François Diévart – Le Cardiologue 461 – juin-juillet 2025
Evoquant l’arrêt de la « collaboration » entre Donald Trump et Elon Musk, un journaliste a eu cette remarque « Si Trump parle de drainer le marécage, sa séparation d’avec Musk était inéluctable, car il ne peut pas y avoir deux crocodiles dans un même marécage ». Si Biden avait suscité peu de biographies en français, si Musk en avait suscité au moins une par an, Trump semble en susciter, directement ou non, au moins une par semaine. Concernant Trump et Musk, deux ouvrages se détachent qui permettent de comprendre leur aspect crocodile et le fait qu’il ne peut pas y avoir deux crocodiles dans un même marécage.
LE CAS TRUMP
Bref panorama du 2e trimestre 2025
Difficile de tout lire concernant Trump, et je peux conseiller, concernant ses liens avec la Russie et la mafia, mais aussi concernant l’oligarchie russe, le livre édifiant de Yuri Felshtinsky « Le complot Da Vinci. Le deal du Salvator Mundi ». Fruit d’une enquête bien sourcée, menée par un historien russo-américain, cet excellent livre vous fera comprendre les enjeux financiers et politiques faisant qu’un tableau a été vendu 450 millions de dollars alors qu’on n’a pas la certitude qu’il fut peint par Léonard de Vinci. Vous comprendrez aussi comment s’est mise en place l’oligarchie kleptocrate russe dirigée par Poutine et la place dévolue à Trump sur ce jeu d’échec.
Le livre de Maya Kandel « Une première histoire du trumpisme » est un bon résumé de l’ascension politique de Trump. S’il est assez peu dynamique et plutôt conventionnel dans sa première partie, la deuxième partie est éminemment instructive.
Lorsque Trump traite ses adversaires de « vermines » ou dit que « les migrants empoisonnent le sang de notre pays », cela rappelle la rhétorique d’Hitler. Ce parallèle est illustré par le livre écrit par Olivier Mannoni, un des traducteurs de Mein Kampf, « Coulée Brune – Comment le fascisme inonde notre langue ». Pour le parallèle entre les méthodes de Trump et celles d’Hitler, ce livre sera utilement complété par un autre, absolument passionnant « La pensée nazie – Douze avertissements de l’Histoire » de Laurence Rees : indispensable.
La synthèse
Mais le livre récent qu’il faut avoir lu sur Trump a deux avantages majeurs : il est concis (220 pages) et il fait la synthèse de tout ce qui a été écrit sur sa psychologie et sur les risques que sa deuxième élection fait courir pour le monde actuel. Il s’agit du livre d’Alain Roy « Le cas Trump. Portrait d’un imposteur ». Ce livre peut être envisagé comme une tentative de répondre à deux questions complémentaires : « Qu’est ce qui fait que Trump ment en permanence et est narcissique, en d’autres termes comment ceux qui se sont penchés sur le problème expliquent sa psychologie ? » et « La psychologie et les idées de Trump sont-elles dangereuses pour l’avenir du monde ? »
L’auteur prend en compte les multiples publications permettant de répondre à ces deux questions, sans faire pour autant ce que l’on appelle de la psychologie de bazar. Ainsi, il analyse l’enfance et la jeunesse de Trump qui s’est déroulée sous la tutelle d’un père autoritaire et sociopathe, ce qui semble avoir poussé Donald à un manque d’empathie, à un culte de la réussite, en tout cas affichée, à défaut d’être effective tellement Trump a cumulé les faillites, et à un culte de la richesse ostentatoire comme unique objectif.
Ainsi, par exemple, pour répondre à la deuxième question, il rapporte toutes les hypothèses avancées concernant les liens de Trump avec la Russie, qui vont de l’admiration pour Poutine, dirigeant autoritaire et kleptocrate (un modèle à ses yeux car Trump assimile la richesse à l’intelligence) à des liens au moins financiers sinon plus troubles. Son admiration pour Poutine pourrait expliquer l’envie de Trump de constituer un nouvel empire en absorbant le Groenland, le Canada et Panama. Mais aussi, et cela est peu connu, cela pourrait expliquer certaines conduites lors de ses deux mandats. Dans son premier mandat « Il a essayé d’installer une kleptocratie, recueillant les contributions de ceux qui cherchaient à obtenir ses faveurs et empochant plusieurs millions de dollars de contribuables ». Et lors de son deuxième mandat « Pourquoi Trump a-t-il créé une nouvelle agence fédérale, le External Revenue Service, dont la mission est de percevoir les taxes et les droits de douane résultant de la politique tarifaire qu’il souhaite imposer à tous les pays du monde ? Le but est-il d’écarter tous ceux qui ont un œil sur ces entrées d’argent à la US Customs and Borders Protection, le Service des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis ? Qui dirigera cette nouvelle agence ? Pourquoi son mode de fonctionnement demeure-t-il si nébuleux ? Considérant l’admiration de Trump pour Poutine qui a détourné les richesses nationales à son profit avec ses complices et considérant aussi les comportements crapuleux de Trump dans le monde des affaires durant cinquante ans, il y a lieu, je crois, d’envisager même l’impensable : que Trump veuille tout simplement empocher une part de ces tarifs… il en a exprimé le désir noir sur blanc devant Cohen » (NB, ce dernier était son avocat).
ELON MUSK EN 50 TWEETS
Comme « Le cas Trump », le livre de David Chavalarias « Elon Musk en 50 tweets » est concis et synthétique. Son schéma est simple, les pages de gauche reproduisent en les traduisant des tweets émis ou relayés par Elon Musk sur son compte, et les pages de droite en fournissent l’explication. Il a une particularité, c’est qu’il marque d’un astérisque tous les mots devenus tabous sous Trump et l’on s’aperçoit ainsi, qu’il n’est pas possible d’écrire une page sans utiliser un de ces mots.
