Savez-vous que l’Auvergne fut l’une des premières régions viticoles de France à la fin du XIXe siècle quand les vignobles du Bordelais et du Languedoc étaient dévastés par le phylloxéra ? Las ! les cultures cantaliennes allaient être détruites vingt ans plus tard par l’insecte ravageur et ne furent quasi jamais replantées, car à cette époque (guerre de 1914), la région manquait cruellement de bras. Ainsi, le vignoble auvergnat s’effondra passant de 40 000 ha à 1 000 actuellement, limité aux petites AOC : Côtes d’Auvergne (420 ha) dans le Puy-de-Dôme et Saint-Pourçain dans l’Allier.
Depuis une vingtaine d’années, des initiatives locales tentent de ressusciter la viticulture arverne. C’est ainsi que la communauté de communes du pays de Massiac (Cantal) décida, dans les années 2000, de relancer le tourisme grâce à l’ancestrale culture de la vigne en palhàs (murets et terrasses en pierre sèche à plus de 600 m d’altitude). Le travail de réhabilitation fut entrepris : débroussaillage, dessouchage, remontage des murets et des escaliers d’accès, ce qui permit de restaurer quelque 3,5 ha sur les hauteurs de Molompize. Le spectacle est saisissant : les palhàs épousent parfaitement le relief sur des pentes particulièrement escarpées de 120 m.
Suite à l’appel d’offres de la COM-COM, Gilles Monier, géologue de formation qui avait repris la pomiculture familiale à Massiac, releva ce pari fou de faire renaître le vignoble oublié, car comme il le souligne : « Je n’avais aucune formation dans la culture et l’élevage du vin, j’ai appris en faisant… » aidé, il faut le dire, par un technicien et un œnologue de la chambre d’agriculture. Judicieusement il choisit de planter des cépages bien adaptés au terroir : gamay et pinot noir pour le rouge, chardonnay pour le blanc. Très vite rejoint dans l’aventure par Stephan Elzière, puis actuellement 2 autres producteurs, les vignerons de Massiac exploitent plus de 6 ha et sortent 10 à 14 000 bouteilles/an.
Malgré leur relief abrupt, complexifiant le travail, les palhàs de Molompize sur des coteaux ensoleillés bordant l’Alagnon, affluent de l’Allier, sont nées sous une bonne étoile, orientées plein sud, elles bénéficient d’influences montagnardes, mais aussi méditerranéennes et profitent des murets, pour capter un supplément de chaleur. Les ceps sont plantés sur des schistes et des gneiss, donnant un sol légèrement filtrant, qui apportent de la minéralité aux cuvées. La rudesse du climat entraîne une maturation lente. C’est un vin d’altitude (650 à 730 m), où les vendanges ont lieu mi ou fin octobre. Le raisin subit des écarts de température durant septembre et octobre impulsant la fraîcheur et la longueur aux arômes du vin.
Gilles Monier sur ses 2,5 ha à Molompize (plus 1,5 ha sur Massiac) travaille en viticulture raisonnée évitant les intrants chimiques en dehors du cuivre et du soufre à doses minimales. Les vignes sont taillées en guyot simple, tout produit phytosanitaire est proscrit. Les vendanges manuelles, triées sur place, sont transportées par de petites caissettes dans le vieux Massiac vers la cave héritée du grand-père, fort éloignée de la conception moderne…
VINIFIÉS À LA BOURGUIGNONNE
Les vins blancs sont vinifiés à la bourguignonne : raisins pressés, jus débourbés, fermentation après levurage dans des barriques neuves ou de 1 à 2 vins, bâtonnage pendant 6 mois pour remonter les lies, puis repos pour la malo-lactique de mai jusqu’à l’automne. Le soutirage a lieu au bout d’un an après une clarification par bentonite. La mise en bouteille sans filtration est effectuée à l’ancienne par gravité dans la petite cave vétuste.
L’administration pousse la loufoquerie jusqu’à jumeler le Cantal et la Haute-Garonne, puisque les vins de Palhàs reçoivent l’appellation « vin du pays du Comté Tolosan ».
Habillée d’une robe jaune pale limpide et brillante, cette cuvée Féline 2019 blanc des Palhàs, 100 % chardonnay exprime une typicité et des arômes singuliers associant une grande fraîcheur, une minéralité propres aux vignobles septentrionaux de montagne et des fruits mûrs plutôt méridionaux. Des senteurs de fruits à chair blanche : poire, pomme au four, écorces de pomelo, de fleurs blanches : tilleul, acacia jaillissent du verre, puis viennent la pâte d’amande, le pralin, une pointe de truffe. Gras, dense, ample, il régale le palais d’une sensation de brioche beurrée typique du chardonnay. Des amers minéraux et traçants, propulsés en vague saline sur une belle longueur, apportent la fraîcheur indispensable. Ce vin est remarquable d’équilibre et de maîtrise, mais dans la discrétion sans esbroufe.
Cette cuvé Féline 2019 se révèle remarquablement adaptée pour la grande gastronomie, mais aussi appètent vers la cuisine auvergnate. J’ai découvert ce vin au restaurant doublement étoilé de Serge Vieira à Chaudes-Aigues, et force me fut de reconnaître que les plats succulents du chef étaient magnifiquement accompagnés par cette cuvée : berlingots de gelée de tourteau à l’huile de géranium, omble chevalier comme un gravelax, filets de rouget lustré au beurre safrané, cèpes de la Margeride caramélisés au citron confit. Mais des plats plus modestes se marieront savoureusement avec cette Féline, poissons : truite aux amandes, crustacés : gambas à la diable, cassolette d’écrevisses, viandes blanches : sauté de porc aux pommes boulangères.
Ce vin accompagnera logiquement les plats traditionnels auvergnats : chou farci, lou pounti (quiche de porc à la blette), petit salé aux lentilles, aligot truffé, gratin de crozets aux cèpes et cantal. N’omettez pas de garder un verre de ce chardonnay pour les savoureux fromages locaux : cantal et salers vieillis, saint-nectaire.
A l’image des habitants, les vins de Gilles Monier sont typiques de l’Auvergne : peu expansifs, mais chaleureux une fois apprivoisés, beaucoup plus complexes que ne le laisserait entendre ce terroir si longtemps délaissé. Il faut vraiment féliciter le viticulteur qui, avec trois autres courageux permet la renaissance des vins de Palhàs.
Vin du pays du Comte Tolosan Gilles Monier – 15500 Massiac |
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