Le marquis de la Rouërie (1751-1793) et la Conjuration bretonne ou l’histoire d’un double-jeu mortel – 1ère partie

C’est par une froide nuit du 30 janvier 1793 dans le château de La Guyomarais (Côtes d’Armor) que meurt d’une pneumonie, à l’âge de 42 ans, Armand-Charles Tuffin, marquis de la Rouërie (1751-1793), héros méconnu de la guerre d’Indépendance américaine (1775-1783) où il a été peint en 1783 par le peintre et naturaliste Charles Willson Peale (1741-1827).
Portrait du Marquis de La Rouërie en 1783, par Charles Willson Peale (1741-1827).

La Rouërie était aussi le chef de la Conjuration bretonne et Chateaubriand (1768-1848) qui l’a rencontré à Fougères, en 1791, dira de lui qu’ « il était élégant de taille et de manière, brave de mine, charmant de visage et ressemblait aux portraits des jeunes seigneurs de la Ligue ». 

C’est alors qu’il lutte contre l’infection que sa cousine intime, Thérèse de Moëlien, comtesse de Trojoliff (1759-1793) (1) sollicite un médecin, demeurant à Paris, du nom de Valentin Chevetel (1758-1834) afin qu’il vienne de toute urgence au chevet du malade ; il arrivera trop tard. 

Les deux hommes se connaissaient de longue date, sans doute avant le départ du marquis pour l’Amérique où ce dernier arrive fin avril 1777 afin de prendre part à la guerre d’Indépendance contre les Anglais (il va s’y distinguer sous le pseudonyme de colonel Armand) tout en cherchant à faire oublier une jeunesse tumultueuse alors qu’il était officier aux Gardes Françaises. En outre, il y a tout lieu de penser que Chevetel faisait partie des admirateurs fervents qui accueillirent le marquis en héros à son retour définitif d’Amérique en 1784. 

La Rouërie, décoré plus tard de l’ordre de Cincinnatus (fondé en 1783) par Georges Washington (1732-1799), fit alors forte impression avec son fidèle compagnon d’armes américain dénommé le major Chafner (ou Schaffner), en plantant les premiers tulipiers de Virginie introduits en France tout en étant « accompagné d’un singe assis sur la croupe de son cheval » comme le relate Chateaubriand ou sur son épaule comme le montre une statue à Saint-Ouen-la-Rouërie (Ille-et-Vilaine). 

Statue de la Rouërie avec son singe à Saint-Ouen-la Rouërie

La Rouërie avait toute confiance envers Chevetel qui s’était occupé de l’épouse du marquis, probablement poitrinaire, jusqu’à l’accompagner en cure thermale à Cauterets où elle est morte le 18 juillet 1786. Peinant à faire son deuil, le marquis demanda à Chevetel de rester auprès de lui durant une grande partie de l’année 1787. 

Les deux hommes sont presque originaires du même endroit puisque Chevetel, fils de médecin et médecin lui-même est né à Bazouges-la-Pérouse à seulement une quinzaine de kilomètres de Saint-Ouen-la Rouërie. Chevetel était à Paris depuis que le marquis lui avait procuré une place au sein de la maison du comte de Provence, frère du roi Louis XVI (1754-1793) et futur Louis XVIII (1755-1824) et c’est donc à Paris que Chevetel va acquérir des convictions révolutionnaires et le sens de l’enrichissement personnel au contact de personnages-clés de la Révolution « avides de pouvoir et faisant du sort de la France l’enjeu de leurs rivalités personnelles » (G. Lenotre) tels que Marat (1743-1793), Camille Desmoulins (1760-1794), Fabre d’Eglantine (1750-1794) et surtout Danton (1759-1794), ce « colosse à la figure couturée par la petite vérole », fondateur du club des Cordeliers en 1790, ministre de la justice après le 10 août 1792, qui laissa faire les massacres de septembre et qui fut pourtant accusé de « tiédeur » et de concussion par Robespierre (1758-1794), et finira guillotiné ainsi que ses amis le 5 avril 1794, en disant au bourreau « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine ». 

