Sangue d’Oro 2008 – Passito Pantelleria

Un des rares avantages du confinement fut qu’il a (re)donné aux français le temps et le goût de cuisiner, incités, il faut le dire, par les multiples émissions de télévision et articles de journaux consacrés à la gastronomie. C’était également un excellent prétexte, pour chercher le vin idéal à marier avec les plats réalisés.

C’est ainsi que mon épouse m’a régalé avec un délicieux tiramisu selon une recette du chef Massimo Mori (Mori Venice Bar) parue dans le Figaro. Mais pour accompagner ce dessert composé d’œuf, sucre, mascarpone, liqueur, génoise, biscuit, café froid, crème, cacao riche en matières grasses, opulent à force de sucre et de saveurs, le choix d’un vin, à l’évidence moelleux, à la fois sucré et un peu acide, s’avérait ardu. Heureusement, le chef indiquait 2 pistes, soit un marsala, vin sicilien doux, soit un passito de Pantelleria. J’ai déniché, au fond de ma cave, une petite merveille qui allait permettre un accord somptueux : ma dernière bouteille de vin de Pantelleria de Carole Bouquet.

Produire un grand vin

Et oui ! La vedette de cinéma, ex James Bond girl, héroïne de Bunuel, est devenue une vigneronne presque à temps complet après être tombée amoureuse de la petite île  italienne de Pantelleria, au large de la Sicile, à 70 km des côtes tunisiennes, aux sombres pentes escarpées, fouettées par les vents, sous un soleil de plomb qui semble immuable. Venue en villégiature, elle décide de s’y installer en 2002 dans un mas délabré, sans eau, ni électricité, et de ressusciter ses terres laissées à l’abandon : oliviers, câpriers, et surtout vignoble pour produire un nectar liquoreux appelé là-bas passito. D’un ha, elle passera à 10 en rachetant progressivement les parcelles de 70 paysans. Après avoir vinifié chez un voisin, elle fera construire un chai doté de toute la technologie moderne. Il lui en faudra de l’opiniâtreté et des efforts physiques, pour arriver à son but : produire un grand vin.

Le sol du vignoble à 500 m d’altitude est composé de 70 % de terres volcaniques pierreuses avec d’énormes rochers parmi les ceps, et de 30 % d’argiles et de limons. Les vignes, plantées du seul cépage de l’île le Zibibbo (en fait, du muscat d’Alexandrie), sont entourées de murets en pierres sèches disposées en terrasses, pour les protéger des vents tempétueux. Il est impossible d’y faire passer un animal de trait, et encore moins un engin mécanique, si bien que tout le travail doit être manuel. 

Les raisins, récoltés à maturité optimale, soigneusement triés, sont ensuite posés sur des claies à même le sol, pour être séchés naturellement par le soleil pendant 3 semaines selon la technique du passerillage et s’imprégner de tous les parfums environnants : figues, fenouil, câpres… 

Le but est de faire perdre au raisin son volume en eau, pour le concentrer en sucre, ce qui nécessite 3 fois plus de raisin pour produire un passito qu’un vin classique. Après fermentation alcoolique, le vin est élevé en fût pendant 24 mois, puis 1 an supplémentaire en bouteille. 

A l’évidence, ce vignoble n’est pas un caprice de star, et Carole Bouquet, bien aidée par le vigneron Nunzio et l’oenologue Lanati, s’investit pleinement veillant à y séjourner le plus souvent possible et assurant la commercialisation de son vin (12 à 15 000 bouteilles seulement) aux 4 coins du monde.

Une formidable complexité aromatique

Habillé d’une robe orangée foncée tirant sur le cognac et l’acajou, ce passito de Pantelleria 2008 déploie une formidable complexité aromatique : bergamote, cédrat confit, abricot sec, miel de fleur d’oranger, cire d’abeille, fruits secs : datte, figue, amande, safran ! Le palais est littéralement nappé par la douceur et la suavité de ce vin. Un savoureux équilibre entre sucre, acidité et alcool, si important dans l’harmonie des vins liquoreux, préserve beaucoup de fraîcheur et une bonne digestibilité, sans tomber dans la lourdeur. La parfaite gestion de la matière et de l’onctuosité, l’ampleur en bouche lui procurent une persistance incroyable. Le sangue d’oro de Carole Bouquet, comme son nom l’indique, est sanguinaire, puissant, voluptueux, il représente le fruit, le sang de la terre, sa lumière dorée, les couleurs rouge et jaune de la Sicile.

Ce passito 2008 est un dessert à lui tout seul et, en fait, un vin de méditation que l’on peut déguster, grâce à la concordance des arômes, avec quelques fruits : dattes, figues.

Outre le mariage magnifique réalisé avec le tiramisu, les accords avec de nombreux desserts s’avèrent onctueux, sensuels : logiquement, les savoureuses pâtisseries siciliennes : gâteau à la pâte d’amande, cannoli, cassata siciliana, pignolata au miel, frutta martorana, ou des préparations plus élaborées : financier aux amandes, panacotta au safran et biscuits à la cannelle. 

Si on veut terminer le repas sur une note plus légère, la fraîcheur du vin accompagnera une soupe de pêches au moscato d’Asti ou une tarte aux fraises. La rencontre d’un millésime plus jeune que le 2008 avec un pigeon ou un canard aux épices et foie gras pourrait s’avérer surprenante, voire sublime.

Carole Bouquet aime boire son vin avec des fromages à pâte persillée : roquefort, bleu de termignon, stilton, gorgonzola,voire un simple morceau de parmesan.

Laissons conclure l’actrice devenue vigneronne : « ce vin, c’est ma manière d’être italienne. A travers ce terroir, j’ai l’impression de transmettre la luxuriance et la beauté du sud, cette lumière retrouvée dans la robe ensoleillée du vin, l’expression liquide d’une culture, d’un pays, d’une terre ».

Carole Bouquet. Ile de Pantelleria – Italie

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