A quelques encablures de Cannes, du luxe de sa Croisette, des fastes et agitations frénétiques de son Festival, les moines cisterciens de l’abbaye de Lérins sise sur l’île Saint Honorat, suivant la règle de Saint Benoît : « ora et labora », prient au rythme des offices journaliers aux chants byzantins et vivent modestement grâce au fruit de leur travail : la production ancestrale de vins et de liqueurs.
Saint Honorat est un lieu historique, où l’abbaye, fondée au début du Ve siècle, abrite actuellement une communauté d’une vingtaine de moines, tous unis dans l’élaboration de vins exceptionnels. L’ancien monastère fortifié, éperon fendant l’écume des vagues, donjon hérissé de créneaux et de mâchicoulis fût bâti, pour résister aux assauts des Sarrasins et des pirates génois. En haut, le chemin de ronde offre une vue magnifique sur la côte méditerranéenne jusqu’aux cimes blanches des Alpes.
L’origine du vignoble remonte au Moyen-Age, mais ce n’est qu’à partir des années 1990 que la viticulture se professionnalisa : identification des parcelles les plus adaptées à tel type de vin, remplacement des vieux cépages par des plants plus qualitatifs en introduisant de façon surprenante, en pleine Méditerranée, des variétés septentrionales : pinot noir, chardonnay, culture raisonnée (pas d’herbicides, ni d’insecticides), hygiène draconienne dans le chai.
Saint Honorat est constitué de roches sédimentaires calcaires et dolomitiques, recouvertes d’un limon argileux rouge riche en matière végétale. Une source naturelle d’eau douce protège les vignes du stress hydrique. Le vignoble, situé dans la partie centrale de l’île, comprend un peu plus de 8 ha, 5 dédiés au vin rouge, 3 au blanc, dont 2 pour le chardonnay qui trouve un sol propice argilo-calcaire similaire à celui de la Bourgogne. Les rendements sont limités en moyenne à 35 hl/ha grâce aux vendanges vertes. Le climat méditerranéen offre des conditions très favorables pour le développement de la vigne : ensoleillement remarquable, air nocturne chargé d’humidité, embruns marins conférant au vin fraîcheur et salinité. La biodiversité étonnante de l’île, où les vignes sont entourées de forêts de pins d’Alep, de chênes verts de micocouliers, d’oliviers, de champs, où croissent bruyère blanche, myrte, ciste, explique certainement les parfums profonds et singuliers de certaines cuvées.
La culture est raisonnée avec très peu de chimie, les sols sont enherbés. Tous les travaux : taille, ébourgeonnage, effeuillage, pour aérer les grappes, vendanges sont effectués manuellement, mobilisant l’ensemble de la communauté autour d’un seul but : produire les meilleurs raisins et les meilleurs vins possibles. Tout le travail de vinification nécessite, par-contre, sur l’île, un équipement important et performant. Les dates des vendanges sont déterminées scientifiquement, afin d’obtenir des raisins bien mûrs à bonne maturité phénolique. La récolte manuelle, soigneusement triée, est transportée en petites caissettes. Les raisins blancs sont pressés pneumatiquement, le jus frais est envoyé dans des cuves inox thermo-régulées, puis levurées, pour débuter la fermentation. La vinification est contrôlée par un œnologue suisse, Jean-Pierre Novelle. L’élevage se poursuit pendant 8 à 11 mois dans de barriques de chêne neuf préparées selon un protocole très précis, afin d’éviter le goût souvent trop boisé du chardonnay. La maturation se poursuit au minimum pendant
1 an en bouteilles dans une cuverie à température constante, climatisée et humidifiée.
La cuvée 100 % chardonnay Saint Césaire, servie à la table des Chefs d’Etats du G20, classée 4e parmi les 100 meilleurs blancs de Bourgogne lors d’un concours à l’aveugle, dévoile, dans son millésime 2011, une lumineuse robe jaune or pâle brillante et limpide. Pourvu d’un nez intense, ce vin fait jaillir du verre des senteurs impétueuses et opulentes, fruitées de confiture de poire, d’agrumes confits, florales d’iris et de pivoine avec une petite note citrique, une vaste palette aromatique typique chardonnay avec des touches successives de vanille, de beurre frais, de brioche et de miel signant un élevage de grand luxe. Sa bouche dense, d’une fraîcheur incroyable, liée à une belle acidité, fait ressortir une riche texture grasse, lactée, où les notes fruitées deviennent méditerranéennes, voire exotiques : anis, ananas, noix de coco. La finale longue finement toastée laisse apparaître une pointe réglissée.
Ce vin (divin ?) gras, généreux, très aromatique épouse délicieusement les produits nobles de la mer : loup sauce vierge de tomates fraîches et confites, turbot, saint-pierre en sauce crémeuse, daurade au jus de légumes confits, émulsionnée à l’huile d’olive selon Passédat, noix de saint-jacques aux truffes. La persistance en bouche des crustacés s’harmonise parfaitement avec la complexité de ce chardonnay : homard rôti aux morilles, langouste à l’armoricaine ou à l’émulsion crémée aux poivrons selon Robuchon, mieux encore avec une sauce à l’oignon, telle que proposée dans le restaurant de l’île tenu par les moines.
Mais ce vin sublimera aussi des mets terriens : foie gras en terrine, vol-au-vent, quenelles, poularde à la crème, risotto aux pleurotes et citron confit. Après le plat principal, ce vin fait aussi merveille avec des fromages d’alpage, tels comté, gruyère, appenzeller, vieux fribourg.
Quel pourrait-être plus bel hommage que cette déclaration de frère Marie – Pâques : ce vin trouve son sens dans sa devise, « une île, des frères, un grand vin », qui veut avant tout mettre en avant des valeurs : l’amour du travail bien fait, la fraternité des frères qui vivent dans le respect des différences, la solidarité, le partage, le respect, la tolérance, le service mutuel, la justice, la paix, des valeurs qui nous mènent à l’excellence, l’excellence des produits bien-sûr, mais aussi l’excellence en toute chose, dans les relations, dans les rapports avec la nature, dans la vie… Quelle actualité !