C’est aussi à Paris, le 25 juin 1791 (le jour même du retour du roi arrêté à Varennes), que Chevetel héberge La Rouërie et ses compagnons revenant de Coblence où a émigré le comte d’Artois, frère du roi et futur Charles X (1757-1836) et qui a approuvé un projet que La Rouërie va exposer en toute confiance à Chevetel ; il s’agit de créer une organisation contre-révolutionnaire, qui sera dénommée Association ou Conjuration bretonne et qui, fondée en juin 1791, consistera à mettre sur pied une armée de 10 000 hommes capable de monter sur Paris lorsque les troupes de la coalition et les émigrés entreraient en France. Ceci fut le cas le 19 août 1792 mais la victoire des Révolutionnaires à la bataille de Valmy (20 septembre 1792) conduira les troupes étrangères à battre en retraite et à repasser la frontière avant que la Bretagne n’ait pu se soulever. 

Quoi qu’il en soit, cette première rencontre à Paris laissa, de son propre aveu, Chevetel « songeur » et il se garda bien de faire état de ses propres convictions. Pendant les dix huit mois qui vont suivre, Chevetel qui avait mis les doigts dans un engrenage infernal dont il n’avait peut-être pas soupçonné l’ampleur, va se livrer à un double-jeu dangereux et finalement mortel pour un certain nombre de protagonistes. 

Chevetel n’a pas de responsabilité directe dans la mort du marquis passé à la clandestinité après la perquisition de son château le 31 mai 1792, et dont l’organisme affaibli par une errance incessante ne pourra vaincre une pneumonie hivernale aggravée par un délirium lorsqu’il apprendra, par inadvertance, la mort du roi. 

En revanche, les informations de Chevetel ont conduit à l’arrestation puis à la condamnation à mort par le Tribunal révolutionnaire, le 18 juin 1793, de douze conjurés incluant Thérèse de Moëlien dont on dit que la beauté contribua à l’essor de la conjuration et dont la présence d’esprit, en détruisant des documents compromettants, sauva la vie de nombreuses personnes. 

Jusqu’à la fin elle avait fait confiance à Chevetel et on peut s’étonner que les conjurés bretons, à commencer par le marquis et son entourage proche (à l’exception de Pontavice qui servait d’agent de renseignement à Paris), mais aussi les princes en exil (!) aient pu faire preuve d’une telle désinvolture qui était alors « une preuve d’élégance de pensée » (Juramie) et d’ingénuité qu’ils n’ont pas pu démasquer Chevetel qui, il est vrai, était un personnage secret et peu disert. 

Il semble d’ailleurs que Danton lui-même appréciait « le calme et l’attitude réfléchie » de Chevetel qui avait su se rendre très utile aux Bretons à plusieurs reprises dans le cadre de missions importantes telles que des opérations de change des assignats ou une livraison d’armes à Jersey (que de son propre aveu il fit échouer…). Chevetel avait même accepté de faire partie du Conseil de l’Association atteignant alors le comble de la duplicité confirmant, en véritable Janus, l’aphorisme populaire « bonne mine, mauvais jeu ». 

Parmi les allers-retours de Chevetel entre Paris et la Bretagne, deux épisodes, à moins d’un mois d’intervalle, illustrent à quel point la situation pouvait alors évoluer rapidement en fonction des évènements et, en l’occurrence, de part et d’autre de la bataille de Valmy qui est un « véritable désastre » pour la Conjuration bretonne qui, d’une certaine façon, n’a plus lieu d’être compte tenu de ses objectifs programmés ; avant Valmy le principe d’une monarchie constitutionnelle reste d’actualité alors qu’ensuite la monarchie est renversée et la République proclamée.

Les révoltés du Fouesnant ramenés par la garde nationale de Quimper en 1792, par Jules Girardet, (1886), huile sur toile, musée des beaux-arts de Quimper.

(1) Thérèse de Moëlien née à Rennes le 14 juillet 1759 paya de sa tête son dévouement absolu au marquis de La Rouërie (ils étaient cousins germains) et Chateaubriand dira d’elle lorsqu’il vit en 1782 la Comtesse de Tronjoli (sic) : « Je n’avais encore vu la beauté qu’au milieu de ma famille ; je restai confondu en l’apercevant sur le visage d’une femme étrangère » 

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