Notre confrère, François Rabelais, natif de Chinon, thuriféraire et grand consommateur des vins de Touraine, prêtait à Gargantua dès sa naissance, ce hurlement : A boire ! à boire ! et adorait « ce bon vin breton (ancienne appellation du cabernet franc (ndr)) poinct ne croist en Bretagne, mais en ce bon pays de Véron ».
Mais cet enthousiasme n’est pas unanime et certains, à l’instar de mon épouse, reprochent à ces rouges tourangeaux, Saumur-Champigny, Bourgueil, Chinon, leurs caractères végétaux, herbacés, voire terreux. Je considère que ces arômes, parfois désagréables, résultent de cuvées mal vinifiées ou issues de médiocres millésimes, mais que certains vignerons élaborent en Touraine des vins remarquables qui méritent d’être (re)connus.
La Touraine, par son climat doux et tempéré, permet au difficile cabernet franc, de développer dans ses vins rouges, de merveilleux arômes fruités et floraux.
Des amateurs devenus orphelins
A la mort de son père en 1957, Charles Joguet a repris l’exploitation familiale abandonnant, de ce fait, ses études aux Beaux-arts et – à lui seul – redoré le blason des vins de Chinon, pour leur faire atteindre des sommets dans la hiérarchie viticole. En 1997, toujours en quête intellectuelle et pressé par des problèmes financiers, il a tiré sa révérence pour revenir à ses passions : peinture et sculpture. Ainsi, le nom d’un homme génial, pur artisan, est devenu une marque. Mais ce domaine, repris par son ancien associé, Jacques Genet, et secondé par un excellent viticulteur, François-Xavier Barc, a su garder les préceptes très novateurs du maître Joguet : vendanges par petites caisses ajourées au lieu de la hotte traditionnelle, égrappoir révolutionnaire de Günter Amos, vinifi cation séparée des différentes parcelles en cuves inox avec pigeage électromécanique. Certes, après la retraite de l’artiste, les amateurs sont devenus un peu orphelins de ce grand vin ligérien, car le domaine a connu une zone de turbulences liée à son expansion passant d’une production annuelle de 70 000 à 350 000 bouteilles, à une baisse qualitative portant notamment sur les appellations de moyenne gamme. Mais, depuis huit ans, on retrouve, dans les grandes cuvées, le fruit et la texture satinée qui avaient fait la gloire de Charles Joguet.
Une gloire retrouvée
Le Clos de la Dioterie, petite parcelle de 2,5 hectares, est le parangon de l’appellation, produit par des vignes octogénaires, exposées idéalement au nord-est, et poussant sur un terrain argilo-calcaire, avec des rendements faibles de 30 hl/ha.
Ce Clos de la Dioterie 2002, vinifié dans une année difficile, est tout simplement merveilleux ; il arrive seulement à maturité avec encore de belles années devant lui. La robe est pourpre, cardinalice. Le nez perçoit, outre les arômes caractéristiques du cabernet franc : poivron vert, framboise, des notes de fruits confiturés, de prunes et d’épices, réglisse, cannelle, muscade. En bouche, on apprécie les structures tanniques, soyeuses et satinées des grands Joguet, la finale est longue, fraîche et voluptueuse.
Ce grand vin permet de remarquables accords culinaires. Sa vivacité et sa structure tannique relèvent bien les textures vinaigrées, mais aussi gélatineuses : pieds de porc, queue de boeuf, gîte, poulet au vinaigre, rognons madère, foie de veau déglacé au vinaigre, mais je recommande deux mariages princiers avec ce fl acon : la cannette de Challans en serviette et le feuilleté de ris de veau aux truffes. Ses arômes framboisés ne repousseront pas un dessert à base de fruits rouges, tel un clafoutis aux cerises. La production très faible : 12 000 bouteilles/ an contraint la maison à limiter strictement les commandes, mais vous pouvez encore disposer des 2008, et peut-être 2007.
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