Quelques pistes pour ramener les jeunes confrères à l’exercice libéral

298 – Le Cardiologue – Comment passe-t-on du statut de chef de clinique assistant à une installation libérale en secteur 1 ? _ Grégory PERRARD – D’abord par une rupture. La dépendance d’une hiérarchie, la lourdeur, l’opacité de l’organisation hospitalière commençaient à me peser ; le reste du chemin est affaire d’opportunité, en l’occurrence pour moi la possibilité de m’associer avec un oncle dans un cabinet jadis fondé par mon grand-père ! Pourquoi le secteur 1 ? Parce que mes associés l’étaient tous. Ancien chef, j’aurais pu opter pour le secteur 2, mais il n’aurait pas été forcément rentable : dans le Nord, les patients n’ont pas cette culture médicale que vous connaissez à Paris. J’ai aussi fait ce choix sans état d’âme : cela ne me choque pas qu’un confrère s’installe en secteur 2 à Paris. Mais à titre personnel j’ai du mal à cautionner les dérives de certaines spécialités : accoucher dans la métropole lilloise coûtera environ 2.000 € aux parents…, sauf à s’éloigner dans des maternités publiques périphériques.

Le C. – La cardio libérale était donc chez vous une sorte d’atavisme familial… et cette installation une issue normale de votre cursus. _ G. P. – Non, parce que d’une part cette installation faisait suite à une autre hypothèse, avortée pour des raisons administratives, et que ce n’était pas tout à fait une installation « standard » : mes associés n’étaient pas en recherche… C’est l’occasion qui a « fait le larron »… Quant à l’atavisme familial, il est vrai que je ne me suis jamais vu faire autre chose : voyez-y des raisons psychanalytiques, moi je sais que j’y ai toujours travaillé, choisissant mes stages d’externes en fonction de ce seul objectif. L’exercice libéral relevait d’une autre option. Je suis d’une génération où l’abondance de postes hospitaliers – due au phénomène « 35 heures » – offrait pas mal d’opportunités…

Le C. – Considérez-vous que le statut, fiscal et social, du jeune praticien est une incitation à l’installation ? Y avez-vous été préparé au cours de l’internat ? _ G. P. – Le principal problème des gens de ma génération est moins le niveau de charges – évidemment trop élevé – que le sentiment, peut-être infondé d’ailleurs – de payer à fonds perdus, notamment la CARMF. Deuxième question : la préparation à l’installation est absolument nulle dans le cursus…

Le C. – … Pourtant il y a maintenant une journée nationale d’information… _ G. P. – Je n’en ai personnellement jamais eu connaissance ! Et je ne suis d’ailleurs pas sûr que le principe d’une journée nationale soit la meilleure solution, surtout à Paris où les provinciaux rechignent toujours à se rendre. Je partage néanmoins l’opinion que, s’il était mieux connu, le secteur libéral aurait plus la faveur des internes. Des systèmes tels qu’on les pratique à INFORCARD (association de FMC des cardiologues du Nord), ouverte aux PH et aux internes, m’apparaît largement préférable. On a même réussi à faire reconnaître nos réunions comme obligatoires dans le cursus de l’internat. C’est une voie intéressante qui, en outre, permet aux praticiens installés de connaître les internes, et réciproquement : ils peuvent se rendre compte qu’il n’y a pas qu’au CHU que des gens travaillent, font de la recherche, s’interrogent. C’est à l’échelon régional qu’il faut établir ce type de lien direct.

Le C. – Il y a aussi la formule du stage chez le praticien ? _ G. P. – Ma femme, aujourd’hui angiologue, était il y a peu médecin généraliste et garde un excellent souvenir de son stage chez le praticien. Six mois sont probablement un peu longs ; une semaine par cycle de sept serait sans doute mieux indiquée. L’hôpital véhicule des tas d’idées fausses sur le privé, des tas de peurs, évidemment alimentées par les PH, plus d’ailleurs par ignorance que par défiance : que peut expliquer de l’exercice libéral un PH qui n’a jamais remplacé ?

Le C. – Votre génération est-elle aussi tentée que la précédente par la technique ou envisage-t-elle une forme de retour à la clinique ? _ G. P. – De toute évidence la technique. Ã l’hôpital, on a une vision péjorative du cardiologue clinicien même si on sait qu’il peut être précieux. Mais ces gens n’existent pas au CHU : on y trouve des coronarographistes, des rythmologues, des cardiopédiatres, des « soins-intensifologues » mais jamais aucun clinicien. Et on va naturellement vers ce qu’on voit, ce qu’on connaît, ce qu’on admire éventuellement. La clinique revient un petit peu aujourd’hui avec l’essor de l’écho cardiaque. Il est pratiquement impossible d’être échographiste sans être également bon clinicien.

