Les rares et modestes bénéficiaires du réchauffement climatique se trouvent dans les vignobles français les plus septentrionaux, où les vins, grâce à un ensoleillement et des températures beaucoup plus favorables, profitent de maturités, richesse en sucre et par conséquence en alcool, nettement améliorées.
C’est particulièrement évident pour les pinots noirs alsaciens, dont la qualité, ces dernières années, a fortement progressé. Ceci est également lié à l’émergence d’une jeune génération de viticulteurs qui ont compris les potentialités de ce cépage dans leur région en le cultivant sur les terroirs les mieux adaptés. Actuellement, le pinot noir, seul autorisé pour élaborer du vin rouge, représente 15 % de l’encépagement, mais ne peut revendiquer l’appellation «grand cru».
Lorsqu’au XVIIe siècle, Michel Muré s’installe à Rouffach, au sud de Colmar, pour y cultiver la vigne, il est loin de s’imaginer la belle aventure qu’il préparait à sa descendance. En 1935, Alfred Muré complète la propriété par le très prometteur Clos Saint-Landelin. Aujourd’hui, le domaine Muré s’étend sur 25 ha, et ce sont ses arrières petits-enfants, Véronique et Thomas, 12e génération, qui cultivent les somptueux terroirs, pour produire de grands vins en biodynamie.
Le grand cru Vorbourg exposé sud, sud-est, dont fait partie le Clos Saint-Landelin, est protégé par les deux sommets vosgiens, les Petit et Grand Ballons, qui protègent le cru contre les vents d’ouest porteurs de pluie, favorisent un climat sec et très ensoleillé. Son sol marno-calcaire repose sur du grès du Bajocien et des conglomérats calcaires de l’Oligocène. Il est riche en fer, d’où la couleur rouge ocre du sol. La cuvée pinot noir V (initiale de Vorbourg) ne peut porter le nom du grand cru du fait de la réglementation.
UNE CULTURE BIO DEPUIS 1999
Afin d’exprimer la richesse du terroir, les Muré adoptent la culture bio dès 1999, puis biodynamique depuis 2013. La taille soigneuse des ceps en Guyot, les rendements faibles,
37 hl/ha pour le pinot noir V, renforcent la capacité des raisins à transmettre au vin l’expression du terroir. En complément du travail bio : respect du sol, désherbage mécanique, apport de compost, utilisation limitée du soufre et du cuivre, les préparations biodynamiques cherchent à favoriser la vitalité et la santé de l’écosystème tout en y respectant la biodiversité grâce à des préparations pulvérisées sur le sol (bouse de corne) et sur la vigne (silice de corne) ; des tisanes de plantes médicinales comme les décoctions de prèle ou de camomille renforcent les défenses naturelles des vignes contre les maladies cryptogamiques. Le cycle des planètes rythme ces travaux.
Les vendanges manuelles s’accompagnent du tri direct sur les parcelles des raisins qui sont transportés en cagettes de 20 kg, pour éviter tout tassement. Dans la cave, le travail reste minimaliste. La macération a lieu sur 50 % de grappes entières, la fermentation s’opère grâce aux levures indigènes de la cave, l’ajout de SO2 est restreint le plus possible. L’élevage utilise des barriques de chêne, dont 30 % sont neuves. Au moment de la mise en bouteille, de l’azote liquide est injecté, pour expulser l’air ambiant et préserver au mieux les arômes du vin.
UN VIN BÂTI POUR LA GARDE
Le somptueux pinot noir Saint-Landelin vendu uniquement sur allocation compte-tenu de sa rareté (2 500 flacons), étant inaccessible, j’ai apprécié pleinement le très proche pinot noir V 2018 qui, habillé d’une belle robe lumineuse rouge cerise, déploie un fruité éclatant de framboise juteuse et de griotte, des senteurs de pruneau, de vanille et d’épices douces (poivre blanc) avec des notes salines et de pierre mouillée témoignant de la minéralité propre à ce terroir alsacien. La bouche dense, charnue, gourmande dévoile une intense énergie tout en finesse, avec des tanins soyeux aériens, puis laisse place à une longue finale spectaculaire dotée d’une belle fraîcheur. Ce vin est déjà délicieux, mais aussi bâti pour la garde.
Ce pinot noir alsacien, servi à 15-16 °, appelle une terrine de volaille au faisan, des viandes rouges grillées plutôt que braisées ou en sauce, une escalope milanaise aux pâtes fraîches, un chou farci aux épices douces, un foie de veau poêlé au vinaigre de framboise qui répond aux arômes de fruits rouges du vin. Accords régionaux de rigueur, il escortera avec plaisir les plats locaux : palette de porc fumé, baeckeoffe aux trois viandes, voire cassolette d’escargots à l’alsacienne. Le vin s’exprime pleinement avec une caille aux raisins, sa fluidité aérienne s’accorde avec la subtilité du volatile, son acidité légère et fruitée font écho à celle de la garniture et après quelques années de garde avec les petits gibiers à plume (perdreau, colvert).
Actuellement, les pinots noirs alsaciens ont le vent en poupe, séduisent les palais les plus exigeants et se font une place sur les belles tables. Certains grands vignerons n’hésitent pas à arracher des rangs de Gewurztraminer, pour replanter le cépage rouge. Celui-ci s’épanouit à condition, comme le font les Muré, de choisir des terroirs favorables (granit, grès), de pratiquer une viticulture respectueuse et une vinification à la bourguignonne. Grâce à leurs prix encore raisonnables, ces vins s’annoncent comme de sérieux challengers à leurs homologues bourguignons.
Veronique et Thomas Muré – Clos Saint-Landelin 68250 Rouffach |
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