La stèle au roi serpent que vous pouvez voir dans le département de l’Egypte au Louvre, date de 3 000 ans avant notre être, de la 1ère dynastie de l’empire Egyptien. Elle a été découverte, en 1896, à Abydos, par Emile Amélineau. En calcaire, elle mesure 1,43 m de haut, 0,65 m de large et 0,25 m de profondeur. Remarquable par son exécution et ses dimensions, elle est un document historique majeur pour l’histoire de l’Egypte prédynastique et pour l’étude des premiers hiéroglyphes.
Circonstance de découverte
« Accompagné de plusieurs centaines d’ouvriers, Emile Amélineau s’attaque au secteur de Umm el-Ga’ab (“la mère des pots”), jonché de tessons de poterie couvrant les buttes et leur environnement. Dès la première campagne, en 1895-1896, il met au jour les sépultures de rois de la 1ère dynastie, Den, Semerkhet, Qa, le “Roi Serpent”, puis, en 1896-1897, le “tombeau d’Osiris” qui est en fait celui du roi Djer, ainsi que celles de deux rois de la IIe dynastie, Peribsen, Khasekhemouy » [3]. Il vient de découvrir la nécropole des premières dynasties, aujourd’hui appelée le « cimetière B », proche du cimetière U, prédynastique où ont été mises à jour 190 étiquettes en os et ivoires, dans la fameuse tombe royale U-j (3 200 ans av. J.-C.), faisant remonter l’écriture égyptienne de deux siècles.
On a reproché à E. Amélineau son manque de rigueur, la pauvreté de ses publications, mais à son époque, le but était de découvrir « le bel objet ».
La stèle du roi serpent
Les « Stèles » sont des monuments, comme des dalles de pierre fichées en terre, porteuses d’inscriptions avec souvent des figures. Elles apparaissent dès l’époque prédynastique à proximité des monuments funéraires.
Selon son découvreur, elle était enfouie dans le sol, en trois morceaux parmi les décombres de l’une des tombes royales et mesurait avec le troisième bloc non rapporté 2,5 à 2,6 mètres de haut. La stèle du roi serpent, exposée au Louvre, est constituée de deux blocs pratiquement intacts. L’irrégularité de la ligne de jointement montre qu’elle résulte d’une cassure et que la dalle de pierre était monolithe. Le couronnement est légèrement cintré confirmant son statut de stèle royale. Elle est rectangulaire sur les côtés, un peu rhomboédrique dans ses faces antérieure et postérieure à l’origine d’un profil fusiforme.
Le décor dans un cadre parfaitement délimité, est un bas relief, de conception complexe. Sur la partie supérieure, un faucon est tourné vers la gauche. Le centre, circonscrit par un rectangle, contient un serpent évocateur d’un cobra regardant dans la même direction que le faucon. Enfin sur la partie inférieure, une façade avec des tours de défense, des avancées, des retraits, et de hautes portes, représente un bâtiment.
Une vision « aspective »
Selon l’égyptologue Emma Brunner-Traut, une vision « aspective » est un système de représentation qui correspond à l’écriture hiéroglyphique, l’image va définir le sujet représenté. Pour comprendre le message, toutes les images doivent être juxtaposées et être vues au même moment depuis le même endroit.
Dès Nagada IIIb, vers 3300 av. notre ère, apparaissent des symboles royaux. Horus, le dieu faucon, protecteur de la royauté dont le roi est la manifestation terrestre, est associé à un ensemble d’autres signes. Les premiers sérekh*, apparaissent incisés ou peints sur certaines types spécifiques de poteries, parfois vides, parfois chargés d’un mot illisible, indication possible du propriétaire du pot et de sa provenance.
Sur la stèle, le faucon et le cobra regardent dans la même direction vers la gauche, ce sont des idéogrammes indiquant le sens de lecture. En vis-à-vis, il y avait une autre stèle non retrouvée, enfouie également dans le stable. Elles étaient disposées devant la tombe et servaient à l’indiquer le nom du défunt et le lieu où disposer les offrandes.
