Robert Creus, chimiste de formation, ancien bourlingueur, a toujours été un grand dégustateur, connu sur les forums internet pour ses avis très tranchés. C’est en 1996 qu’il se lance dans l’aventure « Terre Inconnue », dans son esprit : joyau à protéger (n’était-ce pas prémonitoire de la série télévisée « Terra Nova » ?), lorsqu’il achète quelques ares de vieux carignans qu’il complètera progressivement par le grenache, la syrah et, plus récemment, tempranillo et serine (cépage rare ancestral de la syrah). Il est maintenant propriétaire d’un petit vignoble de 4 ha morcelé autour de Saint-Sériès au nord de Lunel dans l’Hérault.
Un phalanstère familial _ Le travail s’effectue en famille avec l’aide de ses parents et, en particulier, de Lucien, son père, qui cultive méticuleusement les vignes avec une ferveur de jardinier, ce qui permet à Robert de continuer à travailler à temps partiel à la chambre de commerce du Languedoc. Ce phalanstère familial s’exprime dans la dénomination des cuvées : Los Abuelos, les grands-parents en espagnol, Sylvie du nom de son épouse.
Robert Creus, refusant tout carcan administratif, commercialise tous ses vins sous la simple appellation « vin de table français », mais il faut reconnaître que ses grandes cuvées : Leonie pur carignan, Los Abuelos 100 % grenache, et Sylvie 50 % syrah, 50 % serine ne peuvent prétendre à la classification AOC-Languedoc.
La vigne pousse sur un terroir argilo-calcaire recouvert, sur certains sites, de galets roulés comme à Châteauneuf. La viticulture est raisonnée, mais les Creus refusent les contraintes Bio, désherbant et traitant chimiquement, lorsque cela leur apparaît justifié, une vendange au vert est habituellement effectuée limitant les rendements, généralement à 20, 25 hl/ha et, de façon drastique, à 10 hl/ha pour la cuvée Sylvie. La date des vendanges est soigneusement déterminée par Robert sur la maturité des raisins, et plus encore des pépins, lorsqu’il croque un goût de noix. La récolte, évidemment manuelle, est faite en petites cagettes, pour éviter l’écrasement des grains.
Les grappes, éraflées à 70 %, bénéficient d’un léger sulfitage à la réception. La fermentation par parcelles est longue sur 4 semaines avec remontage manuel, pigeage léger, mouillage quotidien du chapeau.
A la mise en barriques, vins de presse et de jus sont assemblés, l’élevage avec 30 à 50 % de bois neuf pour la cuvée Sylvie est long : 18 à 24 mois, sans soutirage. La mise en bouteille au grès du patron s’opère, sans collage, ni filtration.
Une explosion de saveurs _ Parée d’une robe grenat légèrement trouble du fait de l’absence de filtration, cette « Terre Inconnue Sylvie 2006 », pur syrah et serine, est explosive : des parfums de fleurs dominées par la violette, de cassis, d’épices : poivre blanc, noix de muscade, submergent le nez. La bouche riche, glycérinée, soyeuse exprime des arômes prégnants de cacao et de jus de viande accompagnés par des tanins crayeux serrés, mais d’une finesse voluptueuse. La finale chaleureuse, liée au degré alcoolique, reste fraîche, minérale avec une caudalie impressionnante. Ce vin hors norme, monstre de puissance emballé dans un écrin de taffetas, pourrait, à mon avis, être comparé au mythique Côte-Rôtie La Turque…
En accord avec le Languedoc _ La richesse et l’exubérance de ce vin pourraient faire craindre des alliances difficiles avec les mets, mais délicieuse surprise, il va, au contraire, s’adapter et s’accorder avec de nombreuses préparations et, en premier lieu, la grande cuisine languedocienne : daube gardianne, côte de sanglier aux poires, tripes languedociennes, cassoulet aux fèves. Un faisan Souvaroff aux truffes et foie gras, un lièvre en saupiquet l’épouseront avec délice.
Grâce à ces plats, si le fruité et la structure de Sylvie restent marqués, ses tanins semblent plus fondus, son caractère généreux a tendance à s’effacer, sa composante cacao devient moins imposante.
Mais, plus rustiquement, un poulet aux herbes de Provence, un lapin aux olives, un navarin d’agneau lui feront fête.
Laissons conclure Robert Creus : « à force de critiquer les vins des autres, il me fallait réaliser le mien ». Effectivement, l’essai est un coup de maître et échappe à toute critique. ■
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