Le C. – Comment voyez-vous votre exercice en 2015 ? _ G. P. – Mes deux associés seront partis en retraite (silence). Remplacés ou pas, là est la question ! C’est la raison pour laquelle je tiens à garder le contact avec les internes, par le biais d’un éventuel stage, de remplacements ou de contacts dans l’association de FMC. Parce que la région Nord était terriblement dépourvue en postes de CCA, M. KACET, notre coordonateur avait inventé le système d’assistant à temps partagé : mi-temps d’assistanat dans un hôpital périphérique, avec promesse d’embauche comme PH, et mi-temps de clinicat au CHU. On en est à la troisième « génération » et le système marche assez bien. Au point que la filière publique va fatalement s’épuiser. L’hypothèse devient intéressante dans un cadre privé. Est-ce que le CHU y consentirait, je n’en sais rien mais je sais aussi que ce serait une bonne façon de garder les internes dans le Nord Pas-de-Calais

Le C. – Revenons à votre exercice en 2015… _ G. P. – Entre mon cabinet et la clinique, il y a 25 km ; je pense donc qu’il existera toujours mais je ne suis pas certain que l’organisation en sera la même… Serai-je comme un radiologue installé dans son fauteuil à regarder les examens qu’aura faits pour moi une armée de paramédicaux… ? Je me pose d’ailleurs la question en des termes un peu différents : aurai-je le choix ? Car je ne suis pas très favorable au transfert de charges : aussi bien fait soit-il, un compte rendu ne traduira jamais l’impression ressentie pendant l’examen. Dans mon ancien service, on faisait les coro mais jamais les épreuves d’effort, ce qui m’a toujours frustré…

Le C. – Faut-il avoir peur de la paperasse ? _ G. P. – Raisonnablement. Il faudra toujours gérer les comptes rendus, même réalisés par du personnel paramédical. Il faudra évidemment ouvrir le DMP pour y intégrer notre conclusion mais la charge restera sans comparaison avec celle du généraliste et aussi avec celle du PH. Permettez-moi juste une anecdote : j’étais déjà syndicaliste pendant le clinicat et j’essayais d’avoir un rôle actif aussi bien dans la vie du service que de l’établissement. Notre bataille a consisté à sauver l’existence des CCA au sein de l’internat. Il a fallu six mois pour aboutir à une solution évidemment transitoire, mais qui dure toujours. Là où un problème de même nature (logistique) a trouvé une solution en une réunion de deux heures à la clinique…, avec mise en oeuvre le lendemain. J’étais littéralement « scotché » et je suis désormais sans inquiétude sur la bureaucratie du privé, largement en deça des pesanteurs du public !

Le C. – Venons-en à la vie syndicale. Que retenez-vous de l’actualité de l’EPP ? _ G. P. – Au niveau du cardiologue « de base » c’est – me semble-t-il – encore un grand point d’interrogation… Ã mon échelon, c’est « un mal nécessaire » pas forcément choquant à regarder la modestie du barème. Ã l’échelon de mon association locale de FMC, c’est une vraie chance. La validation va permettre de faire le ménage entre la formation- alibi-promo et la démarche indépendante, de qualité. Petit à petit, et notamment après le travail de l’UFCV, l’EPP va s’imposer comme une avancée largement positive.

Le C. – Les négociations tarifaires ? Le futur secteur optionnel ? Les évolutions du parcours de soins ? _ G. P. – Laissez-moi un délai pour me familiariser avec ces sujets. Vu du Nord, le seul problème qu’on ait jamais rencontré avec le parcours de soins est, en tiers payant, celui des patients-CMU qui n’avaient pas déclaré de médecin traitant… J’ai participé fin janvier à ma troisième AG. Il me semble qu’on a la chance d’avoir un bureau actif, compétent et dévoué. Une équipe soudée autour de Jean-François THÉBAUT et Christian ZICCARELLI…

Le C. – Où les quadras sont hélas encore trop rares ? _ G. P. – Parmi ceux de mes amis qui se sont installés en libéral, la moitié l’ont fait comme salariés (souvent d’ailleurs « salariées », au féminin) d’une SELARL issue d’un gros cabinet. Ce sont des « super-salariés » pour qui le libéralisme a forcément un tout autre sens. On ne peut pas isoler l’action syndicale de la réflexion sociétale. Voilà un authentique enjeu de réflexion pour demain. ❚

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