Pour mémoire, le chercheur David Chavalarias avait déjà fait paraître en 2022, un livre remarquable, « Toxic Data », dont la lecture est nécessaire pour comprendre tout à la fois comment les réseaux sociaux manipulent et déchirent le tissu social et comment la science révèle notre inadaptation à cette nouvelle donne numérique.
Au-delà des données issues de ses recherches, l’auteur commente les faits et dit tout haut ce que certains pensent peut-être tout bas.
Ainsi, il n’hésite pas à appeler « un chat, un chat » lorsqu’il synthétise plusieurs éléments comme « il n’est pas nécessaire de faire l’hypothèse d’une collusion entre Elon Musk et Poutine pour comprendre que leur alignement d’intérêts, auquel le président russe a activement œuvré, a rendu possible l’impensable : l’élection d’un criminel et délinquant sexuel condamné par la justice à la tête de la première puissance nucléaire mondiale ». Et plus loin « Le Kremlin suit en cela un vieil enseignement de l’Union soviétique selon lequel il est beaucoup plus facile et moins douloureux (et moins perceptible pour la population) de modifier la perception de la réalité, les attitudes, les modèles de comportement et de créer des exigences et des attentes largement répandues, conduisant finalement à l’acceptation du totalitarisme ». C’est tout l’enjeu pour Musk d’avoir acheté Twitter, c’est tout l’enjeu pour Poutine de faire de Musk son « idiot utile ».
Ainsi, l’auteur rapporte la soudaine conversion de Musk au trumpisme « Elon Musk s’est convaincu que, s’il ne s’occupait pas de politique, la politique s’occuperait de lui et que le lent étranglement par la réglementation empêcherait l’humanité d’atteindre Mars. Il a aussi compris qu’une administration américaine complaisante et corruptible l’aiderait à lever d’autres obstacles à son projet : la propagation du virus mental woke, la submersion migratoire, la sobriété énergétique ou la chute de la natalité étaient autant de marottes qu’il partageait avec un Donald Trump en campagne ». Plus encore, Donald Trump avait envoyé un signal fort à ses supporters en annonçant son intention de gracier toutes les personnes emprisonnées parce qu’elles avaient menées l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021, message qui était « en substance : si vous enfreignez la loi pour me faire élire, je vous protégerai de mon pardon présidentiel ». Et Musk, une fois engagé auprès de Trump, avait conscience de la méthode qu’il allait employer lorsqu’il disait « Si Donald Trump perd, je suis baisé ! Combien de temps pensez-vous que je passerai en prison ? ». Cette approche du problème l’a encouragé à faire le pari qu’il pourrait acheter des voix d’électeurs par une loterie à 1 million de dollars le lot quotidien. Mais « Comble du comble, attaqué en justice pour achats de vote, ses avocats ont changé leur fusil d’épaule argumentant que le gagnant était choisi à l’avance parmi les militants républicains en récompense de leur engagement, l’opération était donc légale. Ceci a épargné à Musk une lourde condamnation mais lui a valu un second procès pour tromperie sur la loterie ». Musk, le visionnaire, a donc une vision qui n’a d’égale que sa moralité.
Ainsi, l’auteur rappelle que Musk et Trump utilisent la même rhétorique hyperbolique, comme par exemple, lorsque Musk intervenant au congrès du groupe d’extrême-droite en Allemagne, l’AfD dit en parlant des élections en cours dans ce pays « Je ne le dis pas à la légère quand je dis que le futur de la civilisation pourrait dépendre de cette élection ».
Ainsi, l’auteur rappelle l’obsession de Musk qui justifie le développement de Tesla et de Space X comme de premières étapes nécessaires pour la conquête de la planète Mars afin d’offrir une planète de substitution à l’humanité lorsque cette dernière aura rendu la Terre invivable. Musk est un prosélyte convaincu du bienfondé de cette démarche qui est rappelée dans la biographie de 2023 de Walter Isaacson mais n’y est pas critiquée pour ce qu’elle est, une chimère déconnectée des réalités. Chavalarias remet donc les pendules à l’heure dans son chapitre « Nous n’irons pas sur Mars ». Il écrit ainsi « … selon plusieurs indicateurs, le mode de vie actuel de l’humanité est en train de provoquer la sixième extinction de masse sur Terre tout en rapprochant le système climatique d’un point de bascule. Là est le risque existentiel majeur à court terme pour l’humanité et non l’aspect monoplanétaire de la vie. Essayer d’apporter la vie sur un caillou sans atmosphère alors que nous ne sommes pas encore capables de nous occuper de notre planète malade de notre hubris, c’est se tromper de cible. Nous avons besoin de toutes les forces vives sur Terre pour en prendre soin. L’énergie dépensée par les hommes les plus riches du monde pour des objectifs extraterrestres n’est ni un bon signal ni efficace du point de vue de la préservation de la vie ».
Et de conclure par ce qui semble une métaphore : « La conquête de Mars n’est pas une solution aux risques existentiels qui menacent l’humanité… Une fois dégrisés de leur arrivée sur la planète rouge, il y a fort à parier qu’un peu de vert et d’air frais vont vite manquer aux colons qui se demanderont ce qu’ils sont bien allés faire dans cette galère ».
EN SAVOIR PLUS…

Auteurs : Alain Roy
Editeur : Écosociété
Parution : javril 2025
Pagination : 220
Prix broché : 16,00 euros
Prix numérique : 11,99 euros

Auteur : David Chavalarias
Editeur : Seuil
Parution : juin 2025
Pagination : 228
Prix broché : 14,90 euros
Prix numérique : 10,99 euros