Le rectangle est considéré comme un mur d’enceinte vu en plan et qui montre un décor interprété comme les ornements de parois des salles d’un palais. Il faut donc lire cette partie « façade » du « mur d’enceinte » comme celle du « palais » : le palais est la propriété du dieu Horus, le cobra désigne le roi régnant, qui y réside. C’est le Sérekh de l’Horus Cobra lu de droite à gauche.
Le cobra, ainsi figuré, correspond dans la langue égyptienne à l’équivalent de nos consonnes et au son « dje ». Si, la plupart du temps, seul le hiéroglyphe du serpent est présent dans le sérekh du roi, il est parfois accompagné d’un second signe qui permet la lecture « Ouadj » ou « Dje(t) » selon le sens de lecture habituel. Il s’agit donc du roi Djet, le quatrième roi de la 1ère dynastie.
La composition est légèrement décalée vers la droite. « Le volume simple du faucon représenté par ses éléments constitutifs essentiels contraste avec la précision avec laquelle sont représentées les écailles du serpent et la façade du palais ». La qualité de l’exécution, et la maîtrise du ciseau du sculpteur font que certains auteurs ont douté de son ancienneté. Certaines caractéristiques archaïques contredisent ce point de vue : la proéminence et la chute du bec, le développement anormal de l’œil et exagéré des serres, le mode d’imbrication de la queue…
Le roi Djet, un roi mal connu
Les documents le concernant sont rares. La durée de son règne est variable selon les auteurs (23 ans selon Julius Africanus, 42 ans selon Eusèbe de Césarée…) qui ont retranscrit les « Aegyptiaca », datant du IIIe siècle av. J.-C, une sorte d’histoire de l’Egypte depuis ses origines, du grand prêtre d’Héliopolis, Manéthon. Il aurait régné entre 10 et 15 ans. Il est le fils de l’Horus Djer et de la reine Nakhtneith. Il épouse sa demi-sœur Mertneith dont il a un fils Den, qui lui succède.
Sa tombe, une fosse creusée dans le sol de 11,95 m sur 9,30 m, est entourée des 204 sépultures subsidiaires des grands personnages de la cour et de magasins où étaient entreposés tous les éléments nécessaires à la vie de l’au delà. Elle possède une superstructure, deux mastabas** emboîtés au-dessus de la fosse, l’un au niveau du sol, le deuxième au-dessus du premier (voisin d’un mètre de hauteur) permettant de la voir et de l’identifier. Petrie découvrit de la céramique d’origine palestinienne, des sceaux, une plaquette en ivoire et un peigne en os. n
*Le sérekh (« qui fait connaître ») se présente comme un rectangle entourant le nom hiéroglyphique du roi, surmonté d’un faucon (symbole du dieu Horus) et placé au-dessus de la façade du palais royal. Le rectangle pourrait figurer un plan de ce même palais. Ce qui accréditerait la thèse qui voit dans le sérekh, à l’instar du cartouche, une protection du nom du roi, contre les forces négatives.
** Mastaba. Mot arabe signifiant « banquette ». Appellation donnée à la tombe civile composée d’une superstructure maçonnée, avec face inclinées qui abrite la chapelle funéraire et un caveau aménagé au fond d’un puits.
Bibliographie
[1] Amelineau E. Les nouvelles fouilles d’Abydos (1896-1897). Compte rendu des fouilles d’Abydos, lu devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres, dans sa séance du 29 mai 1896. É. Leroux, 1896-1897, 2 vol.
[2] Amelineau E. Le Tombeau d’Osiris : monographie de la découverte faite en 1897-1898. Paris : É. Leroux, 1899.
[3] Amelineau E. Les Nouvelles Fouilles d’Abydos, 1897-1898, compte rendu in extenso des fouilles, description des monuments et objets découverts. Paris : É. Leroux, 1904-1905.
[4] Petrie William. The royal tombs of the first dynasty (Part I et II): 1900 – London, 1900 digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/petrie.
[5] Farout D. Sens dessus dessous ou comment montrer ce qui est caché. Revue Pallas. https://pallas.revues.org/111.