Et il est vrai que ce lieu-dit Zinnkoepflé s’épanouit et rayonne sur la « Vallée Noble » de Soulzmatt, ses sommets étant protégés pour leurs faunes et flores méditerranéenne et caspienne. Le terroir marno-calcarogréseux sur une colline pentue orientée plein sud, bénéficiant d’un ensoleillement optimal, d’une faible pluviométrie, d’une protection des vents du nord par le Petit et le Grand Ballon Vosgien, produit de magnifiques vins fi ns et élégants, où le Gewurztraminer a trouvé terre d’élection.
Ayant succédé à son père depuis une vingtaine d’années, Jean-Luc Schlegel pratique une agriculture raisonnée avec le minimum d’intrants chimiques, une fertilisation limitée à de ponctuels apports de composts végétaux. La vigne est enherbée un rang sur deux, avec une taille assez courte en double guyot, un ébourgeonnage et, si besoin, une vendange au vert limitent les rendements.
La vendange est manuelle (obligatoire pour l’appellation vendange tardive) en caissettes. Les raisins surmaturés et botrytisés destinés aux vendanges tardives sont récoltés plus d’un mois après le début des vendanges.
Le pressurage pneumatique par paliers successifs s’effectue pendant 5 à 6 heures sur raisins entiers. La macération en cuves inox thermorégulées nécessite un levurage exogène sélectionné par un laboratoire local. Un double débourbage élimine les débris de rafle. L’élevage en cuve sur lies fines, sans bâtonnage, s’étend sur une dizaine de mois avec 2 ou 3 soutirages, évitant la malolactique. L’ajout de soufre, inévitable pour les vins en surmaturation, est limité. L’élevage se prolonge encore 18 mois en bouteille.
Jean-Luc Schlegel, petit producteur discret et modeste, est injustement méconnu par rapport aux ténors de l’appellation Zinnkoepflé, tel le tonitruant Seppi Landmann, mais je considère qu’il élabore un des meilleurs Gewurztraminer d’Alsace, en particulier en vendanges tardives, lorsque le millésime, comme en 2007, s’y prête. Le Zinnkoepflé VT 2007 Schlegel Boeglin, paré d’une robe jaune or, brillante et éclatante aux jambages gras et épais, développe une finesse et une élégance qui frisent la perfection. Une envolée florale de rose, de pivoine, de fleur d’acacia, fruitée de litchi, de coing, envahit le nez. En bouche, des arômes multiples rivalisent entre eux, veloutés, suaves, pulpeux, caressants et tendres, d’où émergent toujours le litchi, le fruit de la passion, l’abricot confi t rehaussés par des notes mystérieuses d’épices d’orient et de cannelle. La belle acidité de ce vin atténue, en les masquant délicatement grâce à sa fraîcheur, les 80 g/l de sucre résiduel.
L’harmonie subjugue, la caudalie interminable impressionne _ Je reconnais, sans hésitation, le Gewurztraminer du domaine grâce à la prééminence des arômes de litchi, à tel point que le père de Jean-Luc, la première fois où il a goutté ce fruit, s’est écrié : pourquoi l’a-t-on fait mariner dans du Gewurztraminer ? !
Les accords culinaires avec ce nectar sont nombreux et souvent somptueux. A l’apéritif, il accompagne, sans difficulté, les mélanges salés, sucrés, mais sa richesse risque de rendre squelettiques les vins ultérieurs. Il est un compagnon classique du foie gras, bien que les puristes alsaciens lui préfèrent le Pinot Gris. Dans cette région, on a l’habitude de le déguster avec du gibier, notamment le chevreuil aux airelles, mais les épousailles grandioses vont survenir avec une sole ou des quenelles de brochet sauce homardine, des coquilles Saint- Jacques marinées, copeaux de foie gras, émulsion à l’huile d’olive, une blanquette d’agneau, kefta au citron confi t et coriandre fraîche du Crocodile à Strasbourg. Il se complait avec la cuisine chinoise, la plus relevée et épicée, sechouanaise.
Il équilibre, par son acidité, le sucre du dessert, lui donne verticalité et relief : croustillant de pêche à la vanille, mousse aux fruits de la passion ou, plus rustiquement, tarte aux quetsches ou aux poires.
Mais l’accord parfait se fera avec le munster, la rencontre des deux violences, celle du munster fermier et celle de ce vin puissant, se fond en une belle douceur finale. Le Gewurz renforce le côté floral du munster qui, de son côté, rehausse le bouquet du vin. L’explosion est inattendue, l’accord détonnant…
« Last but not the least », les tarifs, pratiqués par le domaine, sont à l’instar de ses vins, d’une douceur angélique. ■
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