L’horreur et la résilience

Deux livres récents, dont l’un est une deuxième édition, ont eu pour thème les années 1940 et 1941 : d’un côté la préparation d’un dessein funeste et macabre, l’opération Barbarossa et son corollaire, la Shoah par balles, de l’autre la résilience d’un homme, Churchill, qui n’avait alors que trois armes à sa disposition face à la barbarie : sa clairvoyance, une extrême ténacité et la parole.

BARBAROSSA : UN LIVRE CHEF D’ŒUVRE

Heureux choix des éditions Passés Composés d’avoir proposé une deuxième édition du livre de référence sur l’invasion de l’URSS par les troupes d’Hitler en 1941, ou opération Barbarossa. Chaque chapitre de cette bible de près de 1 000 pages peut être considéré comme un livre à part entière. 

Les opérations militaires, les forces en présence, leurs modalités de commandement tout y est décrit par le détail, notamment les buts de guerre différents entre Hitler (intérêts économiques comme le Donbass et Leningrad) et ses principaux généraux (intérêts militaires et symboliques comme Moscou). 

Mais c’est surtout la trame qui fait frissonner : l’opposition de deux régimes totalitaires, de deux barbaries dont on ne sait laquelle est la pire. Petite leçon pour rappeur milliardaire idolâtre d’un psychopathe à qui il attribue l’invention du microphone.

LE GÉNOCIDE PROGRAMMÉ

Côté allemand, ce qui pourrait advenir est connu dès 1923, date de l’écriture de Mein Kampf. Un psychopathe pense que des personnes vivants sur un territoire géographiquement déterminé constituent un peuple issu d’une civilisation ancienne et supérieure et qu’il a besoin d’un espace vital, le Lebensraum. Ce territoire permettant d’assurer la survie et la croissance de ce peuple ne peut être que la partie occidentale de l’URSS avec ses matières premières. 

Dans un délire empruntant au darwinisme social, il pense que ce peuple supérieur est menacé par des personnes pratiquant la religion juive et par ce qu’il juge être une perversion de cette religion, le bolchévisme, permettant de créer le terme fumeux de judéo-bolchévisme. Les circonstances de l’histoire ayant conduit ce sociopathe au pouvoir vont lui permettre de rendre opérationnels ses délires en conquérant les territoires censés revenir de droit au peuple supérieur tout en gardant un peu de ce qui n’est pas juif ou bolchévique en esclavage pour extraire les matières utiles mais surtout en exterminant tout le reste.

Pour ce faire, une armée moderne et rapide devra conquérir le territoire, principalement les éléments économiquement utiles, et des troupes de sécurité spécialement dévolues à cette mission, les Einsatzgruppen et le SD, devront « nettoyer les arrières » afin que l’armée puisse continuer à progresser. C’est ainsi que fut programmé le massacre par fusillade de milliers de juifs (la Shoah par balle) mais aussi des commissaires du peuple bolchéviques, puis par famine des soldats russes prisonniers ou des habitants des régions conquises, l’armée prélevant tout ce qu’elle jugeait lui être utile. Et les ordres criminels établis préalablement à l’invasion ont si bien diffusé sur le terreau fertile préparé par la propagande que même la Wehrmacht a participé au massacre des civils. Et les morts se sont comptés par millions. 

Ainsi, lors de la prise de Kiev, le rapport de son commandant indique « Les 29 et 30 septembre, les Juifs de la ville ont été liquidés, au total (selon l’équipe opérationnelle de la SS) 35 000 personnes (le chiffre est arrondi), dont une moitié de femmes. La population a pris les choses calmement, souvent avec satisfaction.

Les appartements des Juifs ont été utilisés de manière centralisée pour alléger la situation de ceux qui ont besoin d’un logement. » Ainsi, entre le 22 juin 1941 et le printemps 1942, 4 millions de Soviétiques désarmés sont morts, non du fait des combats, mais de décisions des autorités allemandes, civiles et militaires. Plus de 2 millions de prisonniers de guerre… sont morts de faim, de froid, de maladies ou de mauvais traitements. Et cela, par idéologie et par calcul économique, et, pour la Wehrmacht, par « nécessité militaire ».

L’IMPOSSIBILITÉ D’ÉCHAPPER À STALINE, MAITRE SUPRÊME

En face, côté russe, il y a une armée mal préparée, désorganisée par des purges monstrueuses en 1937-1938 qui ont conduit à la mort la plupart de ses cadres dirigeants. Il en a entre autres résulté une mauvaise connaissance des forces adverses, une absence de communication entre les divers corps d’armées, des centres de décisions multiples répartis entre l’organe supérieur, les militaires et les agents de contrôle politique dont ont été flanqués tous les militaires de haut rang.

