de la finalité de la LFSS qui est devenue pour le pouvoir un moyen de se substituer aux conventions et de réduire le périmètre contractuel. On est en train de mettre en pièce le système conventionnel. » Sur la même ligne, Jean-François Rey renchérit : « Le Parlement se met à prendre des mesures sur la médecine libérale en fonction des députés et des différents lobbies et semble vouloir remplacer la négociation conventionnelle avec les partenaires sociaux. C’est une méthode inacceptable et anticonstitutionnelle. Les syndicats doivent-ils disparaître ? Est-ce la volonté du Gouvernement ? On assiste à une rupture avec les relais professionnels, pas seulement avec les médecins, et c’est grave. Sur le fond, le renforcement de la rationalisation de la médecine libérale ce n’est pas acceptable non plus. » Même analyse de la part du président du SML : « C’est un nouveau jeu parlementaire ! Les députés – tempérés par les sénateurs – se sont amusés à nous présenter une loi HPST bis, une convention bis, à travers un maquis d’amendements. Certains saisissent l’occasion du PLFSS pour faire parler d’eux et impressionner leurs électeurs ; d’autres rendent service aux lobbyistes. Si l’Etat en haut lieu ne rectifie pas le tir, l’objectif du PLFSS sera détruit ».

Ce n’est pas le risque que le législateur se substitue à la convention qui heurte le plus Martial Olivier- Koehret. Pour le président de MG France, c’est surtout l’inadéquation de la réponse à l’énorme problème que pose notre système de santé. « L’attente de la population est immense en matière d’accès aux soins, de tarifs, de qualité et de sécurité des soins, et l’équilibre des comptes. Le législateur est garant face à cette population très inquiète. Certains élus font de la surenchère et de la démagogie, mais ce n’est pas un amendement qui va résoudre le problème. En tout cas, on n’a pas eu là les bons amendements ! La clé de l’accès aux soins de premiers recours est la revalorisation immédiate de la médecine générale, pour que les généralistes installés continus d’exercer et que les jeunes aient envie de le faire : j’aurais aimé qu’un parlementaire présente un amendement proposant C = CS ! »

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