Alors comment résister à l’invasion ? En utilisant plusieurs moyens non classiquement militaires. Comme des réserves humaines importantes qui non aguerries ont dû aller au front servant alors de chair à canon pour ralentir transitoirement la progression ennemie. En utilisant l’importante profondeur territoriale russe qui avait déjà contraint un autre envahisseur, Napoléon, à la défaite. En utilisant les conditions climatiques utiles face à une logistique allemande peinant à couvrir logistiquement la profondeur territoriale conquise et plus encore les multiples vicissitudes liées au climat. En pratiquant la politique de la terre brûlée allant jusqu’à empoisonner les puits, délocaliser les usines, brûler et détruire les villes et les infrasctructures.

Mais plus encore, en utilisant la contrainte : si un soldat soviétique, quel que soit son grade, ne défend pas jusqu’à la mort sa position ou n’obéit pas, il sera fusillé sans aucune forme de procès et souvent devant les troupes. Sur ordre direct de Staline ou parfois des militaires eux-mêmes, tel cet ordre du commandant du front, le général Joukov de la mi-octobre 1941 alors que le NKVD vient d’arrêter 23 064 militaires dont 2 164 officiers  (on reconnait la précision bureaucratique) au prétexte qu’ils ont abandonné la ligne Mojaïsk : « Le commandant du Front ordonne au Conseil militaire de la 5e armée de fusiller sans pitié tous les groupes de militaires qui ont abandonné la ligne de Mojaïsk sans permission. Il ne faut pas s’arrêter devant l’extermination jusqu’au dernier de ceux qui ont abandonné le front ».

 

EN SAVOIR PLUS…

Barbarossa. 1941, La guerre absolue

    • Auteur : Jean Lopez, Lasha Otkhmezuri
    • Éditeur : Passés composés
    • Parution : septembre 2022
    • Pagination : 956 pages
    • Format broché : 23,77 euros
    • Format relié : 35,00 euros
    • Format numérique : 19,90 euros

 

LA SPLENDEUR ET L’INFAMIE : LE ROMAN DE L’HISTOIRE

Et face à tout cela, un homme, alcoolique et fumeur invétéré, travaillant souvent dans son lit ou sa baignoire et à des heures avancées de la nuit, un homme particulier donc, mais d’une clairvoyance, d’une volonté et d’un humour à nul autre pareil, Winston Churchill.

C’est l’histoire de cet homme, entre le jour où il devint premier ministre en mai 1940 et le 31 décembre 1941, un des points tournant de l’opération Barbarossa qui est l’objet du livre d’Erik Larson. Une histoire vraie, quasiment contée au jour le jour avec de très nombreux détails car puisés à la source des journaux intimes de nombreux protagonistes de cette histoire, tels la fille de Churchill et plusieurs de ses proches collaborateurs. Le ton est celui d’un roman, mais un roman où tout est vrai et vérifiable. Un livre qu’il est difficile de lâcher dès lors qu’on l’a commencé.

Pour la petite histoire, Erik Larson est journaliste et a déjà écrit un autre roman historique, lui aussi difficile à lâcher, « le Diable dans la ville blanche » qui décrit la mise en route de l’exposition universelle de 1893 à Chicago et l’histoire parallèle d’un tueur en série qui saura profiter de l’événement.

« La splendeur et l’infamie » est donc quasiment un livre intime sur Churchill, ses analyses, ses doutes et sa façon de conduire la politique en période de crise ultime. On y vit au jour le jour sous les bombes allemandes écrasant Londres, on y voit un certain Rudolph Hess penser qu’il pourra conduire l’Angleterre à une paix séparée avec l’Allemagne, Churchill tout tenter dans la mesure de ses possibilités pour obtenir le soutien et l’aide américaine, persuadé que seuls l’entrée en guerre des Etats-Unis permettra de gagner la guerre et donc qu’il faut attendre jusque là, la façon dont il nomme un entrepreneur ayant pouvoir au-dessus du gouvernement pour coordonner l’effort industriel de guerre avec les méthodes de l’entreprise et non les méthodes bureaucratiques ou les méthodes militaires usuelles…

Face à l’infamie allemande dont témoigne le journal de Goebbels (« Quand ce maudit Churchill se rendra-t-il enfin ?… L’Angleterre ne pourra pas tenir éternellement !… » Les raids devront se poursuivre « jusqu’à ce que l’Angleterre tombe à genoux et nous implore de faire la paix »), c’était méconnaître la splendeur de Churchill.

EN SAVOIR PLUS…

La splendeur et l’infamie

    • Auteur : Erik Larson
    • Éditeur : Le Cherche Midi
    • Parution : Août 2021 – octobre 2022
    • Pagination : 688 pages
    • Format broché : 24,90 euros
    • Format poche : 9,90 euros
    • Format numérique : 17,99 euros

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